Beaucoup reprochent à Hong Sang-soo de faire toujours le même film. Il est vrai que le cinéaste coréen aime à raconter toujours le même genre d’histoires d’amour compliquées, des triangles amoureux impliquant des professeurs et des étudiants, des artistes ou des écrivains, et décline des scènes assez similaires de film en film, dont les fameuses scènes de repas et d’ivresse qui sont aujourd’hui sa “marque de fabrique”.
Mais il semble s’amuser à tourner autour de ce dispositif, d’expérimenter pour proposer à chaque fois des choses nouvelles. Dans Oki’s movie, par exemple, il racontait son histoire de triangle amoureux en quatre chapitres, épousant à chaque fois le point de vue d’un protagoniste différent. Et dans Ha ha ha, qui est probablement son meilleur film jusqu’à présent, il faisait télescoper les récits de deux amis qui avaient, sans le savoir, côtoyé les mêmes personnages au cours de leurs séjours respectifs dans la même petite ville côtière…
Pour In another country, il choisit cette fois de raconter trois histoires, toutes axées autour d’une femme prénommée Anne (Isabelle Huppert), une européenne venue passer quelques jours en Corée du Sud, dans une petite ville côtière. Trois récits qui font intervenir à peu près les mêmes personnages, qui reposent sur quelques situations-clés communes et sur des problématiques similaires, mais qui s’avèrent finalement très différents les uns des autres…
Le lien entre les trois récits est une étudiante en cinéma, Won-ju (Jung Yoo-mi), contrainte de s’installer avec sa mère dans la petite ville de Mohang, sur la côte sud-ouest du pays, afin de fuir des problèmes d’argent. Frustrée de se retrouver dans cette situation, loin de Séoul, elle se met à écrire des scénarios de films, les trois petites histoires en question.
Son personnage central est donc une française de passage à Mohang. Dans les trois récits, le personnage garde le même prénom, la même apparence et à peu près le même comportement, mais ce n’est plus tout à fait le même personnage.
Dans un cas, elle est une cinéaste invitée à passer quelques jours chez un confrère coréen, avec qui elle a échangé un baiser lors d’un festival. et sa femme, enceinte et un tantinet jalouse. Dans l’autre, elle est l’épouse volage d’un homme d’affaire coréen, venue retrouver son amant, un cinéaste célèbre, sur la plage. Dans le dernier, elle est une célibataire en quête d’amour.
A chaque fois, elle part se promener dans les environs, recherchant le phare, un monument “petit mais beau” censé être le haut-lieu touristique du village. Et elle tombe immanquablement sur un garde-plage fantasque mais beau gosse, qui cherche à lui faire la cour…
Le dispositif permet aux acteurs de décliner leurs personnages sous toutes les facettes, en explorant plusieurs terrains de jeu, de la comédie au drame, de la légèreté à l’amertume…
Un régal pour Yu Jun-sang, Moon So-ri, Moon Sung-keun, Jung Yoo-mi et Yoon Yeo-jeong, qui avaient déjà participé à une des expériences narratives du cinéaste et qui se voient offrir des rôles sensiblement différents.
Un régal, aussi, pour Isabelle Huppert, que Hong Sang-soo a la bonne idée d’utiliser dans ses registres de prédilection, tour à tour grande gamine espiègle et fantasque et femme au bord de la crise de nerfs, lui offrant l’opportunité d’utiliser toutes les nuances de sa palette de jeu.
Ce découpage narratif particulier permet une fois de plus à Hong Sang-soo de perfectionner sa mise en scène, en brodant autour de situations identiques, figures imposées auxquelles il apporte chaque fois un éclairage différent, une tonalité différente…
La structure permet aussi au cinéaste de broder autour de ses thématiques habituelles : les difficultés de la vie de couple, les triangles amoureux, le hasard et les choix qui impactent nos existences…
Il se projette aussi beaucoup dans son récit, à la fois dans le personnage de l’étudiante en cinéma qui invente les histoires et dans celui du cinéaste coréen célèbre. Le film est quelque part l’histoire de sa rencontre avec Isabelle Huppert, qui a été l’étincelle à l’origine du projet, et les fantasmes de metteur en scène qui ont accompagné cette rencontre. Une histoire de désir et de séduction réciproque…
Pas sûr que cela suffise à convaincre les détracteurs du réalisateur coréen, qui trouveront sans doute, une fois de plus, qu’il ne se renouvelle absolument pas, voire que son cinéma a atteint ses limites et régresse. A vrai dire, on ne leur donnera pas tout à fait tort sur ce film-ci…
Oh, techniquement, on ne trouve rien à redire. Hong Sang-soo sait composer un plan cinématographique, et il possède son propre style, que l’on est heureux de retrouver de film en film, comme on aime à retrouver ces fameuses scènes de repas où, l’alcool aidant, les langues se délient. Sa direction d’acteur est également impeccable et les thèmes abordés, de par leur nature universelle, peuvent continuer de toucher le public.
On aime toujours ses constructions alambiquées, ses expérimentations narratives. Mais l’effet de surprise ne joue plus et le dispositif, dépourvu du charme ludique d’un Smoking/No smoking, par exemple – puisque nombre de nos confrères l’ont cité en référence – finit par tourner un peu en rond.
Hong Sang-soo fait preuve d’une certaine maîtrise artistique, mais, comme souvent, il la met au service d’un exercice de style assez vain, qui manque un peu d’audace et de fond. In another country est loin d’être mauvais. Pour être honnête, il est même plutôt bon, au regard d’autres films sortis cette année. Mais il est aussi un bon cran en dessous de Ha ha ha, Oki’s movie ou même de Matins calmes à Séoul.
De notre point de vue, ce n’est pas ce film-là qui va révolutionner le septième art, et il est fort probable que l’on n’en gardera pas de souvenir impérissable. On attend un peu plus de prise de risques de la part du cinéaste, car à toujours faire un peu le même film, et à ce rythme de production annuel voire semestriel, il risque de lasser une bonne partie de son public…
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