Alors qu’il ne se passe pas un mois sans que les actualités n’annoncent de nouveaux morts en Irak, victimes du conflit civil opposant les forces de l’ordre irakiennes et l’armée américaine aux insurgés proches de l’ex-parti de Saddam Hussein, le cinéma hollywoodien continue de s’intéresser aux causes de cette situation explosive.
Il dénonce notamment le prétexte qui a conduit les soldats américains à envahir ce pays du Golfe Persique : la prétendue présence d’armes de destruction massive (ADM). Un mensonge d’état éhonté qui a réussi à convaincre une majorité de citoyens du bien-fondé de cette intervention militaire coûteuse, tant en terme de vies humaines que de moyens financiers, qui a sérieusement écorné l’image du pays de l’Oncle Sam dans le monde, et qui a incité de nombreux irakiens à rejoindre les rangs de la rébellion…
Après Green Zone de Paul Greengrass, qui dénonçait le scandale des pseudos-ADM via l’enquête de terrain d’un jeune officier idéaliste opérant sur le sol irakien, voici Fair Game de Doug Liman, qui traite du même sujet mais se déroule, lui, sur le sol américain, dans les bureaux de Washington ou de Langley, Virginie.
Le film raconte l’histoire vraie de Valerie Plame-Wilson, une ancienne employée des services secrets, qui, en 2002, était chargée d’une mission de renseignement sur la présence d’armes de destruction massive en Irak.
Très vite, elle se rend compte de l’absurdité de sa mission, persuadée que cet arsenal n’existe pas.
Dans le même temps, son mari, Joseph Wilson, ancien ambassadeur américain en Irak, est chargé par la CIA d’enquêter sur un hypothétique trafic d’uranium entre le Niger et l’Irak de Saddam Hussein, avec pour enjeu de prouver que le dictateur irakien est en train de travailler sur une arme nucléaire. Lui aussi conclue que ce dossier est totalement vide de sens, et que les documents sur lesquels les services secrets avaient fondé leur requête sont des faux grossiers.
Mais – stupeur ! – lors du discours sur l’état de l’union, en janvier 2003, le Président Bush annonce son intention d’engager le pays dans une intervention contre l’Irak, en raison du danger que représentent les ADM pour la sécurité du monde occidental. Pour appuyer son discours, il cite les rapports des experts sur l’affaire nigérienne et les entrepôts d’armes en Irak.
Joseph Wilson est furieux. Dans une tribune publiée dans le New-York Times, il s’interroge sur les raisons pour lesquelles son rapport, pourtant commandité par le vice-président Cheney en personne a été ignoré en haut-lieu, et laisse entendre à mots couverts que l’administration Bush pourrait avoir envoyé les soldats au combat pour une mauvaise raison.
Sûrement à titre de représailles, et pour décrédibiliser Wilson, des journalistes révèlent au grand public que son épouse est un agent de la CIA, ce qui constitue un crime au regard de la loi fédérale.
Sa couverture réduite à néant, Valerie Plame-Wilson se retrouve en danger de mort, ainsi que tous ses contacts étrangers. Pire, elle réalise que ses supérieurs ne la soutiennent pas. Et pour cause : l’enquête révélera que ceux qui ont dévoilé cette information secrète aux média ne sont autres que des personnes haut-placées dans l’entourage de la présidence, dont le secrétaire général de la Maison-Blanche, Karl Rove (2) et le chef de cabinet du vice-président, Lewis Libby.
Il faudra des batailles juridiques acharnées, pour que les Wilson obtiennent justice – et encore, seulement partiellement. Des années très difficiles à vivre, entre pressions professionnelles et tensions conjugales…
Adapté des mémoires de Valerie Plame (3), du moins celles que la CIA a autorisées, Fair Game entend réhabiliter ces deux victimes des dérives belliqueuses de la Maison blanche sous George W. Bush et enfoncer un peu plus le clou sur les mensonges qui ont conduit le pays vers une guerre ayant fait près de 150000 victimes irakienne et plus de 4000 soldats américains.
On n’est guère étonnés de voir Sean Penn – qui incarne Joseph Wilson – participer à un film aussi engagé politiquement, lui qui a toujours manifesté son hostilité à la politique de George W.Bush et son opposition à la guerre en Irak.
On n’est pas étonnés non plus de voir figurer au générique le nom de Naomi Watts. La star australienne est certes plus discrète sur ses opinions politiques, mais elle a déjà prouvé, par ses choix de carrière et ses engagements humanitaires, qu’elle est une femme de convictions.
En revanche, on est un peu plus surpris de voir Doug Liman aux commandes d’un tel film. Bien sûr, il avait déjà filmé des histoires d’espionnage mais celles-ci étaient plutôt calibrées comme des divertissements destinés au grand public (La mémoire dans la peau et Mr & Mrs Smith) . Aïe, pas franchement des grands films…
Malgré la confiance que nous inspirent les deux acteurs, nous avouons que nous craignions un peu que la mise en scène survoltée de Doug Liman ne plombe considérablement le propos du film.
Hé bien, nous avions tort… Grosse surprise, le cinéaste a remballé tous ses tics de mise en scène habituels pour livrer une oeuvre au rythme posé, privilégiant le réalisme au spectaculaire. Sa réalisation est d’une sobriété étonnante.
Presque trop, même. Car si on salue le choix de privilégier la retenue à l’outrance, on déplore que la mise en scène soit aussi plate. Surtout que, pour nous européens, qui avons toujours considéré l’argument des ADM comme un mauvais prétexte pour déclarer la guerre à l’Irak, le sujet n’a rien de bien original…
Mais même si le film enfonce des portes ouvertes, il est toujours bon de rappeler aux peuples les fautes de leurs dirigeants…
Restent la chronique familiale et la façon dont le métier d’espion, si particulier, pèse sur l’harmonie du couple et la stabilité de la cellule familiale. Sur ce terrain du mélodrame réaliste, Naomi Watts et Sean Penn peuvent tranquillement user de leurs qualités artistiques, tout en finesse et en retenue, pour livrer des performances plus qu’honorables.
Fair Game est donc un film au sujet intéressant, porté par deux grands comédiens et qui ne manque pas de qualités. Mais on n’y trouve pas, hélas, l’intensité dramatique et l’engagement qui faisaient la force des grands films politiques des années 1970, et qui auraient pu rendre remarquable cette oeuvre hollywoodienne somme toute assez banale.
(1) : Tribune de Joseph Wilson dans le New-York Times 06/07/2003
(2) : Karl Rove n’a pas été condamné, mais les journalistes incriminés ont avoué après coup qu’il était leur source principale.
(3) : “Fair Game: How a Top CIA Agent Was Betrayed by Her Own Government” de Valerie Plame-Wilson – éd. Pocket Star books – en anglais uniquement, pas de version française disponible
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Fair Game
Fair Game
Réalisateur : Doug Liman
Avec : Naomi Watts, Sean Penn, Bruce McGill, Brooke Smith, David Andrews, Noah Emmerich, Sam Sheppard
Origine : Etats-Unis
Genre : espionne, lève-toi
Durée : 1h46
Date de sortie France : 03/11/2010
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : Chronic’art
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