On savait depuis longtemps l’affection que porte Rachid Bouchareb au cinéma américain. Son premier film, Baton rouge se déroulait déjà de part et d’autre de l’Atlantique. Little Senegal se déroulait à New York. Et si Indigènes et Hors la loi se déroulaient en France, ils étaient caractérisés par une ampleur de mise en scène très hollywoodienne.
Avec La Voie de l’ennemi, transposition assez libre du Deux hommes dans la ville de José Giovanni à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. il réalise pleinement son rêve américain en tournant en langue anglaise, avec des stars du cinéma US (Forest Whitaker et Harvey Keitel), et en ne perdant pas l’occasion de filmer les grands espaces offerts par les zones désertiques du Nouveau-Mexique.
Le huitième long-métrage de Rachid Bouchareb raconte la difficile réinsertion de William Garnett (Whitaker) après avoir purgé une longue peine de prison.
L’homme a changé. Il n’est plus ce petit voyou multi-récidiviste dont les accès de violence l’avaient conduit au meurtre d’un shérif adjoint, vingt ans auparavant. Il s’est converti à l’Islam et n’aspire plus qu’à une vie normale. Evidemment, tout ceci n’est pas facile pour quelqu’un qui a passé l’essentiel de sa vie enfermé et qui doit se traîner ses erreurs du passé comme un boulet. Garnett parvient pourtant très vite à trouver un emploi dans une exploitation agricole, à s’acheter un véhicule, à ouvrir un compte bancaire et même à se trouver une petite amie, gagnant au passage le respect de son officier de probation Emily Smith (Brenda Blethyn).
Le problème, c’est que le juge n’a rien trouvé de plus intelligent que de l’installer dans sa ville d’origine, dans l’état du Nouveau-Mexique. Là où se trouvent son ancien complice, Terence (Luis Guzman) qui aimerait bien l’enrôler comme homme de main dans son gang, et le shérif Bill Agati (Keitel) qui na cache pas sa haine à l’encontre de celui qui a abattu son adjoint…
Un scénario éprouvé, un cinéaste reconnu internationalement et motivé par son projet, des acteurs impeccables, à l’image de Forest Whitaker, convaincant en ex-criminel en quête d’un nouveau départ, d’Harvey Keitel tout aussi crédible en shérif haineux ou de Brenda Blethyn, dans un contre-emploi intéressant, des décors majestueux… Sur le papier, le film avait tout pour plaire.
Effectivement, prises indépendamment, les séquences du film pourraient fonctionner. Les images sont de toute beauté, la plupart des plans sont soignés. Il y a même de drôles d’idées de mise en scène, comme ces scènes où Brenda Blethyn écoute des chansons de Barbara sur le porche de sa maison, au milieu de nulle part. Mais l’ensemble ne fonctionne pas comme il le devrait. Les dialogues semblent appuyés, les face-à-face entre les comédiens ne communiquent pas l’intensité escomptée. Et le rythme du film, volontairement lent et contemplatif, allié à un cheminement narratif des plus prévisibles, menace constamment de transformer La Voie de l’ennemi en “voie de l’ennui”.
Cela dit, ce rythme atypique, qui prend le temps de s’attarder sur les personnages, aurait sans doute pu devenir l’atout principal du film si Rachid Bouchareb avait tenu ce parti-pris de mise en scène jusqu’au bout. De son propre aveu, il a beaucoup tergiversé au montage, partagé entre la tentation de laisser à l’écran l’intégralité des scènes tournées et faire un film de plus de trois heures, et la nécessité de condenser la durée du film pour qu’il soit plus exploitable en salle. C’est peut-être là que le bât blesse. En tranchant dans le matériau tourné, le cinéaste peut avoir déséquilibré son film, qui repose plus désormais sur le personnage de Forest Whitaker que sur les deux autres protagonistes. Paradoxalement, si le film avait été plus long, il aurait sans doute été mieux rythmé. Ou du moins plus à même de maintenir constante l’attention du spectateur…
On peut néanmoins admirer la façon avec laquelle Rachid Bouchareb parvient à combiner la trame de José Giovanni, sa déclaration d’amour au cinéma américain et ses propres thématiques, autour de l’immigration, de la difficulté de l’individu de se faire une place dans une société qui le rejette, des frontières visibles ou invisibles, de la rédemption… Il s’agit sans conteste d’un film ambitieux, intelligent et subtil. Hélas, celui-ci est trop plombé par les poncifs et les problèmes de rythme pour constituer une franche réussite. Dommage…
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