En France, on connaît surtout Merzak Allouache en tant que réalisateur de comédies. Le succès de Chouchou, qu’il a mis en scène pour son ami Gad Elmaleh, n’y est pas pour rien, mais le cinéaste algérien s’était aussi fait remarquer auparavant par la légèreté et la fantaisie imprimées à quelques belles chroniques de la vie quotidienne dans son pays, comme son premier long-métrage Omar Gatlato ou L’homme qui regardait les fenêtres
Mais le ton léger de ses œuvres a souvent dissimulé une petite pointe d’amertume et de gravité, plus ou moins marquée. Elle se ressentait beaucoup dans Bab-el Oued City, par exemple, et est encore plus prégnante dans son dernier film, Harragas.

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Le premier plan donne le ton d’emblée : un homme se balance au bout d’une corde. Désespéré par les conditions de vie en Algérie, et l’absence de perspective d’avenir, il s’est donné la mort… On apprendra qu’il avait tenté de fuir le pays en devenant un « harraga » (1), tentant de gagner clandestinement l’Europe pour y construire une vie nouvelle, forcément meilleure. Malheureusement, cette expédition s’est soldée par un échec, avec à la clé, un retour au pays en paria, non sans avoir été préalablement tabassé par les gardes-frontières et la police algérienne… Il n’a pas pu le supporter…
Ses trois amis d’enfance, eux, veulent retenter l’expérience. Ils font appel à un passeur, Hassan, qui doit leur faire traverser la Méditerranée à bord d’un petit canot à moteur, partant de Mostaganem pour les déposer sur les côtes espagnoles, de façon totalement illicite.

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La première partie du film montre les préparatifs de cette expédition, la difficulté de trouver ne serait-ce que le fameux canot et les outils permettant de guider l’embarcation jusqu’à sa destination. L’attente se fait interminable pour le petit groupe. De légères tensions commencent à se faire jour entre les trois personnages principaux, leurs sept compagnons candidats au voyage, et Hassan, qui, à défaut de leur procurer une embarcation, sait comment les mener en bateau… Cette phase d’attente permet au cinéaste de montrer ses protagonistes dans le cadre de vie qu’ils veulent fuir : une ville aux maisons délabrées, de la misère à chaque coin de rue, une population grouillante et désoeuvrée, des plages superbes, illuminées par la douce lumière qui baigne les côtes algériennes, mais polluées par des immondices qui s’amoncellent ça et là.

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La seconde partie du film repose, elle, sur la traversée à proprement parler. Merzak Allouache parvient sans peine à évoquer le côté périlleux de cette expédition. Les dix hommes sont entassés sur la minuscule embarcation, aussi vétuste que leur matériel de navigation, et doivent effectuer leur périple de nuit pour éviter de tomber nez-à-nez avec les gardes côtes et la police maritime. Une arrestation leur vaudrait en effet de sérieux problèmes, pour ne pas dire d’intenses souffrances physiques et psychologiques… A cela s’ajoute l’inquiétude de dériver de l’objectif et de tomber en panne d’essence avant le terme du voyage, la crainte de voir l’embarcation chavirer, la peur de la noyade… Et toutes les incertitudes pour l’avenir, plus qu’incertain, une fois l’arrivée en Europe acquise…

Mais difficile de tenir un suspense uniquement sur le périple silencieux et nocturne de ce canot. Pedro Costa ou Apichatpong Weerasethakul auraient peut-être osé, mais le style contemplatif n’est pas forcément celui de Merzak Allouache.
A la place, le cinéaste algérien a opté pour une sorte d’huis-clos maritime, dans l’esprit du Lifeboat d’Alfred Hitchcock. Il fait intervenir un nouveau personnage, particulièrement menaçant à l’égard du groupe. Un ancien policier qui parvient par la violence à s’incruster sur le petit canot et impose ses décisions aux autres harragas…

