On les appelle les “enfants de la lune”…
Un terme bien poétique pour désigner les malades atteints d’une pathologie génétique rare, la xeroderma pigmentosum (XP), qui se traduit par une hypersensibilité aux rayons UV. La moindre exposition au soleil ou même à certains éclairages puissants, comme les néons, multiplie les risques de développer des problèmes oculaires (kératites, cataracte,…) et cutanés, au premier rang desquels des cancers de la peau.
Comme pour bien des maladies orphelines, il n’existe pour l’heure aucun traitement à cette pathologie génétique. La seule action possible est préventive, en limitant au maximum le contact des patients avec les rayons UV, notamment grâce à des combinaisons spéciales créées par la NASA, mais l’espérance de vie des malades est souvent très courte, hélas (1).

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Cette terrible maladie a inspiré à Delphine Gleize la trame de son nouveau long-métrage, La Permission de minuit, bouleversante histoire d’amitié entre Romain, un adolescent de treize ans, et David, le dermatologue qui le soigne et l’opère depuis son plus jeune âge.
Pour le jeune garçon, cet homme est bien plus qu’un médecin. C’est un copain, un éducateur, un père de substitution, même, puisque le sien a fui, incapable de supporter sa maladie. Et, à un âge où on s’éveille naturellement au désir et aux choses de l’amour, Romain a plus que jamais besoin de cette présence rassurante et de ses conseils.
Mais David est  lui aussi à un tournant de sa vie. Cela fait des années qu’il se consacre à ses jeunes patients, jour et nuit, sans relâche et sans repos, au péril de sa propre santé et de sa vie de couple. Même s’il est toujours animé par la même flamme, la même combativité pour aider ses patients à mieux vivre leur maladie, il est un peu à bout de souffle. Aussi, quand son administration lui accorde la mutation au siège de l’OMS (2) qu’il avait demandée des années auparavant, la raison le pousse à accepter…
Cette décision est vécue avec angoisse et tristesse par les deux personnages, et un brin de colère pour Romain, en pleine crise adolescente…
Le cheminement vers l’acceptation de cette séparation annoncée – qui est aussi, indirectement, une acceptation de l’idée de la mort – sera long et difficile…

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Avec une telle histoire, le film avait tout du projet risqué.
D’une part car ses thèmes  – relation affective quasi filiale, malaise adolescent, acceptation de la maladie et de la mort – n’ont rien d’inédit et ont déjà fait l’objet d’oeuvres cinématographiques de premier plan. D’autre part car le sujet au coeur du film, cette maladie incurable, l’XP, menaçait de faire tomber le film dans le pathos et le mélodrame facile.

Mais voilà, Delphine Gleize est une cinéaste subtile et intelligente. Elle a abordé son scénario, ses personnages, avec la même humilité, la même pudeur, que celles dont elle avait fait preuve à l’égard de Marc Bertran de Balanda et de ses proches dans Cavaliers seuls, le très beau documentaire qu’elle avait consacré aux derniers mois de la vie de ce grand maître d’équitation.
Elle s’emploie à décrire le personnage de Romain comme un adolescent ordinaire, à la fois attachant dans son apprentissage de la vie et agaçant de par son côté rebelle, aussi bien à l’égard des adultes que de ses propres camarades. Un ado ordinaire, mais dont le quotidien est bien évidemment perturbé par les contraintes liées à la maladie : l’obligation de se déplacer en permanence avec cette combinaison qui lui donne l’allure d’un cosmonaute, de rester cloîtré chez lui, derrière ses vitrages spéciaux anti-UV ou bien de ne sortir que la nuit, en prenant quand même garde à la lueur des néons. Une organisation qui rend compliquées ses relations avec les autres jeunes de son âge, hormis ceux atteints de la même pathologie que lui…
Pour le personnage, l’enjeu est évidemment d’accéder à cette “normalité”, ou du moins de s’en rapprocher le plus possible, car il connaît la fragilité de son état et la précarité de son existence. Avant de disparaître, il veut pouvoir mener une vie de jeune garçon on ne peut plus classique, jouer au rugby, se promener dans les rues de jour sous un beau soleil sans être considéré comme un extra-terrestre et surtout, rencontrer une fille de son âge et trouver l’amour…

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On est loin, bien loin, des travers typiques de tous ces films traitant de maladies incurables qui insistent lourdement sur tous les aspects les plus sordides de la maladie pour soutirer sans vergogne les larmes du spectateur. Le but de la cinéaste n’est pas d’utiliser son sujet pour émouvoir à tout prix le public, mais de changer le regard que l’on peut avoir sur ces personnes “différentes” et pourtant si proches de nous, et d’attirer l’attention sur cette maladie génétique méconnue, très lourde à vivre au quotidien pour les patients comme pour leurs familles.
A aucun moment Delphine Gleize n’insiste sur les manifestations physiques de la pathologie – à peine évoquées par le purpura sur le cou de Romain et  la vision furtive de photos de cas extrêmes de cancers de la peau, sur un site internet visité par l’adolescent. Ce qui ne veut pas dire qu’elle élude le côté tragique de la maladie. Simplement, elle reste toujours à bonne distance, de façon très pudique, à l’image de cette scène poignante où Romain se rend au chevet d’une de ses camarades en phase terminale, ne nous montrant qu’une porte à demi-close et laissant juste percer les propos de l’adolescent, en voix-off. Et, comme dans Cavaliers seuls, elle oppose joie de vivre et force morale à la maladie, la souffrance physique, le handicap et la mort.
La Permission de minuit est un film plein de vie et d’espoir, qui ne cède jamais à la lourdeur solennelle que le sujet pourrait induire.

