Nǐ hǎo les humains, Mǐ hǎo les p’tits chats,

Ce fut une journée intense pour vos deux envoyés spéciaux au 14ème Festival du film asiatique de Deauville.

Pour Boustoune, il y a eu deux films en compétition officielle.
Le premier, Beautiful Miss Jin, marque les débuts du cinéaste sud-coréen . Il s’agit d’une chronique douce-amère autour d’un petit groupe de sans-abris dans une gare de .
Le réalisateur, présent sur les planches, a voulu faire un film qui ouvre les regards et incite à réfléchir sur la condition des gens qui dorment dans la rue et devant qui nous passons souvent sans nous attarder.

Deauville Asia 2012 - Jour 3 - 1

Le second, Mourning nous vient d’Iran. Il s’agit encore d’une sorte de road-movie. Un peu particulier, certes, puisque le cinéaste suit le périple d’un couple de sourds, qui doivent convoyer leur neveu jusqu’à Téhéran. L’enfant ignore que ses parents sont tous deux décédés dans un accident de voiture, la nuit précédente, peu de temps après une violente dispute…  Le couple appréhende de lui apprendre cette terrible nouvelle et réfléchit à l’avenir du garçon. Au passage, ils se disputent eux-aussi à propos de vieux griefs, des blessures mal cicatrisées.

DEAUVILLE ASIA 2012 JOUR 4 005

Et pour ma part, j’ai eu droit à trois films en compétition Action Asia.
Pour commencer, The Sorcerer & the white snake, un film qui marque le grand retour de Jet Li à Hong-Kong et le retour derrière la caméra de Tony Ching Siu-Tung , qui contribua jadis à faire connaître le cinéma d’action hongkongais au public français avec des films comme Histoires de fantômes chinois ou Swordsman.
Ce nouveau film est dans la même veine, entre fantastique, folklore et arts martiaux.

The-Sorcerer-And-The-White-Snake - 2

Dans cet univers médiéval, on trouve d’un côté les humains et de l’autre les démons, créatures surnaturelles animales – pff… comme par hasard – capables de prendre une forme humaine. Les deux groupes ne doivent évidemment pas se côtoyer. Mais comme les démons aiment bien venir semer la terreur chez les humains, il y a quelques ratés. Et dans ces cas là, Fa Hai (Jet Li), un moine bouddhiste surpuissant, et son disciple à moitié neuneu interviennent pour capturer les scélérats et les envoyer méditer ailleurs.  
Mais tous les démons ne sont pas méchants… Prenez le Serpent blanc, par exemple. Cette démone vieille d’un millier d’années arrive à un âge où elle veut se poser un peu, fonder une famille, tout ça. Elle en a un peu marre de vivre dans la forêt avec tous les petits animaux enchantés  – oui, j’ai conscience que ça fait un peu Chantal Goya revival, ce résumé, mais à l’écran, c’est aussi kitschouille – et de se lover contre sa soeur le Serpent vert pour faire des trucs coquins en toute innocence. Aussi, quand elle rencontre Xu Xian, un herboriste humain venu cueillir des fleurs sur son territoire, c’est le coup de foudre. Prenant une apparence humaine, elle séduit le bonhomme et l’épouse. Elle ne demande qu’à vivre heureuse dans les bras de l’homme qu’elle aime. Seulement voilà, Fa Hai ne l’entend pas de cette oreille. Il sépare les amants et déclenche la fureur du Serpent blanc… Donc combats dantesques mettant en valeur les talents physiques de Jet Li.  Donc, pluie de sortilèges ne mettant pas vraiment en valeur les qualités artistiques des concepteurs des effets visuels,  et intervention de Bouddha qui met de l’ordre dans tout cela – “oh, c’est pas bientôt fini ce boxon?”

The sorcerer and the white snake - 3

The sorcerer & the white snake aurait probablement eu du succès dans les années 1980/1990, à l’époque où le public occidental découvrait ce genre de productions asiatiques déjantées avec personnages faisant du kung-fu en apesanteur et spectres malicieux également doués en arts martiaux. Le problème, c’est que nous sommes en 2012 et que le genre est tombé un peu en désuétude. Ce qui était original et inventif hier est aujourd’hui ringard et kitsch. Et cette impression est renforcée par le recours à des effets numériques d’une laideur saisissante. Les effets spéciaux des productions de la fin du XXème siècle étaient des bricolages, mais possédaient un certain cachet. Là, le budget semble plus conséquent qu’à l’époque d’Histoires de fantômes chinois – on peut même dire qu’il s’agit d’un blockbuster hongkongais – mais tout est hideux. Les couleurs sont criardes, les animaux semblent échappés d’un mauvais film pour enfants, les monstres sont grotesques, et les effets visuels sont ratés.
Dommage, car les acteurs sont plutôt attachants, les actrices plutôt affriolantes, et que le montage est bien rythmé.
Je ne me suis pas ennuyé une seconde, certes, et pour une séance matinale, ça se laissait voir sans problème, mais bon, ce n’est objectivement pas bon et ça  ne révolutionnera pas le cinéma… 

