Chez Angle[s] de vue, vous le savez, on aime à confronter les opinions sur les oeuvres et on vous propose systématiquement – ou presque – un contrepoint à notre propre critique, sélectionné chez nos confrères de la presse écrite ou du net. L’objectif est toujours de mettre en lumière les défauts d’un film, mais aussi ses qualités, aussi minimes soient-elles, et l’aider à trouver son public.
Nous n’avons pas été totalement conquis par Un baiser papillon, le premier long-métrage de Karine Silla Perez, mais nous estimons qu’il y a derrière un vrai travail d’écriture et de mise en scène, une implication artistique et humaine appréciable.
Aussi, en complément de notre propre critique, nous avons choisi de mettre en avant celle de notre consoeur de In the mood for cinema, et de publier le compte-rendu de notre entretien avec la cinéaste et Vincent Perez, où le couple a eu l’occasion de défendre son travail et de justifier sa démarche artistique.
Ils sont arrivés un peu anxieux, lui d’abord, elle quelques minutes après, inquiets de ce que l’on a pu penser de leur film.
La sortie approche et l’évolution de sa carrière en salles va se jouer dès les premières séances. Aussi, l’opinion de la presse et des premiers spectateurs est importante pour eux, histoire d’évaluer la tendance générale et de se rassurer un peu.
Pour eux, l’enjeu est grand. Il s’agit ni plus ni moins que deux ans et demi de travail sans interruption. “D’acharnement”, précise Vincent Perez.
Son épouse renchérit : ”Ce film était tellement nécessaire pour moi que s’il ne se faisait pas, devant moi, je voyais un précipice… Il devait se faire, par n’importe quel moyen…”
Le démarrage a été difficile. En effet, Un baiser papillon a bien failli ne pas se faire, en raison d’un plan de financement compliqué à mettre en place. Initialement, Pathé s’était engagée à produire et à distribuer le film, mais suite à un différent avec le coproducteur, elle s’est brusquement retirée du projet, compromettant sa réalisation et sa sortie en salles.
Heureusement pour l’équipe du film, EuropaCorp est venue à la rescousse, en acceptant de distribuer le film.
Pour le reste, Karine Silla Perez a dû convaincre les différents organismes de financement publics et privés. Mais elle a su se montrer persuasive, grâce à son scénario émouvant et sa détermination à mener le projet à bien.
Il a ensuite fallu gérer la lourdeur d’un tournage faisant intervenir beaucoup de comédiens et se déroulant dans de nombreux lieux différents, sans compter le travail sur l’image, le son…
Mais, d’après Vincent Perez, “Karine a assuré. Tout a roulé jusqu’au bout. Il n’y a pas eu de dépassement. On l’a fait en sept semaines alors qu’il y avait un gros boulot sur les décors, énormément de personnages et de lieux…”
Malgré les contraintes de délais à tenir et de budget restreint, la cinéaste n’a pas fait trop de concessions ou de sacrifices par rapport à sa vision initiale de l’oeuvre. Un baiser papillon ressemble à ce qu’elle avait en tête.
”J’ai beaucoup de mal à lâcher ce que je veux. Il fallait tout pouvoir faire.”
Ses armes? Beaucoup de travail, de la volonté et des petits miracles…
Le travail, c’est déjà, l’écriture d’un scénario très complet, extrêmement structuré et fort.
“C’était mon outil de travail. Les solutions que je trouve sur le plateau, c’est un plus, évidemment, mais il faut que je sois sûre de pouvoir m’appuyer sur une base de travail solide que constitue le script. J’ai trop connu la danse pour faire de l’à-peu-près. Je n’y arrive pas. Ce n’est pas du tout ma compétence”.
Elle ajoute que ce respect à la lettre du script était crucial pour respecter les délais : “On n’avait que 35 jours de tournage et parfois seulement deux ou trois heures pour réaliser des scènes compliquées. On ne pouvait pas faire 10 prises. Une ou deux prises. Trois prises, grand luxe, sur les scènes difficiles…”
Du coup, la préparation du tournage a été primordiale. “On a fait beaucoup de lectures avant. J’ai travaillé avec chaque acteur et chaque intervenant. On a réglé en amont tous les problèmes qui auraient pu se poser sur le plateau et auraient pu faire perdre du temps.”
