On l’avoue, c’est avec un à-priori négatif que nous avons découvert cette adaptation du célèbre conte “La Belle et la Bête” (1) par Christophe Gans.
Peut-être parce que le pari de passer après la sublime version de Jean Cocteau, avec Jean Marais dans le rôle de la Bête, nous semblait difficilement tenable.
Peut-être parce que l’univers du conte de fée ne nous semblait pas compatible avec l’univers de Christophe Gans, généralement plus sombre et onirique.
Peut-être, également, parce que cinéma français et fantastique sont deux éléments dont l’association donne rarement des résultats inoubliables.
Ou peut-être parce que la communication autour du film, mettant en avant les “Tadums”, des créatures de pixels ressemblant à des chiots avec d’immenses yeux ronds, et la chanson officielle du film, braillée par le gagnant d’un célèbre télé-crochet télévisuel, laissait présager une production un peu niaise, plutôt destinée aux enfants et aux adolescents.
Le début du film ne vient pas balayer nos appréhensions. Bien au contraire…
Plus fidèle au conte de Madame de Villeneuve que la version de Cocteau, Gans s’intéresse davantage à la famille de Belle (Léa Seydoux). Il raconte comment le père (André Dussollier), un riche marchand, s’est retrouvé ruiné après qu’une violente tempête a fait chavirer ses navires et la marchandise qu’ils contenaient. Et il dépeint la réaction de ses enfants face à leur exil forcé à la campagne. Hormis Belle, qui trouve immédiatement à s’occuper en cultivant le potager, les autres enfants font grise mine. Les garçons s’ennuient, et le fils aîné se met à fréquenter les bars louches et les tripots clandestins. Les deux soeurs de Belle (Audrey Lamy et Sara Giraudeau) passent leur temps à pester contre le sort et à se demander comment elles vont bien pouvoir survivre sans “séances de shopping” – ou du moins leur équivalent de l’époque du 1er Empire.
Mais cette introduction souffre hélas d’un gros problème de casting. Si André Dussollier incarne efficacement le marchand, les acteurs qui jouent les frères semblent trop transparents, tandis qu’Audrey Lamy et Sara Giraudeau en font des tonnes pour essayer de faire exister leurs personnages, au-delà de notre seuil de tolérance.
En essayant de donner de l’épaisseur à ces seconds rôles peu intéressants et mal dirigés, Christophe Gans ne fait que retarder le vrai début du film – la découverte du château de la Bête (Vincent Cassel) par le marchand – et nous inflige une mise en place laborieuse, qui ne lance pas l’oeuvre sur de bonnes bases.
Mais dès que le marchand, perdu dans la forêt et transi de froid, aperçoit la silhouette imposante du château de la Bête, on se laisse enfin happer par le récit. Le fantastique fait irruption dans l’histoire, oscillant entre émerveillement – le festin grandiloquent sur la table à manger, les caisses pleines de trésors et la roseraie, sublime - et l’effroi – la silhouette imposante et menaçante de la Bête qui surgit soudain derrière le marchand pour exiger sa vie en échange de la fleur qu’il a dérobée dans son jardin. La beauté des décors, des éclairages, la poésie qui se dégagent de l’ensemble viennent effacer l’impression désagréable laissée par le démarrage du film.
Et les choses s’améliorent encore quand Belle décide d’échanger sa vie contre celle de son père et débarque au château de la Bête.
La jeune femme, épargnée par le maître des lieux, a tout loisir d’évoluer dans les salles du château et le jardin, ce qui nous permet également de profiter de la magnificence des décors, cadrés la perfection. Et l’intrigue trouve un second souffle avec la relation qui s’instaure entre la Bête et sa jeune captive. Le coeur du conte, et le coeur du film.
Belle est tout d’abord terrorisée, révulsée, par cette créature qui a tout d’un animal sauvage, mais peu à peu ses rêves, guidés par l’âme du château, lui révèlent la triste histoire du prince qui possédait ce château, et la raison de la malédiction qui l’a transformé en monstre. Elle prend conscience que, derrière cette apparence bestiale, il y a un homme meurtri, inconsolable, plus sensible qu’il n’en a l’air, et se prend d’affection pour lui.
