FlowUn chat noir effectue sa promenade quotidienne en forêt, à son rythme, quand il aperçoit un groupe de chiens errants en train de pêcher un poisson près de la rivière. Il profite de la dispute de deux des cabots pour chaparder leur proie. Une course-poursuite s’engage et le félin réussit à semer ses poursuivants. Mais son rythme cardiaque a à peine le temps de ralentir qu’il voit arriver à contresens tout un groupe de cerfs affolés, fuyant manifestement un danger. Ce danger est une vague imposante, qui ne tarde pas à déferler sur la clairière, entraînant tout sur son passage. Le chat parvient miraculeusement à regagner la terre ferme et son habituel abri nocturne, l’atelier ou l’ancien atelier de ce qui semble être un sculpteur humain.

Mais quand il se réveille, il constate que le niveau de l’eau continue à monter. Les chiens qui le pourchassaient ont trouvé refuge sur une barque qui dérive lentement avec le flux des eaux. Le chat noir comprend qu’il doit aussi quitter les lieux et grimpe jusqu’au point culminant de la vallée, une gigantesque statue de félin sculptée dans la pierre. Hélas, l’eau continue inexorablement à monter et le petit chat se prépare à finir noyé quand il voit apparaître un petit voilier. Il réussit à grimper à bord pour découvrir son drôle de capitaine, un capybara ou grand cochon d’eau, qui l’accepte à bord.

En chemin, ils accueillent d’autres naufragés : un lémurien, un labrador, puis un messager sagittaire. Cinq animaux différents, carnivores ou herbivores, qui n’ont absolument rien en commun et ne sont pas faits pour s’entendre de prime abord, mais qui vont devoir apprendre à coexister et s’entraider dans cet environnement aquatique, plus propice à l’épanouissement des baleines qu’à celui des félins.

La belle idée du cinéaste letton Gints Zilbalodis est de ne pas avoir cherché à anthropomorphiser ses personnages animaliers ni à les faire communiquer entre eux par le biais d’un langage humain. Chaque personnage possède ses propres vocalisations (miaulement, aboiement, hurlement, cliquettement et grognement) et adopte un comportement conforme à son espèce, que ce soit dans la recherche du confort ou dans le jeu (le chat, immanquablement, court après les reflets lumineux ou mordille la queue du pauvre lémurien qui se balance sous sa truffe, pendant que le chien réclame qu’on lui lance une balle…). Ils viennent de contrées totalement éloignées les unes des autres et n’ont absolument rien en commun, si ce n’est la nécessité de survivre à cet événement climatique inattendu qui bouleverse totalement leur environnement. Ils doivent donc apprendre à se connaître, se tolérer, s’apprivoiser mutuellement, se faire confiance et apprendre des autres. C’est cette obligation de vivre en société qui les rapproche un peu de nos civilisations humaines, du moins telles qu’elles devraient être dans l’idéal, et qui va permettre au spectateur de s’identifier à ce petit groupe et à leur curieuse arche, sans le moindre Noé à bord. Dans cet univers, l’être humain semble d’ailleurs avoir complètement disparu, peut-être englouti par les flots suite à cet épisode climatique majeur, ou peut-être décimé depuis plus longtemps que cela, pour une raison ou une autre. Il reste néanmoins plusieurs vestiges de la civilisation, que ce soit des habitations, comme l’atelier qui sert de refuge initial au chat noir ou la ville immergée que le groupe traverse en voilier, qui ressemble à une sorte de nouvelle Venise, des embarcations, ou des objets, comme ceux accumulés par le lémurien.

Le petit groupe réussit peu à peu à s’organiser, même si la cohabitation n’est pas toujours aisée dans cet espace restreint. Il se crée une certaine solidarité entre les passagers, pour se garantir une place au sec en cas de pluie, un peu de chaleur et un partage des vivres. Le cochon d’eau apprend même au chat à être plus à l’aise sous l’eau et chasser les poissons qui lui permettront de se nourrir.

Pour autant, cette ébauche de “société animale idéale” est menacée par les mêmes maux que nos sociétés humaines. En chemin, ils croisent une embarcation de lémuriens aux intentions pas forcément amicales – une sorte de bateau pirate – et d’autres rescapés canins qui, une fois à bord, viennent perturber l’équilibre du groupe par des comportements de meute et de dominance. Sans doute le type de comportements qui a conduit, dans ce récit, l’espèce humaine à disparaître, malgré son télencéphale hautement développé… De toute façon, ici, l’idée n’est pas forcément de montrer le début d’une nouvelle civilisation, mais de montrer que l’union fait la force et permet d’assurer une meilleure résilience face à l’adversité, avec toutefois la conscience aiguë de n’être que peu de chose face aux éléments naturels. C’est tout le sens de la scène finale, qui montre comment un animal peut, en un clin d’œil ou un caprice de Dame Nature, disparaître à jamais, et potentiellement son espèce avec lui.