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Certains reprocheront sans doute l’usage de cet artifice narratif un peu trop gros pour être crédible, et son impact négatif sur l’aspect réaliste de l’œuvre.
Mais il faut probablement voir la démarche de Merzak Allouache sous un autre angle. Même si le film s’inscrit dans un contexte hélas bien réel (2), il ne se veut pas documentaire, et joue la carte poétique autant que la carte politique.
Le réalisateur utilise son dispositif pour évoquer de façon un peu théâtrale les fléaux qui empêchent à son pays de progresser. La petite barque regroupe toutes les catégories sociales, tous les groupes ethniques, tous les sexes – même si une seule femme participe à l’expédition – et presque tous les âges. Les deux personnages les plus dangereux sont, fort logiquement, le policier et l’islamiste, qui symbolisent les deux fléaux que l’Algérie a connu depuis une vingtaine d’années – et connaît encore un peu. Mais Allouache a le bon goût, pardonnez-nous l’expression mais c’est trop tentant, de ne pas « charger la barque ». Les personnages sont légèrement stéréotypés, mais plus nuancés que prévus et ne portent pas à eux seuls l’entière responsabilité du naufrage de la société algérienne. Dans ce petit microcosme flottant, tout le monde s’engueule, personne ne tolère vraiment les autres. Les hommes sont presque tous dédaigneux à l’égard de l’unique femme ; les laïcs regardent d’un mauvais œil le religieux, qui le leur rend bien ; les bédouins s’opposent aux citadins, d’autant que ceux-ci parlent le français, la langue des anciens colons…
Finalement, semble conclure le cinéaste, le vrai drame de l’Algérie, c’est de ne pas être capable de faire cesser ces dissensions, de ne pas unir toutes les bonnes volontés pour construire ensemble un pays plus moderne, plus fort, plus prospère…

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Même si la fin du film reste encore relativement ouverte quant au sort de certains des clandestins et que quelques touches d’humour, rares mais salutaire, viennent l’alléger un peu, Harragas est un film résolument pessimiste, grave et funèbre, montrant une société, un pays, à la dérive, tout près de chavirer, et fustigeant aussi bien l’attitude du pouvoir algérien, sourd au désespoir de la jeunesse et à son cri de révolte, que celle des dirigeants européens, et les politiques drastiques de « maîtrise de l’immigration » .…

Mais le simple fait qu’un film comme celui-ci existe, puisse être tourné avec les moyens du bord, en faisant participer de jeunes acteurs amateurs embauchés sur place, à Mostaganem, constitue la preuve éclatante qu’il est possible de créer des choses de façon collective. La culture, le cinéma ou le sport – comme en atteste la ferveur de la population algérienne lors de la qualification de l’équipe nationale pour la prochaine coupe du monde de football – peuvent servir de ciment à la nation, et donner de nouvelles impulsions, de nouvelles énergies, à condition qu’ils soient correctement exploités…
Merzak Allouache, humble et pudique, s’en défendra peut-être, mais son Harragas est un film exemplaire…

(1) : « Harraga » signifie un « brûleur », en arabe. C’est-à-dire un homme qui accepte de brûler ses papiers, de se débarrasser de ses attaches et de ses racines, pour pouvoir partir vers d’autres horizons. C’est plus joli que « Clandestin » ou « Sans-papiers », mais c’est une réalité tout aussi tragique…
(2) : En 20 ans, on a recensé plus de 15 000 clandestins morts en tentant de gagner l’Europe, dont plus de 6000 noyés dans les eaux de la Méditerranée ou de l’Océan Atlantique. Le chiffre réel est probablement encore plus dramatique… Et la tendance semble s’accélérer…

 

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Harragas Harragas
Harragas

Réalisateur : Merzak Allouache
Avec : Namia Boussekine, Nabil Asli, Samir El Hakim, Seddik Benyagoub, Okacha Touita, Mohamed Takerrat
Origine : Algérie, France
Genre : drame humaniste
Durée : 1h35
Date de sortie France : 24/02/2010

Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez : Télérama

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