Juré n°2Alors que sa compagne est sur le point de donner naissance à leur premier enfant, Justin Kemp (Nicholas Hoult) est convoqué pour être juré dans une affaire criminelle. Lors de la phase préliminaire du voir-dire, où les douze jurés définitifs sont choisis par la procureure et l’avocat de la défense, il tente bien de s’affranchir de cette obligation en exposant sa situation, mais ses arguments sont refusés par la juge et, pas de chance, il est définitivement sélectionné pour participer à l’audience.
Le procès est celui de James Sythe (Gabriel Basso), accusé du meurtre de sa compagne, Kendall Carter (Francesca Eastwood). Un an auparavant, ils ont été aperçus dans un bar en train de se disputer violemment, avant que Kendall ne parte seule dans la nuit, à pied, sous une pluie battante. Le lendemain, le corps de la jeune femme a été découvert en contrebas d’un pont, le long du chemin d’Old Quarry. Connu pour son passé violent, Sythe est le coupable idéal et tout le monde, à commencer par la procureure adjointe Faith Killebrew (Toni Collette), s’attend à un verdict rapide.
Mais lors de l’exposé de l’affaire, Justin prend conscience qu’il était dans le même bar, ce soir-là et qu’il a lui-même assisté à la dispute. Il s’en souvient bien, car c’est la nuit où, passant par le chemin d’Old Quarry, il a percuté ce qu’il pensait être un cerf… Il est peut-être, et probablement, le véritable responsable de la mort de Kendall. Le jeune homme se retrouve donc confronté à un véritable cas de conscience : doit-il se dénoncer pour sauver un homme innocent ou garder le silence pour protéger sa famille ? Comprenant que se dénoncer l’exposerait, au vu de son passé, à une peine de prison très lourde, il décide de rester dans le jury et d’essayer de faire pencher la décision des autres membres vers le doute raisonnable et l’acquittement de Sythe. Pas simple, car presque tous les jurés sont intimement convaincus de la culpabilité de l’accusé…

Avec Juré n°2, Clint Eastwood revient à Savannah, où il avait tourné Minuit dans le jardin du bien et du mal, et au thriller judiciaire, confrontant un homme ordinaire à une série de choix cornéliens.
Kemp, persuadé qu’il a accidentellement provoqué la mort de Kendall, doit déjà prendre une décision lourde de conséquences : soit se dénoncer aux autorités, mettant en péril tout ce qu’il a réussi à construire – et reconstruire – jusque-là, soit laisser un innocent aller en prison à sa place. Il ne peut se résoudre à abandonner sa compagne maintenant, alors qu’ils vont avoir l’enfant attendu depuis longtemps. Pas après ce qu’ils ont traversé. La solution de facilité serait donc d’aller dans le sens du reste du jury, de voter en faveur de la culpabilité de l’accusé et de retourner tranquillement à sa vie, sans risquer d’être inquiété. Mais Kemp n’est pas un salaud. Son éthique lui interdit de laisser Sythe être condamné à sa place. C’est pourquoi il tente d’obtenir un acquittement pour doute raisonnable, en se confrontant au reste du jury comme Henry Fonda dans 12 hommes en colère, de Sidney Lumet.
La différence, c’est qu’il ne peut pas aller trop loin dans les théories qui innocenteraient l’accusé, car certaines pourraient finir par l’incriminer. L’un des jurés, Harold (J.K. Simmons), s’avère être un ancien flic. Il est lui aussi persuadé que Sythe n’est pas coupable et que la mort a été commise par un chauffard. Kemp se retrouve là encore confronté à un choix difficile : s’appuyer sur Harold pour réussir à retourner le reste du jury, mais risquer que l’ancien policier finisse par creuser la piste du “hit and run” et le percer à jour, ou l’écarter, sans être certain de pouvoir infléchir le jugement. Car pour obtenir un verdict, il est nécessaire d’obtenir l’unanimité du jury, dans un sens ou dans l’autre…