Alors, à quoi bon survivre, sans but, avec la certitude absolue que tout a une fin ? Peut-être parce que c’est le sort de toutes les espèces animales depuis des millions d’années, tout simplement. Personne n’est propriétaire de la planète. Nous sommes tous de passage pour une durée dérisoire, quelques années, quelques décennies, au mieux quelques centaines d’années pour les animaux les plus costauds. Ou alors, il faut croire en une vie après la mort, sous quelque forme que ce soit. Et c’est peut-être l’idée que véhicule une autre scène forte du film, où l’un des personnages semble happé par le ciel étoilé, comme pour signifier son passage vers l’au-delà.

La séquence sert aussi de moment-charnière pour le héros félin, qui réalise qu’il n’est pas prêt à quitter ce monde aussi tôt et décide de rester encore un peu. Et, s’il est animé par nature par un comportement individualiste, il comprend qu’il est bien mieux auprès de ses camarades d’infortune et part les rejoindre. Il évolue, comme les autres animaux du groupe. Le labrador, d’abord suiveur, finit par prendre des initiatives essentielles. Le lémurien réalise que son comportement de collectionneur n’est guidé que par le besoin de mimer l’attitude de ses congénères et découvre qu’il peut trouver d’autres satisfactions auprès des autres. Le messager sagittaire évolue, lui, dès le début, en n’hésitant pas à s’opposer à son groupe pour défendre ses idées. Alors, peut-être que cette évolution progressive, cette faculté à apprendre des autres, à trouver sa propre voie, sa propre utilité, est aussi le moteur qui permet de s’accrocher à la vie.

Flow met en exergue tout ceci, toutes ces valeurs essentielles, tout au long d’un remarquable voyage initiatique et poétique, visuellement splendide, qui parvient souvent à nous submerger d’émotion avec peu de choses, si ce n’est l’immense talent de Gints Zilbalodis, réalisateur, scénariste (avec Matīss Kaža) et même compositeur (avec Rihards Zaļupe).

Vous aurez compris que nous vous recommandons fortement ce film d’animation sublime, véritable petit chef-d’œuvre. Avec un avertissement, toutefois, si vous souhaitez y emmener des enfants. Souvent, le cinéma d’animation est considéré comme un cinéma réservé aux plus jeunes. Ce n’est pas le cas ici. Oh, il n’y a aucune séquence traumatisante pour les enfants, et les scènes plus émouvantes sont traitées avec suffisamment de délicatesse pour ne pas perturber les plus petits, mais les thématiques abordées parleront probablement plus aux adultes. Les plus petits risquent aussi d’être déconcertés par cette œuvre sans dialogues, sans péripéties trépidantes ou gags idiots, qui s’éloigne volontairement des productions Disney, DreamWorks ou Illumination. Cependant, c’est peut-être l’occasion de les initier à un autre type de cinéma, tout en douceur.

(1) : Les chats et les chiens se trouvent un peu partout sur la planète, mais les lémuriens sont essentiellement concentrés à Madagascar, les capybaras se trouvent plutôt en Amérique du Sud, même si on en trouve aussi en Asie, et les messagers sagittaires sont endémiques d’Afrique.


Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau
Flow

Réalisateur : Gints Zilbalodis
Avec : –
Genre : Chat d’oeuvre qui nous submerge d’émotion
Origine : Lettonie, France, Belgique
Durée : 1h24
Date de sortie France : 30/10/2024

Contrepoints critiques :

”À trop vouloir montrer la porosité entre humains et non-humains, le film tend progressivement à personnaliser outre-mesure les animaux, retombant in fine dans le piège de l’anthropomorphisme, pour boucler son scénario tout en prônant le vivre-ensemble.”
(Valentine Guégan – Critikat)

”Gints Zilbalodis s’affirme comme un réalisateur majeur du XXIe siècle, lequel permet à ce genre de prendre un nouveau souffle. Assurément, Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau marquera l’histoire du cinéma d’animation, autant pour la forme, l’esthétisme invoqué que l’écriture elle-même.”
(Laurent Cambon – aVoir aLire)

Crédits photos : Copyright UFO Distribution

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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