Si on cherchait un fil conducteur dans la filmographie des frères Larrieu, il est désormais évident : c’est l’amour et ses mystères. La naissance des sentiments, l’usure du couple, les moyens de le pimenter, de le faire renaître, la passion qui ravage tout et la relation fusionnelle qui permet de supporter le pire…
Qu’ils adoptent le ton d’une comédie dramatique douce-amère pour décrire les aléas d’une vie de couple (Un homme, un vrai), celui d’une comédie coquine pour parler de personnes trouvant leur épanouissement dans une relation échangiste (Peindre ou faire l’amour), d’une comédie loufoque autour d’une quinquagénaire nymphomane essayant de se soigner à l’air pur des montagnes (Le Voyage aux Pyrénées) ou d’un road-movie sur fond d’apocalypse (Les Derniers jours du monde), les cinéastes ne font rien d’autre que d’explorer les notions de désir, d’amour, de fantasmes et de sexualité, parfois déviante.
C’est encore le cas dans L’Amour est un crime parfait, adaptation d’un roman noir – ou assimilé – de Philippe Djian (1).
Ils nous entraînent dans le sillage de Marc (Mathieu Amalric), un professeur de lettres qui a pris l’habitude de séduire ses jeunes étudiantes – ou de se laisser séduire par elles – et de coucher avec elles dans son repaire, un chalet isolé en haut de la montagne. La première scène le montre d’ailleurs en train de s’y rendre, une nuit, après une soirée bien arrosée. A ses côtés, une jeune femme d’une vingtaine d’années. Il ne se rappelle pas de son nom. C’est juste une autre de ses étudiantes avec qui il n’a pas encore fait l’amour. Dehors, il neige, et il gèle à pierre fendre. La fille, elle, est “toute chaude” et s’empresse de le démontrer à son professeur dès qu’ils pénètrent dans le chalet. Ambiance torride. Mais le matin, toute chaleur s’est dissipée. La fille est même froide. Raide morte…
Que s’est-il passé? Marc n’en sait rien. Il ne se souvient de rien. Mais il a conscience que cette mort ne serait pas la meilleure des publicités alors que le nouveau directeur de l’université, Richard (Denis Podalydès) menace de supprimer purement et simplement son atelier d’écriture. Il l’aurait même déjà fait s’il n’était amoureux de Marianne (Karin Viard), la soeur de Marc. Alors, le professeur décide de se débarrasser du cadavre de l’étudiante dans un ravin, à quelques encablures de là. Ni vu ni connu…
Mais il est loin d’en avoir fini avec cette affaire puisque gravitent autour de lui l’enquêteur chargé de retrouver la disparue – qui s’appelait finalement Barbara – et la belle-mère de cette dernière, Anna (Maïwenn), dont il tombe instantanément sous le charme. Et il doit composer avec la jalousie de sa soeur, avec qui il cohabite dans le chalet, la présence envahissante de Richard et les avances pour le moins offensives d’une autre de ses étudiantes (Sara Forestier)…
A partir de là, le film oscille entre plusieurs genres, de la comédie de moeurs grinçante à la romance pure et douce, sans oublier, évidemment, le drame criminel. Mais le mystère qui plane autour de la mort de Barbara n’est qu’un prétexte, un “red herring” qui permet aux auteurs de développer tranquillement, en filigrane, les véritables sujets du film. D’une part le portrait d’un homme dont l’assurance et l’apparente désinvolture dissimulent des failles béantes. D’autre part l’histoire d’un séducteur qui a multiplié les conquêtes féminines mais qui se retrouve totalement démuni quand il éprouve l’amour véritable pour la première fois, à près de cinquante ans.
Le vrai mystère du film, c’est le sentiment amoureux. Par quelle alchimie complexe les hommes et les femmes tombent-ils amoureux? Qu’est-ce qui pousse les êtres humains à se mettre en danger, par amour? Ne serait-ce pas qu’une simple illusion, un piège dans lequel l’esprit se laisse enfermer? Ou bien est-ce quelque chose qui échappe à tout contrôle, à toute logique?
Les frères Larrieu explorent ici la notion d’amour fou, avec des personnages qui perdent la raison par amour, de façon plus ou moins prononcée. Richard, le directeur timide, ne parvient pas à licencier Marc, à cause de l’amour qu’il porte à Marianne. Annie, l’étudiante, tente d’imposer une relation amoureuse à son professeur, par la force et le chantage s’il le faut. Quant à Marc et Marianne, ils sont unis par ce que l’on devine être une relation quasi-incestueuse qui interfère forcément sur leurs rapports avec le monde extérieur.
La meilleure définition de l’amour est donnée dans le titre du film. C’est un crime parfait dont il est impossible de haïr le coupable, un crime tout en douceur, mais qui peut rapidement, en cas de rejet, de trahison, de contrariété, devenir dévastateur.
A amour fou, film fou. L’Amour est un crime parfait baigne dans une ambiance étrange, quasi-onirique, qui n’est pas sans rappeler celle du film de Cédric Kahn, Feux Rouges, autre histoire d’amour tordue, d’après Simenon. Le point culminant est une scène de délire fiévreux qui bascule dans quelque chose de plus inquiétant, tout en donnant la clé de l’histoire. Mais même avant cela, les cinéastes cultivent cette atmosphère assez spéciale en jouant sur les décors, de ce gouffre naturel en pleine montagne qui semble engloutir les corps et les âmes, à l’architecture originale de l’université.
Les acteurs participent aussi à cette construction singulière. Mathieu Amalric est impeccable dans ce rôle d’homme à la fois très sûr de lui et vulnérable, qui traîne son passé comme un lourd fardeau. Karin Viard est également très bien dans la peau de cette petite soeur trop affectueuse, jalouse de la relation que Marc débute avec Anna. Maïwenn, sensible et délicate, Sara Forestier, véritable tornade sensuelle, et Denis Podalydès, lunaire et timide, complètent agréablement le tableau.
Les admirateurs de Philippe Djian seront peut être déçus de cette adaptation qui, contrairement au livre, ne s’attarde pas sur les explications, préférant laisser au spectateur le soin de “lire entre les lignes” pour appréhender les tenants et les aboutissants de l’intrigue. Mais le choix se défend tout à fait d’un point de vue cinématographique et le résultat à l’écran est intéressant. Ici, les mots, percutants,de Djian sont remplacés par des cadrages d’une précision chirurgicale et par cette ambiance mystérieuse, savamment élaborée.
En tout cas, on ne pourra pas reprocher aux frères Larrieu de ne pas avoir fait un effort d’adaptation. Ils ont su s’approprier le texte original pour y greffer leurs propres obsessions et insérer parfaitement cette oeuvre à leur filmographie. Et le résultat, à défaut d’être un monument du 7ème art, reste plus qu’honorable.
(1) : “Incidences”de Philippe Djian – coll. Folio – éd. Gallimard
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L’Amour est un crime parfait L’Amour est un crime parfait Réalisateurs : Arnaud Larrieu, Jean-Marie Larrieu |
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