Chalut les humains,
Il y a quand même des gens bizarres parmi vous. Je parle des adorateurs des plantes, des fleurs et des arbres. Je peux comprendre qu’on ait la tentation de croquer dans une plante verte – ça m’arrive fréquemment – ou qu’on puisse avoir envie de les utiliser comme psychotropes – moi-même, je kiffe l’herbe à chat, ça me rend dingue…- mais que des gens sains d’esprits passent leur temps à les observer, les cajoler, les soigner, ça me dépasse.
Et certains en ont même fait leur métier, comme les horticulteurs ou les botanistes. Ceux-ci sont probablement les pires. Ils passent leurs journées à observer les plantes, à les étudier sous toutes les coutures.
Prenez Francis Hallé, par exemple. Le gars est capable de passer sa journée perché sur un arbre, à observer les feuilles et à en dessiner tous les détails. Il y en a vraiment qui n’ont rien d’autre à faire!
Bon, pour être tout à fait honnête avec vous, ça c’était ce que je pensais avant… Car entretemps, j’ai vu Il était une forêt, le joli documentaire que Luc Jacquet a consacré aux travaux de Francis Hallé, et cela m’a ouvert les yeux sur un monde méconnu et assez fascinant.
Pendant plus d’une heure, le botaniste nous explique le fonctionnement d’une forêt tropicale. Il suit l’évolution des plantes, des premières pousses jusqu’à la maturité, sept siècles après, quand l’arbre, majestueux et gigantesque, domine la canopée. Il nous montre les différentes couches qui composent cet enchevêtrement végétal : la forêt primaire et ses arbres qui touchent les cieux, la forêt secondaire et ses arbres qui attendent leur heure à l’ombre des géants, le sous-bois, où la lumière ne pénètre quasiment pas. Chacune d’entre elles grouille d’insectes, d’animaux, de microorganismes. D’autres plantes et champignons se développent sur les arbres, les parasitant ou vivant en symbiose avec eux.
Cet écosystème complexe devient le théâtre d’incroyables luttes, de combats épiques entre les différents hôtes de la forêts, animaux ou végétaux, chacun prenant le dessus sur l’autre au gré des mutations génétiques, de l’évolution des espèces, ou de l’accès à l’eau et à la lumière, sources d’énergie et de vie.
Par exemple, Luc Jacquet et Francis Hallé nous décrivent la lutte séculaire qui oppose les passiflores et les papillons.
Les seconds aiment à se délecter du nectar des fleurs de passiflore, mais aussi pondre sur les feuilles de la plante, car leurs chenilles peuvent s’en servir comme nourriture pour se développer. Mais celles-ci sont voraces et finissent par tuer les plantes.
Alors les passiflores se sont organisées pour se débarrasser des intrus. De nouvelles espèces sont apparues, contenant une substance toxique pour papillons. Puis ceux-ci ont à leur tour muté, développant une résistance au poison, et le rapport de force s’est inversé… jusqu’à ce que les plantes réussissent à imiter les larves de papillons, pour dissuader les insectes de venir se poser sur une zone déjà occupée. Et ainsi de suite, au fil des années.
Le combat est permanent, et les cycles de victoires et de défaites sont nécessaires à l’équilibre naturel.
Et figurez-vous que les arbres eux-mêmes passent leur temps à se bagarrer. Ah! On ne dirait pas comme ça. Ca ne bouge pas un arbre, mais c’est hargneux! Il lui suffit de se développer un poil plus vite que le voisin pour lui obturer toute la lumière et le faire dépérir illico. Certains arbres sont même des tueurs impitoyables, totalement sournois. Le figuier étrangleur est de ceux-là, avec son nom de catcheur et sa tronche de ficus. Il dissémine ses graines par le biais des oiseaux. Ceux-ci volent au-dessus de la canopée et posent leurs fientes au sommet d’autres arbres. La graine, profitant du soleil, germe, se développe et génère des racines qui progressent le long du tronc, vers le bas, enserrant complètement le tronc de leur hôte et absorbant toutes ses ressources vitales; jusqu’à l’étouffer complètement.
Non mais qu’est-ce que c’est que cette espèce végétale totalement retorse et criminelle !?! Si même les arbres sont psychopathes, où va le monde?
Et tout est comme ça, dans la forêt tropicale. Les espèces luttent pour se faire leur place au soleil – c’est le cas de la dire – ou pour survivre aux assauts ennemis. Animales ou végétales, les espèces font preuve d’inventivité pour capter les ressources dont elles ont besoin, ou pour se reproduire.
Les plantes donnent des nectars et des fruits, odorants et sucrés, qui attirent les animaux et les insectes. En repartant, ceux-ci emmènent un peu de pollen ou de graines qui seront laissés un peu plus loin, permettant de perpétuer l’espèce ou de donner de nouvelles variétés de plantes.
Même chose pour récupérer l’eau, essentielle à la croissance. Certaines espèces diffusent des substances odorantes qui captent l’humidité, d’autres ont des feuillages qui agissent comme des gouttières, amenant l’eau jusqu’au coeur du végétal.
Et comme la nature est bien faite, il arrive un moment où l’arbre, à son apogée, se retrouve fragilisé à la base et s’écroule complètement, laissant la place à d’autres, pour que se renouvèle le cycle de la vie et que la forêt respire…
Ce subtil équilibre est bien évidemment menacé par la déforestation massive, qui bouleverse complètement des écosystèmes existant depuis des millénaires. Le film le signale et le dénonce, sans verser dans le brûlot écologiste moralisateur ou la prophétie apocalyptique.
Le botaniste et le cinéaste préfèrent impliquer le spectateur en lui faisant mieux connaître la forêt et son mode de fonctionnement, en l’initiant aux milliers de merveilles qui sont cachées au fond de ces merveilles naturelles que sont les forêts tropicales. Le duo fonctionne parfaitement. Francis Hallé nous régale de ses commentaires pédagogiques, toujours intelligents et accessibles, quelque soit le niveau du public. Luc Jacquet, lui, nous entraîne au coeur de la forêt, avec des moyens techniques audacieux et surprenants qui donnent au spectacle une ampleur inattendue. Il utilise aussi des effets spéciaux pour illustrer le propos du narrateur, à la façon des schémas scientifiques expliquant les mécanismes de la vie.
Tout ceci donne un petit bijou de documentaire, passionnant, intelligent et poétique, qui nous divertit et nous éclaire en même temps. Il est certain que le spectateur ne verra plus la forêt de la même façon après cela.
En ce qui me concerne, c’est le cas. Dorénavant, j’éviterai de faire mes griffes sur le tronc du Beaucarnea du salon.Déjà parce que je sais désormais qu’il est capable de se rebiffer. Et ensuite parce que nous autres animaux – et je vous inclue dedans, chers humains – avons une espérance de vie dérisoire comparé au règne végétal. Et ça mérite le respect.
Bon, il faut que je vous laisse. Toute ces émotions m’ont hérissé le pelage. Je vais aller me rouler un peu dans l’herbe à chat. De la Cataire de première. Oui, j’avoue, je suis un peu toxicomane. Ca me rend fou, ce truc-là. Mais on peut bien s’amuser un peu, non? C’est vrai quoi, on n’est pas des arbres!
Plein de ronrons,
Scaramouche
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Il était une forêt Il était une forêt Réalisateur : Luc Jacquet |
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