Il y a eu aussi un gros travail sur le visuel du film. L’idée, c’était de concevoir l’oeuvre “comme un conte”. De créer une atmosphère à la fois ancrée dans le réel et ouverte sur l’imaginaire.
C’est du moins le brief qui a été donné aux chefs décorateurs et au chef opérateur.
”Les couleurs devaient être un peu forcées” précise Karine.
Comme dans les films de Pedro Almodovar. L’une des références avouées de la cinéaste…
Et comme chez l’ami Pedro, chaque personnage est associé à une couleur, un objet, une sensibilité…
Autre référence revendiquée, celle de Wong Kar-Waï.
“Mais uniquement pour l’histoire entre Jalil Lespert et Veronika Novak. Le chef opérateur et la costumière avaient des consignes allant dans ce sens. Je voulais accentuer la féminité de Veronika par une tenue vestimentaire adéquate, et jouer sur la couleur de ses cheveux, teints dans un blond très particulier…”
La volonté, ensuite, ça a été de faire preuve d’opiniâtreté, de pugnacité pour débloquer certaines situations, réussir à obtenir des autorisations de tournage, à impliquer les gens.
Vincent Perez résume l’état d’esprit de l’équipe pendant le tournage : “Quand quelqu’un vous dit ‘non’, il ne faut jamais le prendre pour un ‘non’, parce qu’il y a toujours un ‘oui’ quelque part, si on creuse bien”.
Il en sait quelque chose, puisqu’il a du officier, en plus de sa fonction de comédien, et celle de photographe de plateau, comme régisseur pour glaner des lieux de tournage, comme l’hôpital où va se faire soigner Billie/Valeria Golino.
”On y avait trouvé cette salle avec des carreaux bleus. Et le bleu, c’est la couleur de Cécile de France dans le film, celle de l’espoir… Mais la responsable, de prime abord assez désagréable, ne voulait pas qu’on tourne dans cet hôpital. Je l’ai appelée tous les jours. Je l’ai tellement harcelée, j’ai mis tellement d’efforts à la convaincre qu’il nous fallait ce décor que finalement, elle a dit ‘Ecoutez, vous me fatiguez… Bon, c’est pour quel jour?’. Elle a fini par accepter… Le fait qu’elle a aimé le scénario a aussi penché dans la balance…”
En revanche, l’équipe n’a pas pu tourner à l’opéra de Paris. C’est un lieu institutionnel où personne n’a jamais pu tourner de fiction. Mais Karine Silla Perez voulait tourner avec les petits rats de l’opéra. Elle a contacté les responsables et, à force de discussions, a obtenu le droit de les “emprunter” le temps d’une journée, pour tourner à l’école de danse de Nanterre. Question de volonté, encore…
Et puis, il y a eu les “miracles”. Ces implications inespérées qui ont débloqué des situations, ouvert des portes qui restaient désespérément closes.
Puisqu’on parle de la scène avec les jeunes danseuses de l’opéra, la participation du célèbre danseur Nicolas Le Riche est justement l’un de ces petits miracles.
“Pour cette petite danseuse en train de perdre sa maman, je voulais quelqu’un capable de lui transmettre une possibilité d’aller ailleurs et de s’envoler. C’était très important pour nous de trouver le professeur adéquat.
Nicolas Le Riche possède cette qualité rare. Quand la fillette l’écoute, elle croit qu’elle peut vraiment s’envoler. C’est un beau moment de grâce…
On a contacté Nicolas juste 48 heures avant de tourner la scène. On y est allé au culot et on lui a demandé s’il pouvait nous rejoindre sur le tournage. Il nous a dit : ‘c’est quand?’.
On avait notre planning, les petits rats ne pouvaient être disponibles qu’une journée. Et ce jour là, miracle, Nicolas ne dansait pas! J’étais sans voix, car je savais qu’il était dans le sud en train de répéter avec Sylvie Guillem…”
Même chose pour la musique du film, où tout s’est déroulé à merveille :
”Notre monteuse, qui travaillait sur le rôle de la musique comme lien entre les scènes, a utilisé un morceau tiré de Une histoire vraie. Ca marchait tellement bien que j’ai cherché des compositeurs qui auraient pu travailler autour de ça, livrer des morceaux dans cet esprit là, car évidemment, je ne pouvais pas aller vers Angelo Badalamenti. On n’avait pas les moyens. Et puis il habite à Los Angeles, et a fait la musique des films de David Lynch… C’était impensable…
On m’a proposé des choses, mais j’étais accablée parce qu’aucune ne pouvait se mesurer à ce morceau de Badalamenti.
