Premier film du cinéaste bulgare Kamen Kalev, Eastern plays suit les parcours croisés de Hristo et Georgi, deux habitants de Sofia, deux frères en quête de repères dans une société bulgare en pleine mutation, partagée entre son passé au sein du bloc de l’est, son avenir dans la communauté européenne, et une porte ouverte vers le Moyen-Orient et le monde arabe, via la Turquie voisine.
L’aîné, Hristo, est artiste et aimerait vivre de ses créations. En attendant, il ronge son frein en effectuant un travail d’ébéniste mal payé, où il respire les vapeurs toxiques de certains produits chimiques. Un paradoxe, alors qu’il essaie justement de se sortir de sa toxicomanie. Le chemin est difficile vers la guérison et Hristo peut se montrer désagréable, voire cruel, vis-à-vis des rares personnes qui arrivent encore à le supporter, comme son infortunée petite amie, Niki.
Le cadet, Georgi, désoeuvré et de plus en plus réfractaire à l’autorité parentale, est en train de basculer dans la délinquance et l’extrémisme. Il traîne avec des groupuscules de néo-nazis assez virulents et bien décidés à « nettoyer » la ville en s’adonnant à d’immondes « ratonnades ».
C’est l’une de ces expéditions punitives qui scelle les retrouvailles entre les deux frères, séparés depuis que l’aîné a brusquement coupé les ponts avec sa famille. Le groupe de Georgi attaque une famille turque venue passer quelques jours de vacances dans la capitale bulgare. Hristo s’interpose, se fait démolir le portrait, et constate avec stupeur que son frangin fait partie des agresseurs…
L’incident est déterminant. Il va inciter Georgi à prendre ses distances avec ses nouveaux « amis » alors que Hristo va s’ouvrir à de nouveaux possibles en nouant une relation particulière avec la belle Isil, l’une des victimes de l’agression…
Avec son scénario un peu trop schématique et ses trajectoires opposées, Eastern plays ne se démarque pas vraiment du reste de la production européenne estampillée art & essai. Déjà vus les conflits fraternels, les errances d’une jeunesse désoeuvrée, les luttes communautaires… Déjà vue, cette façon de filmer, certes efficace et appliquée, mais très scolaire…
En fait, le film de Kamen Kalev serait assez banal si un dramatique « incident » n’était venu perturber cette mécanique bien huilée.
Le tournage a en effet été brutalement interrompu par le décès du comédien principal, Hristo Hristov.
L’acteur bulgare, ami de longue date du cinéaste, lui avait inspiré ce personnage ayant du mal à vivre en société et en quête de réhabilitation après avoir fui durant des années dans l’alcool et la drogue. La réalité a rattrapé la fiction : Hristov a replongé pendant l’élaboration du film et est mort d’une overdose.
Du coup, le cinéaste a dû revoir complètement ses plans et son montage et utiliser des plans de préparation du film pour pouvoir boucler son récit. Cela se ressent à l’écran, avec une dernière partie curieuse truffée d’ellipses étranges et de coupes brusques.
Mais c’est justement cette bizarrerie qui fait l’intérêt du film. Intelligemment, le cinéaste a su tirer parti de ce drame pour redonner de l’ampleur à son récit. Il l’a recentré sur Hristo et transformé le dernier quart d’heure en errance aux accents métaphysiques et oniriques, bien plus profonde que l’opposition un peu facile qui était mise en place jusqu’alors.
Le montage étrange, manque de matériau oblige, permet à Kamen Kalev de laisser le spectateur libre d’interpréter à sa guise la destinée du personnage.
Au premier degré, il considérera la fin comme optimiste : le personnage arrive enfin à redonner un sens à sa vie et il quitte Sofia pour un ailleurs où tout est possible – la Turquie, baignée de soleil, et l’amour d’Isil la lumineuse.
En réinterprétant les signes, il verra les choses de façon plus pessimiste et se dira que le personnage meurt après un ultime trip, un peu trop dosé en narcotiques, pendant lequel il redécouvre sa nature profonde. Ce qui lui permet de mourir apaisé, dans une intense clarté…
Mais ce qui importe vraiment ici, c’est que la ligne entre la fiction et la réalité devient très floue. L’ensemble repose sur des ressorts dramatiques mais présente aussi un aspect quasi-documentaire.
Une impression renforcée par l’emploi d’acteurs non-professionnels, presque dans leurs propres rôles, pour donner la réplique à quelques vrais acteurs (notamment Saadet Isil Aksoy, vue dans Yumurta, et Hatice Aslan, vu dans Les trois Singes).
Il se dégage d’Eastern Plays, film finalement assez atypique, une belle authenticité et une énergie brute, loin de la théâtralité évoquée par son titre. Reste maintenant à voir si le cinéaste va poursuivre sur la lignée de cette première œuvre presque « accidentelle » , remarquée dans tous les festivals où elle est passée, ou bien s’il va rentrer dans le rang et retrouver une veine plus classique. En tout cas, on attend désormais avec intérêt la suite de sa carrière…
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Réalisateur : Kamen Kalev
Avec : Hristo Hristov, Ovanes Torosian, Saadet Isil Aksoy, Hatice Aslan, Nikolina Iancheva, Ivan Nalbantov
Origine : Bulgarie
Genre : errance de la jeunesse + errance d’un toxicomane
Durée : 1h23
Date de sortie France : 10/03/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Rob Gordon
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Comme le dit « Rob Gordon qui a toujours raison », c’est un très grand film qui, d’après moi, ne tombe pas dans la facilité qu’aurait laissé prévoir le traitement d’un tel sujet ! A voir.
@ Lindo10 : merci pour le commentaire.
Hé oui, chacun sait que Rob Gordon a toujours raison. Sauf quand il a tort, bien sûr… :p
Ce qui n’est pas le cas ici. Mais j’attends vraiment de voir si le cinéaste va pérsévérer dans cette voie atypique dans l’avenir.