Il y a des types qui ont vraiment la poisse… Mikkel Hartmann (Pilou Asbaek) est de ceux-là, assurément.
Après des mois passés en mer à faire la popote pour l’équipage du cargo danois “MV Rosen”, il s’apprêtait à rentrer au pays prendre un peu de repos quand le navire a été pris d’assaut par des pirates somaliens.
C’est ballot… A un jour près, il pouvait retrouver son Danemark natal, sa femme et leur enfant, et le voilà retenu en otage, au même titre que le reste de l’équipage, contraint d’attendre que son employeur paie la rançon demandée par les assaillants.
Au Danemark, la compagnie s’organise pour négocier avec les ravisseurs. Le PDG, Peter Ludvignsen (Soren Malling) est habitué à mener chaque jour des négociations commerciales. Il est expert pour arracher des réductions drastiques de prix d’achat. Aussi, il décide de marchander lui-même avec les pirates.
Ce faisant, il passe outre l’avis de l’expert envoyé pour l’aider à gérer la crise, pour qui une personne extérieure, moins impliquée émotionnellement, serait plus à même de résister aux intimidations des preneurs d’otages.
“Vous allez parcourir des montagnes russes émotionnelles, subir une pression psychologique très forte” prédit l’expert, qui a déjà eu d’autres situations de ce genre à gérer. Et à juste titre… Une négociation de rançon avec des preneurs d’otages inconnus, situés à des milliers de kilomètres de là et ne prenant contact que de façon très épisodique, n’a rien de commun avec les transactions financières menées dans le confort ouaté des buildings du quartier d’affaires de Copenhague. Ici, la vie de plusieurs personnes est en jeu. Un faux-pas risque de fâcher les pirates et leur faire commettre un acte irréparable. Il faut rester ferme tout en les prenant au sérieux, lâcher du lest quand il faut, sentir les coups de bluffs. Une partie d’échecs pour joueurs aux nerfs d’acier…
Par ailleurs, les ravisseurs n’ont pas vraiment la même notion du temps. Même si les vivres à bord du bateau s’amenuisent au fil des jours, ils n’ont rien à perdre à prolonger les négociations jusqu’à obtenir ce qu’ils veulent. Pendant ce temps, les otages souffrent de plus en plus, craignant chaque jour un peu plus pour leur vie. Les familles s’impatientent. Et les actionnaires s’agacent. Le PDG étant mobilisé pour mener ces négociations délicates, il n’est pas concentré sur les affaires courantes du groupe, ce qui pose évidemment quelques problèmes…
Peter se retrouve soumis à une énorme pression, de toutes parts.
Mais il n’est pas le seul. Sur le bateau, Mikkel est aussi soumis à rude épreuve : Les pirates l’ont désigné porte-parole des otages. Son rôle. Servir d’intermédiaire entre ses camarades de galère et leurs geôliers, pour améliorer un tant soit peu leurs conditions de détention et surtout, servir d’intermédiaire entre les preneurs d’otages et ses patrons. Il doit leur faire comprendre qu’ils doivent payer le prix fort pour les sortir de là.
En gros, il se retrouve constamment à faire le tampon entre les groupes, subissant de plein fouet pressions, menaces et déceptions. Et à part cela, il doit continuer à préparer à manger pour ses bourreaux… Quand on vous dit qu’il a la poisse…
Non, décidemment, cette virée en bateau n’a rien de “La Croisière s’amuse”. C’est une traversée laborieuse, douloureuse, éprouvante pour les nerfs, dont les personnages ne sortiront pas indemnes. Et le spectateur non plus, tant le cinéaste, par sa mise en scène, réussit à lui faire ressentir la même tension que les personnages, et à le plonger immédiatement dans l’action. Ou du moins, dans l’attente. Cette attente insoutenable, où le suspense n’a aucune peine à s’installer…
Ce qui est très fort, dans Hijacking, c’est justement cette faculté à créer l’angoisse à partir d’un minimum d’éléments.
Deux pièces quasiment closes : la cuisine du bateau – 3m² à tout casser- et la salle de négociations, guère plus spacieuse.Deux personnages principaux et quatre ou cinq seconds rôles. Et une succession de coups de téléphones dont la teneur fait tour à tour monter la tension ou renaître l’espoir.
Cela suffit pour nous tenir en haleine pendant plus d’une heure et demie.
Scénariste de formation (il a coécrit avec Thomas Vinterberg les scripts de Submarino et La Chasse, et participé à la série “Borgen”), le réalisateur de Hijacking, Tobias Lindholm, sait parfaitement comment bâtir un récit cinématographiquement cohérent. Il nous embarque dans l’histoire dès les premières secondes, nous forçant à nous mettre dans la peau des personnages ou du moins éprouver de l’empathie à leur égard. On a peur pour eux, on souffre avec eux, on ressent les mêmes émotions qu’eux…
Lindholm a l’intelligence de se débarrasser de tous les artifices habituels du thriller. Par exemple, il ne montre pas l’abordage du bateau. Il évite de s’appesantir sur les conditions de détention – pourtant déplorables – des otages. Ceci lui permet de se concentrer sur le côté humain et psychologique du récit.
Le plus intéressant, puisqu’il permet aux acteurs principaux, Pilou Asbaek et Soren Malling de livrer de très belles performances artistiques, et qu’il oblige le spectateur à réfléchir aux enjeux du film : le poids de l’humain dans des négociations financières, la notion de courage et de limite psychologique que l’être humain est capable d’endurer, l’état du monde actuel et la recrudescence d’actes de pirateries et de prises d’otages dans ces régions du globe…
Oeuvre puissante, fortement ancrée dans le réel, Hijacking a su séduire les spectateurs des festivals de Thessalonique, Tokyo, Palm Springs ou encore Beaune, où il a glané le prix Spécial Police en 2013. On espère qu’il trouvera aussi son public lors de sa sortie en salles, malgré une date de sortie plus propice aux blockbusters estivaux et aux comédies peu fatigantes pour les neurones.
En tout cas, Tobias Lindholm s’affirme comme l’un des jeunes talents à suivre de près. Un de plus issu de cette incroyable Nouvelle Vague nordique dont Lars Von Trier, Thomas Vinterberg et Nicolas Winding Refn sont les chefs de file…
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Hijacking Kapringen Réalisateur : Tobias Lindholm Avec : Pilou Asbaek, Soren Malling, Dar Salim, Roland Moller, Abdiakin Asgar, Linda Laursen Origine : Danemark Genre : La croisière ça m’use les nerfs Durée : 1h39 Date de sortie France : 11/07/2013 Note pour ce film : ●●●●●● Contrepoint critique : TF1 news |
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