Alors, je me suis dit : je vais le contacter. Peut-être qu’il a une idée. Peut-être qu’on peut utiliser ce morceau de Une histoire vraie. On l’a joint très simplement et il nous a répondu. Il a demandé la permission à David Lynch qui a donné son accord, même si la maison de disque n’était pas contente du tout…
Et puis Badalamenti a dit de lui envoyer le film. Il l’a vu, l’a aimé et nous a dit qu’il avait cinq jours de disponible en studio et qu’il nous faisait la musique du film pour une somme correspondant au minimum syndical. C’était inespéré!”
La cinéaste n’en revient toujours pas d’avoir obtenu aussi simplement la collaboration de personnes aussi importantes.
“Ce film m’a donné une confiance absolue dans le fait d’oser, de croire en ses rêves et de les réaliser…”
Et elle s’étonne de voir la réalité dépasser la fiction. “Ce film a existé grâce à une formidable chaîne humaine. Et c’est justement le sujet principal de notre oeuvre”.
Oui, la création de ce long-métrage a reposé sur une succession de rencontres, à commencer par celle avec les comédiens. Hormis Elsa Zylberstein, un peu Valeria Golino, et évidemment, son mari et ses deux filles, Karine Silla Perez ne connaissait aucun des interprètes du film. Elle reconnaît que l’accès aux acteurs a été facilité parce qu’elle et Vincent sont dans le milieu depuis longtemps, mais il a quand même fallu les convaincre de venir tenir un rôle dans le film.
Son secret : considérer chaque personnage comme une pièce importante du récit.
”J’ai aimé mes petits rôles comme j’ai aimé mes personnages principaux, et je les ai abordés de la même façon. Le patron du café, la coiffeuse jouée par Catherine Hiegel, sa cliente jouée par Isabelle Sadoyan, le chauffeur de taxi, Bakary Sangaré – un pensionnaire de la Comédie Française, tout de même! Des petites apparitions qui ont apporté des moments d’une richesse exceptionnelle…”
Le casting s’est déroulé sans heurt. “On a eu la chance d’avoir les personnes idéales pour incarner les rôles” se réjouit Karine Silla Perez.
Seul un acteur leur a fait faux bond, pour cause d’agenda incompatible avec le tournage : James Thierrée.
”J’ai pensé à lui pour le rôle du chef d’orchestre, mais, le film ayant été repoussé, il partait en tournée pour son spectacle. Alors, immédiatement, j’ai pensé à Nicolas Giraud, qui venait de tourner un film en Espagne avec Vincent. Il possède le côté obsessionnel du personnage.”
Vincent Perez, lui, est plutôt heureux de n’avoir pas eu, pour une fois, à s’abriter derrière un personnage de fiction. Ce rôle, c’est lui dans la vraie vie – ou presque.
”J’ai essayé d’être sincère, de ne pas fabriquer ou interpréter un personnage. Je parlais à ma femme, à mes enfants. C’est quelque chose d’autant plus naturel qu’il s’agit de mes propres enfants à l’écran…”
Cette “normalité”, cette “banalité”, c’est ce que cherchait la réalisatrice pour ce premier film.
“J’avais envie de faire un film sur les autres et ce qui nous rassemble plutôt que sur ce qui nous divise, sur ce qui fait que nous sommes des gens qui avons peur de mourir et peur de la mort des autres. On a tous envie d’être aimés, on est tous embarrassés par l’amour, on a tous des problèmes familiaux, on a tous des rapports humains tumultueux…
J’avais envie de faire un film sur ça, sur ces préoccupations totalement primaires des gens…”.
La cinéaste semble totalement sincère et passionnée quand elle explicite sa démarche et sa volonté de faire un grand film populaire, au sens noble du terme.