Comme le film de Sidney Lumet, Juré n°2 montre bien la difficulté de la tâche à laquelle les jurés sont confrontés dans une affaire de ce type, aux Etats-Unis. Idéalement, il s’agirait de juger seulement les faits, sans faire d’interprétation ou d’extrapolation, en mettant de côté ses préjugés et ses propres sentiments. Or on voit bien que chaque juré réagit en fonction de sa propre sensibilité, sa propre histoire, son humanité. Difficile de faire abstraction, au-delà du seul concept de justice, de ce qui est fondamentalement bien et mal. Ce type de jugement est d’autant plus compliqué à prendre qu’il est lourd de conséquences pour l’accusé, mais aussi pour la famille de la victime, pour les autorités ou pour le reste de la population.
Assez subtilement, Clint Eastwood place le spectateur dans la position d’un juré. Il lui soumet le cas, non pas de James Sythe, mais de Justin Kemp. A partir des faits relatés dans le film, le spectateur doit lui aussi porter un jugement moral sur le personnage. Est-il coupable ou victime? Agit-il de façon décente ou non? Là aussi, l’affaire est compliquée, car on semble constamment évoluer en zone grise. Justin Kemp n’est pas une mauvaise personne, sinon, il ne se préoccuperait nullement du sort de l’accusé et n’éprouverait aucun remords pour la victime. Il est prévenant avec sa compagne, aux petits soins, et semble aussi apprécié par son cercle d’amis. Mais s’il devait faire face à un procès, son passé d’alcoolique, déjà condamné pour ébriété au volant, referait sans doute surface, et constituerait un élément à charge, comme le passé de Sythe, ancien membre de gang et trafiquant de stupéfiants, influence défavorablement le jury. C’est pour cela qu’il choisit de ne pas se dénoncer. Justin a changé, a cessé de boire et a fait amende honorable. Il ne mériterait pas qu’on le renvoie à son passé peu glorieux dont il s’est affranchi. Pour autant, s’il est bien responsable de cet accident mortel, ne serait-il pas juste qu’il soit condamné? Les homicides involontaires sont eux aussi condamnables. Par ailleurs, Kemp passe l’essentiel du film à essayer de manipuler les autres, à dissimuler la vérité et n’assume pas ses fautes. Certains points pourraient laisser à penser qu’il sait exactement ce qui s’est passé cette nuit-là. Alors, coupable ou victime ? Chacun jugera en son âme et conscience, d’autant que Clint Eastwood laisse le dénouement volontairement en suspens, permettant au spectateur de compléter le vide avec ses propres souhaits, de lire ce qu’il veut bien lire dans les regards échangés par les personnages.

Le film incite à la réflexion autour de l’idée de justice, bienvenue à l’époque ou n’importe quel individu s’octroie le rôle de juge sur les réseaux sociaux. Il montre que personne ne peut être certain de connaître la vérité dans ce type d’affaire, et que l’aspect humain est à considérer au moment de porter un jugement, pour ne pas occasionner encore plus de malheur et de souffrance. Pourtant, il faut aussi pouvoir s’appuyer sur un système judiciaire pour garantir la justice. Comme l’exprime à un moment l’avocat de la défense à sa collègue vice-procureure, reprenant une réplique de 12 hommes en colère, “Ce système est imparfait, mais c’est le meilleur que nous ayons”. Cet équilibre complexe, parfois difficile à obtenir, est bien à l’image du cinéaste, qui s’est fait connaître comme acteur pour des rôles de justicier aux méthodes expéditives, des “étrangers” de Leone à l’Inspecteur Harry, mais a signé des films d’auteurs humanistes, autour de personnages imparfaits, et de l’homme qu’il est, libertarien convaincu, à la fois défenseur d’idées politiques très conservatrices sur le plan économique et plus progressistes sur le plan social. Juré n°2 contient également bon nombre des qualités qui ont fait la réputation du cinéaste : scénario solide, personnages complexes joués par de très bons comédiens, réalisation classique mais élégante. Certes, le rythme connaît parfois quelques trous d’air, et le dispositif ne possède pas l’ampleur de ses meilleurs opus, mais le tout est suffisamment bien ficelé pour nous tenir en haleine tout du long et nous plonger dans la peau de jurés d’assises. A 94 ans bien sonnés, Clint Eastwood est encore tout à fait apte au service, même s’il avait précédemment annoncé qu’il s’agirait de son ultime long-métrage, point final d’une impressionnante carrière.
 


Juré n°2
Juror #2

Réalisateur : Clint Eastwood
Avec  : Nicholas Hoult, Toni Collette, J.K. Simmons, Chris Messina, Zoey Deutch, Kiefer Sutherland, Gabriel Basso, Francesca Eastwood, Amy Aquino, Leslie Bibb, Cedric Yarbrough
Genre : Thriller judiciaire
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h54
Date de sortie France : 30/10/2024

Contrepoints critiques :

”Une mise en scène très sobre avec une émotion palpable qui monte en crescendo jusqu’à la scène finale spectaculaire dans la symbolique et totalement inattendue. Ce film est peut-être le dernier Eastwood mais l’un de ses plus aboutis. C’est juré.”
(Françoise Delbecq – Elle)

”Le film s’évertue à ne pas renouveler le genre, à resservir l’éternel questionnement sur l’humain face la justice et la notion de culpabilité, que Douze hommes en colère ou Le verdict avaient si bien traité. Pas désagréable à regarder mais tellement attendu.”
(Fabrice Leclerc – Paris Match)

Crédits photos : Copyright Warner Bros

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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