Avec L’Insulte, son quatrième long-métrage, le réalisateur libanais Ziad Doueiri démonte les mécanismes de la haine et de la rancoeur qui empoisonnent depuis plus d’un siècle les relations entre les différentes communautés ethniques et religieuses du Moyen-Orient. Son scénario, malin, part d’une banal querelle de voisinage qui dégénère, s’amplifie et prend des proportions incroyables, faisant ressurgir les souvenirs de la guerre civile libanaise et les traces que celle-ci a laissées sur les différentes communautés religieuses du pays.
Le point de départ de cet imbroglio est une simple gouttière défectueuse.
Yasser, un contremaître palestinien, s’aperçoit que la gouttière du balcon de Toni, un résident appartenant à la communauté chrétienne, fuit et coule sur les passants. Il sonne à son domicile pour avoir accès à l’équipement défectueux mais Toni se montre hostile et refuse de le laisser entrer chez lui. Furieux, Yasser laisse échapper une insulte. Toni, blessé dans son orgueil, exige des excuses auprès du chef de chantier. Celui-ci joue les médiateurs pour tenter de réconcilier les deux hommes et oublier cet incident, mais là encore, la situation dégénère. C’est Toni, cette fois qui se montre insultant, non seulement envers Yasser, mais aussi envers sa communauté. Fou de rage, Yasser lui assène un coup de poing et lui casse deux côtes. Toni l’assigne en justice pour insulte et coups et blessures. C’est le début d’une longue procédure judiciaire qui menace la tranquillité de tout le pays, car si le conflit ne concerne tout d’abord que les deux hommes et leurs proches, il s’étend peu à peu à tout le quartier, puis à toute la ville et à tout le pays, médiatisation aidant. Chacun entend soutenir le membre de sa communauté, sans connaître les tenants et les aboutissants de l’incident.
Mais c’est au moment où les avocats entrent en piste que le procès prend une tout autre dimension. En effet, ceux-ci essaient de justifier l’attitude de leurs clients respectifs par les blessures psychologiques laissées par la guerre civile et les tensions entre les communautés religieuses. Alors, ce n’est plus le procès de Toni contre Yasser mais celui des chrétiens contre les musulmans, des palestiniens contre les israéliens, le bilan d’une guerre civile dont les plaies ne se sont jamais vraiment refermées.
Le film montre comment le passé d’une collectivité pèse sur le présent et le futur des individus qui la composent, comment les dogmes religieux et le repli communautaire peuvent menacer la cohésion d’un pays, comment la haine, la colère et la rancune contaminent facilement les relations entre les êtres. Un rien peut mettre le feu aux poudres, embraser tout un pays et le faire replonger dans le chaos, au mépris des leçons du passé, justement. Mais un rien permettrait aussi de rapprocher les individus, de recréer de la fraternité. Car finalement, Yasser et Toni (joués par Kamel El Basha et Adel Karam, tous deux épatants) ne sont pas si différents l’un de l’autre. L’un est impulsif et colérique, l’autre est plus réservé, mais têtu comme une mule. Et tous les deux sont sans doute un peu trop fiers pour se remettre en question. Ils sont juste terriblement humains. C’est ce qui les rend à la fois exaspérants et attachants, ce qui fait leur force et leur faiblesse et ce qui les unit plus qu’ils ne le pensent.
Même si, sur la durée, le scénario s’essouffle un peu, il n’en demeure pas moins très bien pensé et structuré. La mise en scène efficace de Ziad Doueiri, réalisateur, par ailleurs, de l’excellente série politique Baron Noir, empêche le rythme de retomber et parvient parfaitement à délivrer le message de l’oeuvre, résolument tourné vers la réconciliation des communautés et des générations. C’est plus que jamais utile en ces temps troublés, où communautarisme, intégrisme et nationalisme ont le vent en poupe…
L’Insulte
L’Insulte
Réalisateur : Ziad Doueiri
Avec : Kamel El Basha, Adel Karam, Camille Salameh, Rita Hayek, Talal Jurdi, Julia Kassar
Origine : Liban, France
Genre : Engrenage de la haine
Durée : 1h52
date de sortie France : 31/01/2018
Contrepoint critique : Le Monde