”J’avais un grand-père qui était marchand de chaussures, en Bretagne. Je suis allée avec lui sur les marchés. J’ai commencé comme ça à aimer les gens. Je vais toujours dans des endroits où il y a beaucoup de monde. Je fais partie de ces gens qui aiment métros, les supermarchés, les heures de pointe…
J’adore écouter les gens, les entendre raconter leurs histoires…
A chaque fois que je faisais un choix pour mon film, quel qu’il soit, même au niveau de la musique, je voulais qu’il ait un impact populaire, qu’il soit accessible à chacun.”
C’est pourquoi elle a choisi Vivaldi pour la musique que doit orchestrer le personnage de Nicolas Giraud.
”Je ne voulais pas de compositeurs que j’aime, mais qui sont moins accessibles que Vivaldi. Je voulais que tout soit proche de ce que tout le monde peut vivre, de ce que tout le monde peu identifier, de ce que tout le monde peut entendre”
Il y a effectivement un côté profondément universel dans ce que le film développe. La cinéaste précise que ses personnages sont tous inspirés par des personnes qu’elle a connues, voire par plusieurs personnes à qui il est arrivé des mésaventures similaires. Il était important de raconter des histoires qui pourraient résonner en chaque spectateur.
Vincent complète :”Tout le monde vit ces moments-là. Les individus traversent des deuils, des naissances, des séparations… On a tous des problèmes de communication, des secrets. On a tous eu peur de faire nos premiers pas dans la vie…”.
Certains ont vu dans les images d’archives d’émeutes en banlieue diffusées au long du film une basse volonté moralisatrice, un point de vue hautain ou “bobo” sur les quartiers défavorisés. Il n’en est rien, évidemment. La cinéaste les a surtout intégrées dans le film avec la même volonté de parler aux spectateurs de choses universelles, partagées par tous.
”Il y a toujours un sujet d’actualité politique dont tout le monde parle. En ce moment, c’est l’affaire DSK. En d’autres temps, c’était les émeutes en banlieue. Il y a toujours des sujets comme ça dont tout le monde parle, qui animent les conversations et qui enveniment les dîners… Et puis, les gens zappent et retournent à leurs petites préoccupations quotidiennes. J’avais envie d’ancrer le film dans un sujet social, et celui-ci en est un qui me concerne.”
Elle exploite aussi ces images d »émeutes pour rappeler, en filigrane, que les chances ne sont pas égales et qu’il faut parfois se battre pour obtenir ce que l’on veut. Et qu’on ne lui dise pas qu’elle est coupée des réalités. Elle connaît bien ce milieu, tout comme elle connaît et apprécie les gens venus d’horizons différents du sien. Elle nous a avoué être depuis des années, de façon anonyme et bénévole, visiteuse de prison. Une preuve de plus, si besoin en était, de son amour pour les autres.
Son cinéma se veut généreux et humaniste. “Une incitation à se rapprocher des autres”.
”Ce que j’ai voulu montrer, dans ce film, c’est l’échange entre les gens, l’enrichissement mutuel…”
En fait, le concept du film est contenu dans son générique de début, une séquence animée qui insiste sur l’idée de “pont”. Vincent Perez l’explicite : “On passe d’une histoire à une autre. Elles se répondent comme on passe d’une rive à une autre.”. Il y a l’idée de passage d’un monde à l’autre. De celui des vivants à celui des morts. De l’adolescence à l’âge adulte. D’une femme ou d’un homme à l’autre… Le pont véhicule aussi l’idée de transmission du savoir, de la culture, de l’émotion…
Souhaitons donc à Vincent et Karine Silla Perez que le public saura créer un pont vers ce premier film certes inabouti et parfois maladroit, mais également ambitieux, animé des meilleures intentions et fort d’un humanisme rare…
Et souhaitons aussi à Karine Silla Perez une belle carrière de cinéaste. Son prochain film, Le Père Noël est africain est déjà en préparation. Il s’agit d’une comédie qui traitera, évidemment, de relations humaines, de famille et de respect…
Merci à Clémence Ghirardelli et Raphaël Turner de l’agence Way to blue pour l’organisation de cette rencontre. Et merci à EuropaCorp de l’avoir accueillie dans ses locaux.