Et cette fois, Gans a parfaitement choisi ses acteurs.
Vincent Cassel est parfait dans le rôle de la Bête. Il possède à la fois cette animalité, cette force brute, ce charisme félin qui caractérisent le personnage et une certaine sensibilité, un port altier, qui le rendent crédible dans la peau de ce prince déchu.
Les traits juvéniles de Léa Seydoux s’accordent, eux, parfaitement avec ceux de Belle, jeune fille surprotégée par son papa qui se métamorphose peu à peu en femme à mesure que grandit son attirance pour la Bête. On croit à leur complicité à l’écran. Et si on se laisse finalement toucher par la puissance poétique de cette fable sur la monstruosité – celle de la Bête, bien sûr, mais aussi celle des hommes, cupides, stupides ou vaniteux – ils participent pour beaucoup à la réussite du projet.
Mais la vraie réussite du film est esthétique. Christophe Gans et ses équipes techniques ont réalisé un énorme travail sur tous les aspects visuels du film. Les décors, les costumes, les statues gigantesques qui jalonnent le jardin,… Tout émerveille la rétine sans que le cinéaste cherche jamais à épater la galerie avec des tours de passe-passe.
Pour séduire le spectateur, le cinéaste préfère utiliser le langage cinématographique (précision des cadres, jeux d’ombres et de lumières chers au cinéma expressionniste allemand (2), montage élégant…) plutôt que les effets spéciaux, qui restent assez discrets, à l’instar des fameux tadums. On ne voit toujours pas l’utilité scénaristique de ces petites créatures, mais au moins, leur présence limitée à l’écran ne vient pas gâcher le plaisir des adultes.
A partir du moment où il parvient à maîtriser parfaitement la conduite de son conte fantastique, Christophe Gans peut se permettre d’apposer sa propre patte au film. Il rend hommage à ses maîtres, de Ridley Scott à Hayao Miyazaki, en passant par les cinéastes de la Hammer des années 1960 et les designers de jeux vidéo modernes (3), et projette dans l’oeuvre ses propres obsessions, sur la monstruosité, sur la nature humaine, sur les univers oniriques,…, inscrivant parfaitement cette version de La Belle et la Bête dans la lignée de ses longs-métrages précédents.
Au final, ce film constitue plutôt une agréable surprise pour qui aime les univers de conte de fées et les fables fantastiques. Il n’est pas parfait, loin de là, surtout si on s’ingénie à le comparer point par point avec la version de Cocteau, mythique. On peut même dire qu’il possède d’agaçants défauts par moments. Mais le résultat reste très intéressant par rapport à ce que fait, par exemple, le cinéma hollywoodien des adaptations de contes de fées (Blanche Neige et le Chasseur, Le Chaperon rouge, …). Et pour une fois qu’un cinéaste français essaie de produire un film de genre ambitieux et esthétiquement réussi, on ne va pas faire la fine bouche…
(1) : Il existe différentes versions du conte. Les plus célèbres sont celles de Mme de Villeneuve et de Madame Leprince de Beaumont, éditées dans les collections Folio/Gallimard Jeunesse.
(2) : Le film a d’ailleurs été tourné dans les studios de Babelsberg, en Allemagne, où ont été tournés des films comme Metropolis.
(3) : Thierry Flamand, le directeur artistique a travaillé sur des jeux vidéos comme “Heavy rain”. Par ailleurs, il y a de nombreuses références à des jeux vidéos cultes comme “Gods of war” dans le récit.
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La Belle et la Bête La Belle et la Bête Réalisateur : Christophe Gans Avec : Léa Seydoux, Vicent Cassel, André Dussollier, Eduardo Noriega, Audrey Lamy, Sara Giraudeau Origine : France Genre : conte de fées qualité France Durée : 1h52 Date de sortie France : 12/02/2014 Note pour ce film :●●●●○○ Contrepoint critique : Le Nouvel Observateur |
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