Xavier Dolan est un phénomène, c’est indéniable.
En seulement deux films, il a su s’imposer comme l’un des cinéastes les plus prometteurs du paysage cinématographique mondial. Des débuts fracassants à Cannes, en 2009, avec J’ai tué ma mère, un premier long aux dialogues étincelants qui, à défaut de la Caméra d’Or, avait raflé quasiment tous les prix de la Quinzaine des Réalisateurs et l’avait imposé comme un des chouchous des festivaliers. Puis, l’année suivante, un second film en apesanteur, Les Amours imaginaires, qui fut remarqué pour son élégance formelle et son lyrisme.
Deux films, deux succès public et critique et la sensation de voir éclore un prodige du septième art, faisant preuve d’un e réelle maîtrise de la mise en scène et d’un talent certain pour diriger les actrices – Anne Dorval, Suzanne Clément, Monia Chokri…

Laurence anyways - 2

Tout le monde attendait donc avec impatience son troisième long-métrage, Laurence anyways. Trop, peut-être, et la déception est proportionnelle aux espoirs placés en lui… A vouloir trop vite considérer Xavier Dolan comme un génie cinématographique, on a oublié qu’il n’a que 23 ans, et que cet âge l’autorise à commettre des erreurs de jeunesse. Et c’est hélas ce qui arrive avec cette nouvelle réalisation, oeuvre indigeste, maladroite et beaucoup trop longue…

Ambitieux, le jeune cinéaste a opté pour un fond difficile – l’histoire d’un hétérosexuel heureux en ménage qui décide soudain de devenir une femme – et une forme tout aussi ardue, longue fresque étalée sur plus de dix ans, avec ruptures de ton, envolées oniriques et embardées comiques… Mais cette fois, désolé, on n’adhère pas vraiment. Pire, on éprouve même une certaine gêne face à ce curieux objet cinématographique.
On s’est demandé si cette gêne pouvait venir du sujet abordé – la transsexualité – et du parcours atypique de son personnage principal.  Mais après mûre réflexion, ce n’est pas cela du tout. La différence du personnage qui nous choque pas. Au contraire, elle provoque des questionnements intéressants.
Le malaise vient bien de la mise en scène de Dolan, emphatique, pataude, inutilement alambiquée.

Laurence anyways - 3

Le début du film fait illusion. Certes, on ne retrouve pas le brio narratif des Amours imaginaires, mais l’intrigue tient la route.
Laurence (c’est l’homme) et Fred (c’est la femme) forment un couple heureux et complice, partageant fous rires et moments de tendresse. Mais un jour, une sorte de vertige existentiel étreint Laurence. Le jeune homme réalise soudain qu’il se ment à lui-même depuis des années et qu’il ne peut plus refouler plus longtemps cette réalité : physiologiquement, il est un homme, mais dans sa tête, dans son âme, il est une femme.
A l’écran, le moment de cette prise de conscience pourrait facilement être ridicule, mais Xavier Dolan, Melvil Poupaud et Suzanne Clément parviennent à bien nous communiquer le désarroi des personnages. Laurence a soudain l’impression d’étouffer, mal dans sa peau et plus vraiment mâle dans sa tête. Fred, elle, assiste impuissante à la transformation de l’homme qu’elle aime, oscillant entre colère et résignation, acceptation et rejet, et se posant des questions sur son couple et tout ce qu’ils avaient construit jusque-là…
Toute cette partie-là est vraiment réussie. On s’attache aux personnages, et on admire la pudeur avec laquelle Dolan traite son sujet…

Laurence anyways - 3

Mais rapidement, on a la désagréable impression que le jeune cinéaste ne sait pas trop où il veut nous emmener, ni comment mener son récit.
Quand Laurence commence à s’habiller en femme, la mise en scène se déguise aussi, se pare de couleurs criardes assez déplaisantes. Le cinéaste sature son film de musiques tonitruantes, de dialogues appuyés, d’effets visuels tape-à-l’oeil, loin, très loin, de l’élégance de son précédent film.
Le jeu de Melvil Poupaud, jusqu’alors relativement juste, bascule dans le n’importe quoi, entre nonchalance et outrance. On ne croit plus à son personnage, à ses motivations, à la nécessité de sa transformation. Suzanne Clément se met à tout surjouer, au bord de l’hystérie. Le film commence à agacer…

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Et une étape est encore franchie avec l’apparition d’un groupe de vieux travestis caricaturaux, effarants de vulgarité, dont on s’interroge encore sur l’utilité scénaristique. A partir de là, le récit s’éternise. Les personnages ne nous touchent plus. On se lasse bien avant eux de leurs scènes de ménage, leurs ruptures, leurs retrouvailles. On a juste envie que le film s’achève au plus vite, pour que cesse cet empilement de scènes hétéroclites, entre fulgurances esthétiques et ratages artistiques.

On est d’autant plus déçus par ce cheminement que la fin, elle, est assez réussie, un brin amère et, en même temps, totalement apaisée. Les personnages retrouvent alors un peu de nuance. Les acteurs se remettent à jouer juste et la mise en scène retrouve un semblant d’épure…
Finalement, Xavier Dolan aurait pu aisément couper une bonne heure de son film pour en arriver à peu près au même résultat, sans nous infliger des séquences redondantes ou inutiles qui ne font qu’alourdir le récit.

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Evidemment, le jeune cinéaste n’est pas de cet avis. Il est persuadé d’avoir réalisé son chef d’oeuvre avec cette longue fresque intimiste. Il a d’ailleurs manifesté son mécontentement en apprenant que son film ne serait pas présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, croyant dur comme fer que Laurence anyways surpasse ses deux premières réalisations, fera de l’ombre aux suivantes, et aurait pu prétendre à un prix au palmarès…
Euh… Ca va l’égo?

On considère toujours que Xavier Dolan a du talent, beaucoup de talent, mais on lui conseille de prendre un peu de recul, de retrouver un peu d’humilité, de réfléchir à son cinéma et ce qui faisait la force de sa mise en scène sur ses deux premiers films. Etre ambitieux, vouloir révolutionner le cinéma, c’est bien. Mais il faut prendre le temps de faire les choses et les faire pour d’autres raisons que de vouloir à tout prix passer à la postérité en remportant des trophées…
Laurence Anyways ne pèche pas par manques. Il pèche par excès en tout genre, et cela ne n’augure rien de bon pour la suite de sa carrière si le jeune cinéaste québecois ne redescend pas de son petit nuage.
On préfère rester confiants. Ce n’est que son troisième film. Il est encore très jeune et a le temps de s’assagir. Et il a aussi le droit de tenter des choses et de les rater, comme ici. On peut toujours apprendre de ses erreurs… à condition d’être conscient d’en avoir commis…

 

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Laurence anywaysLaurence anyways
Laurence anyways

Réalisateur : Xavier Dolan
Avec : Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Monia Chokri, Nathalie Baye, Yves Jacques, Jacques Lavallée
Origine : Québec
Genre : prétentieux
Durée : 2h39

Date de sortie France : 18/07/2012
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Le Monde
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