Dans les boîtes de nuit et les bars, Grigris (Souleymane Démé) jouit d’une certaine notoriété. Ce jeune homme paralytique est, malgré son handicap, un remarquable danseur, qui sait parfaitement faire monter l’ambiance. Il aimerait bien pouvoir vivre de son talent, mais malheureusement pour lui, cela ne lui rapporte pas grand chose, financièrement parlant.
Il aurait pourtant bien besoin d’argent, pour financer l’hospitalisation du compagnon de sa mère, tombé gravement malade. Légalement, il n’a pas à assumer cette charge, mais il a toujours considéré cet homme comme son père et se sent redevable.
Aussi, il accepte de travailler pour un caïd local, Moussa (Cyril Guei) à la tête d’un lucratif trafic d’essence.
Dans le même temps, il fait la connaissance de la belle Mimi (Anaïs Monory), qui rêve de devenir top model, mais qui, en attendant, est obligée de se prostituer pour survivre dans les rues de N’djamena…
A travers le parcours de Grigris et mimi, ces deux marginaux blessés par la vie, le nouveau film de Mahamat-Saleh Haroun s’attache à décrire les difficiles conditions de vie des jeunes tchadiens, qui n’ont pas accès facilement aux soins, aux emplois rémunérateurs, et qui peuvent rapidement se retrouver sous la coupe de chefs de gangs peu scrupuleux.
Le cinéaste aborde également frontalement deux sujets tabous, deux réalités qui empoisonnent la société tchadienne : le trafic d’essence et le trafic, humain celui-là, que constitue la prostitution.
Et il enrobe le tout dans un emballage de polar, essayant de respecter les conventions du genre tout en les transgressant, en les intégrant à son propre univers et son propre style.
En regardant le film, on est souvent frappés par son manque de moyens. La scène de poursuite en voiture entre Grigris et les policiers, par exemple, pâtit d’un manque flagrant de vitesse et d’intensité. Et le jeu de certains comédiens, dans des seconds rôles, respire l’amateurisme. Mais le résultat tient plutôt la route…
… du moins pendant les trois quarts du film.
Pendant près d’une heure et demie, le cinéaste réussit à imprimer une certaine tension à son récit. Ses personnages sont attachants, à commencer par le rôle-titre, Grigris, interprété par un comédien ayant une présence formidable à l’écran, Souleymane Démé. Et on retrouve la patte particulière de Mahamat-Saleh Haroun, cette rigueur dans la mise en scène, son sens du cadrage, ses lents travellings qui lui avaient valu, en 2011, le Prix du jury du Festival de Cannes.
Et puis, vient le dénouement. Les personnages quittent la ville pour passer dans un environnement rural. Et le récit passe du polar social à une sorte de fable naïve, vantant les mérites de l’entraide et posant que la femme est l’avenir de l’homme. La tension retombe brusquement, la morale du film se fait trop lourde, trop présente, et annihile les efforts faits précédemment pour donner à l’oeuvre ampleur et cohérence.
Dommage…
On aurait voulu être plus enthousiastes face à ce film.
Déjà parce qu’on apprécie, dans son ensemble, le travail de Mahamat-Saleh Haroun et l’intégrité de sa démarche artistique. Ensuite parce que, pour développer la création cinématographique panafricaine, trop rare sur nos écrans, il est impératif de montrer des oeuvres de qualité, démontrant la valeur des cinéastes locaux et incitant les investisseurs étrangers à soutenir les projets de films dans cette région du monde.
C’est sans doute pour cela que les sélectionneurs du Festival de Cannes ont choisi de placer Grigris sous le feu des projecteurs de la compétition officielle.
Malheureusement, ce film-là, sensiblement plus faible que le précédent film du cinéaste, Un homme qui crie, que nous avions beaucoup aimé, est trop “léger” pour servir de vitrine au cinéma africain, et nous semble avoir peu de chances de figurer au palmarès de cette 66ème édition.
Notre note : ●●●○○○