Frère et sœur, Aurélien et Argine vivent ensemble depuis toujours. Pendant qu’elle passe son temps à folâtrer dans les bars avec des types pas très recommandables, lui tente d’arrondir leurs fins de mois en organisant un trafic de métal volé.
Un soir, l’un des complices d’Aurélien, Simon, débarque pour réclamer sa part du butin. Traqué par la police suite à un casse qui a mal tourné, il veut obtenir de quoi s’enfuir au plus vite et se montre particulièrement menaçant… En tentant de résister à un de ses assauts, Aurélien le tue accidentellement.
Le jeune homme rêvait d’une vie différente suite à sa rencontre avec Judith, une mère célibataire très attirante, et le voilà pris dans un engrenage infernal de violence et de mort, rongé par la culpabilité et la peur de se faire arrêter. C’est le début d’un long calvaire pendant lequel il va être amené à remettre en question sa relation avec sa sœur…
Judith, Argine, les deux personnages féminins principaux de La dame de trèfle portent des prénoms tout droit hérités des reines de cartes à jouer, la dame de cœur et… la dame de trèfle, donc… Il faut dire que Jérôme Bonnell tente ici un coup de poker en se lançant dans le polar après avoir livré plusieurs comédies dramatiques remarquées (Le chignon d’Olga, J’attends quelqu’un,…). Il construit un itinéraire de film noir classique, une trame ultra-balisée, avec personnages ordinaires soudain confrontés à leurs démons intérieurs, crimes sordides et atmosphère anxiogène, dans l’esprit des romans de Ruth Rendell ou Patricia Highsmith.
Mais cette apparence de film noir, bien que fidèles aux conventions du genre, n’est qu’un alibi pour dresser le portrait de personnages complexes et de leurs liens ambigus. Ce qui est intéressant ici, ce n’est pas l’intrigue à proprement parler, bien mince de toute façon, mais les raisons profondes, souterraines, qui ont conduit à ce drame.
« Un frère, une sœur, un crime… » annonce l’affiche du film. Mais de quel crime parle-t-on ? La mort d’un personnage violent, nuisible à la société ? Ou bien la relation quasi-incestueuse qui unit Aurélien et Argine ? Les deux jeunes gens sont proches l’un de l’autre, trop proches… Oh, ils n’ont certainement rien commis de honteux, mais quelque chose de latent menace d’éclater, les ronge malgré eux. Cette affection trop forte, cette incapacité à vivre l’un sans l’autre les empêche d’avancer et de construire leurs vies.
Argine ne travaille pas. Elle est même incapable de rechercher un emploi… Alors Aurélien trime pour deux. De jour, chez un fleuriste – assez drôle quand on sait que la dame de trèfle est justement la seule des quatre reines à ne pas être représentée avec une fleur à la main… – et de nuit, en oeuvrant à ses petits trafics, faux dur obligé de frayer avec de vraies brutes. L’origine de tous ces ennuis…
Niveau vie privée, c’est exactement l’inverse. Aurélien est incapable de s’investir dans une relation amoureuse, malgré les appels du pied de Judith. Il s’abrite lâchement derrière l’obligation de s’occuper de sa sœur.
De son côté, elle accumule les amants de passage sous son regard envieux – ou jaloux ? – de son frère. Mais pour elle aussi, cette façon d’empiler les relations sans lendemain est une façon de ne surtout pas s’attacher…
En fait, le frère et la soeur sont tellement liés l’un à l’autre que rien ne semble pouvoir les séparer. Ils se comportent déjà comme un couple, s’engueulant pour des broutilles, ou rigolant pour des bêtises, affichant une grande complicité et passant le plus clair de leur temps ensemble, surtout à traîner dans les bars. C’est lui, d’ailleurs, qui l’accompagne lorsqu’elle doit se faire avorter. Et lorsqu’elle sort de l’hôpital, un peu déboussolée, elle ne peut s’empêcher de lui demander ce qui se serait passé si elle avait décidé de garder l’enfant… Se seraient-ils répartis naturellement les rôles de père et de mère ? Cela aurait-il accentué cette apparence de vie de couple ? Ou au contraire provoqué la fin de leur vie commune ?
Tous deux sont dans une situation d’attente et de frustration. On devine leur affection intense l’un pour l’autre, et cet interdit qu’ils n’arrivent pas à franchir, qui les paralyse totalement.
Il est assez ironique de voir Aurélien avoir peur de se faire arrêter par la police et jeter en prison alors qu’il est déjà emprisonné, sans s’en rendre compte, dans cette vie aux perspectives d’avenir bouchées (le metteur en scène le filme d’ailleurs souvent derrière ou devant des grillages, qui symbolisent son enfermement).
Finalement, c’est ce crime et ses conséquences qui permettront aux deux protagonistes d’enfin couper le lien et de voler chacun de leurs propres ailes…
Jérôme Bonnell sait comment saisir les failles de ses personnages, montrer les petits riens qui trahissent leurs émotions les plus intimes. Et il a le talent pour choisir les interprètes adéquats pour incarner les différents rôles. Ici, il peut s’appuyer sur une belle quinte flush royale de comédiens : Florence Loiret-Caille, Nathalie Boutefeu, Malik Zidi, Marc Barbé et Jean-Pierre Darroussin.
Mais son joli château de cartes reste très fragile. Certes, la base est solide – Darroussin et Barbé sont parfaits en marginaux violents et aux abois. Nathalie Boutefeu assure le métier dans le « petit » rôle de Judith. Et Malik Zidi est idéal dans ce rôle de personnage paumé, rongé par la culpabilité et la peur… Reste la carte maîtresse, le rôle-titre, ce personnage d’Argine. Fantasque et inconséquent, imprévisible, il est particulièrement ardu à interpréter et Florence Loiret-Caille est constamment sur le fil, menaçant à plusieurs reprises de tomber et d’entraîner dans sa chute tout l’édifice.
Alors, Jérôme Bonnell évolue lui aussi très prudemment. Trop prudemment. Et le rythme du film s’en ressent, hélas. On finit par s’ennuyer un peu, malgré les qualités indéniables de l’ensemble. Et on se souvient que c’était aussi l’un des défauts majeurs de son précédent long, J’attends quelqu’un…
La dame de trèfle, malgré une construction intelligente, assez subtile, et ses comédiens offrant une prestation honorable, laisse donc une impression mitigée. Il est fort à parier que ce cinquième film – déjà – du jeune cinéaste Jérôme Bonnell divisera les spectateurs, suscitant le coup de cœur des uns et laissant les autres sur le carreau (elle était facile celle-là…)
A vous de juger, donc…
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La Dame de trèfle
La Dame de trèfle
Réalisateurs : Jérôme Bonnell
Avec : Florence Loiret-Caille, Malik Zidi, Marc Barbé, Nathalie Boutefeu, Jean-Pierre Darroussin
Origine : France
Genre : film noir à forte tendance psychologique
Durée : 1h40
Date de sortie France : 13/01/2010
Note pour ce film : ˜˜˜˜™™
contrepoint critique chez : Culturopoing
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