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Même la partie concernant la relation entre le médecin et l’adolescent est joliment traitée.
Déjà parce que la cinéaste a trouvé les interprètes adéquats pour incarner ces deux personnages forts que sont le jeune homme et son médecin : Vincent Lindon et Quentin Challal.
Le premier évolue dans le registre dans lequel il excelle depuis quelques années, celui du quinquagénaire usé par la vie, fort et fragile à la fois – comme dans  Welcome ou Mademoiselle Chambon – et est donc, sans surprise, une nouvelle fois très bon dans ce rôle.
Le second est une révélation, parfait en adolescent nonchalant et un brin sauvage. Il possède une maturité et une intensité de jeu assez surprenante pour son âge, surtout pour une première apparition à l’écran.
Ceci permet à la réalisatrice de jouer sur les contrastes entre les deux personnages, d’inverser les rôles par moments, le médecin se comportant parfois comme un grand adolescent et le jeune garçon faisant montre à plusieurs reprises d’une sagesse très adulte. Romain est lucide quant à son avenir. Il serait prêt à se sacrifier pour préserver celle qu’il aime, l’empêcher de s’attacher à lui et de souffrir plus tard. David, lui, semble fuir son domicile et les regards désapprobateurs de sa femme (jouée par Nathalie Boutefeu). Il se comporte comme un grand gamin vexé face à sa remplaçante (Emmanuelle Devos, convaincante comme à son habitude)
Du coup, les personnages gagnent en épaisseur et n’en sont que plus touchants. La complicité des acteurs fait le reste, d’autant que le reste de la distribution est à l’avenant :  Caroline Proust est très bien dans le rôle de la mère de Romain, toute en douceur et en fragilité. Laurent Capelluto commence à bien connaître les rôles d’entraîneurs sportifs au grand coeur… Et les jeunes acteurs jouent tous avec beaucoup de justesse…

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Mais le film est également réussi de par sa mise en scène, sobre en apparence, mais très soignée et inventive, traversée notamment de ces belles envolées poétiques dont Delphine Gleize a le secret depuis ses courts-métrages multi-primés et son remarquable premier long-métrage, Carnages.
Citons quelques effets de transition réussis, par association d’images ou d’idées, et une belle scène où une sortie des “enfants de la lune” prend effectivement l’allure de promenade lunaire, en raison des combinaisons portées, de l’aspect rocailleux du décor et de la belle mise en lumière de Crystel Fournier, chef-op attitrée de la cinéaste.

On retrouve aussi le goût de la cinéaste pour les symboles.
Ici, le rugby sert à illustrer la force du collectif, de l’entraide et de la solidarité, ainsi que la combativité puisque, comme l’explique David à Romain, même les perdants sont magnifiques. On finira tous par perdre ce match qui nous oppose à la mort, mais il faut quand même se battre jusqu’au bout, avec panache, en savourant chaque moment passé sur la pelouse de la vie… Tel est la morale véhiculée par le film.
Il y a aussi ce concours de chute de dominos qui ouvre le film (et se solde par un échec pour David). Il peut être  évocateur d’une chaîne brisée (l’ADN des malades atteints de XP), d’une vie brisée, de la réticence de David à lâcher prise et à transmettre le relais à sa remplaçante ou encore, l’arrêt brutal de la relation entre David et Romain…
Oui, on constate avec bonheur que Delphine Gleize n’a rien perdu de son imagination et de son art de la construction cinématographique – aussi délicat que cet assemblage de dominos, d’ailleurs…

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Avec La Permission de minuit – beau titre pour un beau film, pudique et émouvant – Delphine Gleize continue son petit bonhomme de chemin dans le paysage cinématographique français, à son rythme tranquille. Elle impose un style très personnel, tout en finesse et en poésie, et continue d’explorer ses thèmes de prédilection sur l’altérité, les relations humaines, la transmission du savoir entre les générations.
Pour qualifier son quatrième long-métrage, on veut bien s’autoriser, comme elle, à invoquer un titre du grand Léo Ferré :
“C’est extra”

(1) : Dans la plupart des cas, les cancers de la peau surviennent avant l’âge de dix ans. 60% des patients décèdent avant leurs 20 ans. Dans les formes les plus légères de la maladie, l’espérance de vie peut monter jusqu’à 40 ans, mais ces cas sont rarissimes.
(2) : OMS : Organisation Mondiale de la Santé, dont le siège est à Genève

Et pour en savoir plus sur cette maladie qu’est le XP ou pour soutenir les familles, vous pouvez aussi faire un tour sur le site de l’Association Les Enfants de la Lune

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La Permission de minuit La Permission de minuit
La Permission de minuit

Réalisatrice : Delphine Gleize
Avec : Vincent Lindon, Quentin Challal, Emmanuelle Devos, Caroline Proust, Nahalie Boutefeu, Laurent Cappeluto
Origine : France
Genre : plein de vie
Durée : 1h50
Date de sortie France : 02/03/2011
Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez :  Metro

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2 COMMENTS

  1. trop top
    les acteurs sont formidables
    Quentin CHALLAL est trés bon
    le film super bien fait
    A voir absolument!
    Danielle

  2. Ce film est vraiment un bel hommage à Vincent Lindon, qui après Mademoiselle Chambon continue de jouer à merveille cet homme banal, qu’aucun regard n’attire et pourtant… cet acteur est vraiment incroyable, un faciès et des silences qui suffisent à exprimer les plus fortes des émotions!
    Chapeau également à Emmanuelle Devos qui confirme ses talents.
    A voir, pour rendre hommage à des acteurs qui le méritent!

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