The sword identity - 2

Le second film aujourd’hui en compétition “Action Asia”, The Sword identity, ne bouleversera pas non plus le septième art, c’est certain, mais il a au moins le mérite de proposer une approche différente du film de sabre, en s’ingéniant à éviter les conventions du genre. Et le résultat est des plus surprenants.
Ici, pas de guerriers faisant des bonds de 50 m au-dessus du sol, pas d’effets spéciaux tordus, pas de combats épiques entre le héros solitaire et des cohortes d’ennemis, …
En fait, pas de combat tout court, ou si peu. Et souvent hors champ. 
Pourtant, les hostilités commencent dès les premières secondes du film : deux guerriers arrivent dans une ville du sud de la Chine et tombent illico sur un groupe de soldats. La tension monte instantanément, sans un mot et en une poignée de secondes, les deux hommes neutralisent leurs assaillants.
Puis, ils partent à l’assaut des quatre écoles d’arts martiaux de la ville. Leur but, mettre en valeur les techniques apprises par leur maître, un ancien seigneur de guerre chinois, et gagner le droit de créer une école pour y apprendre le maniement d’un sabre un peu particulier, une lame de pirate japonais améliorée pour gagner en précision.
Là encore, tout se passe relativement vite. Ils avancent rapidement et se montrent plus efficaces que leurs adversaires. Mais ils tombent sur un os à la dernière étape. L’un des deux hommes est arrêté. Le second est contraint à la fuite face à  un maître arrogant, un peu trop sûr de ses tactiques de combat.
Qu’à cela ne tienne! Le héros, qui ne renonce pas à atteindre son but, va le prendre à son propre piège, en utilisant la ruse et des techniques toutes simples, mais ô combien efficaces, pour humilier les quatre écoles et se faire respecter.

The sword identity - 3
  
Oui, ici, le film s’attache moins à l’action proprement dite qu’à la préparation de l’action, moins à la force brute ou à l’agilité qu’à la stratégie de combat. Une stratégie toute simple utilisant le cliquetis d’un sabre permet de décimer une armée complète en restant sagement assis derrière la porte d’entrée. Une autre méthode, axée autour de l’ombre portée de l’assaillant, se montre tout aussi efficace. Et le comble de l’humiliation, c’est que même de simples courtisanes non-initiées à l’art de la guerre peuvent ainsi tenir en respect des combattants chevronnés. Une façon de redonner un peu d’humilité à des vieux maîtres top sûrs de leur force… Mais qui donneront aussi une leçon aux jeunes impétueux en leur rappelant que l’expérience et la maîtrise de soi peuvent venir à bout des techniques et des tactiques les plus élaborées.

Humilité. Le mot convient bien à ce long-métrage, qui joue la carte de la sobriété et de l’épure. Peu de dialogues, peu d’action à l’écran. The Sword identity est délibérément anti-spectaculaire et joue plutôt sur une ambiance feutrée qui tranche avec la frénésie habituelle de ce genre de films. Et rien que pour cela, il s’agit d’une curiosité à découvrir. Après, le long-métrage de Xu Haofeng n’est pas exempt de défauts. Ses mouvements de caméra sont parfois maladroits, ses acteurs ne brillent pas tous par leur finesse. Mais il ne s’agit là que d’un premier long-métrage et pour le coup, c’est un début intéressant.

Entre le côté zen-épuré de The sword identity et le délire visuel de The Sorcerer & the white snake, que choisir?
Peut-être le troisième film en compétition Action Asia du jour, Wu Xia, signé par Peter Ho Sun-Chan.
Le titre est un peu mensonger, car le Wuxiapian, c’est un genre de film bien particulier, avec ses codes et ses stéréotypes. D’habitude, on suit les aventures d’un héros solitaire qui met ses talents martiaux au service d’une cause. Et l’essentiel du film est composé de combats au sabre ou au corps-à-corps.
Là, la démarche est totalement différente. Il s’agit plus d’une enquête criminelle mâtinée de kung-fu, aux combats plutôt rares. On est plus dans l’esprit du Sherlock Holmes de Guy Ritchie, placé dans un contexte médiéval chinoise et avec un fil conducteur qui rappelle un peu History of violence de David Cronenberg – oui, curieux mélange. 

Wu Xia - 2

Tout commence quand deux malfrats recherchés, parmi les criminels les plus dangereux du royaume, viennent braquer l’épicerie d’un petit village. L’employé de l’épicerie, Liu Jin-Xi (Donnie Yen), réussit à sauver sa peau et à mettre miraculeusement les deux bandits hors d’état de nuire, en leur assénant deux coups fatals.
Miraculeusement? Xiu Bai-jiu n’y croit pas. Les deux bandits n’étaient peut-être pas les combattants les plus fins du royaume, mais ils étaient quand même costauds, et seul un expert pouvait les mettre KO d’un seul coup de poing. Il soupçonne à raison Liu jin-Xi d’être lui aussi un criminel recherché, venu s’installer au village pour se faire oublier. Mais il ignore que l’homme désire réellement changer de vie, et que son enquête fait peser sur lui et les siens une terrible menace.  

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Le film joue habilement sur le mélange des genres : fresque historique, film de sabre et de kung-fu, enquête criminelle – avec reconstitution analytique du combat ayant conduit à la mort des deux malfrats – film noir et mélodrame. Il bénéficie d’un scénario solide et du jeu impeccable des deux comédiens principaux, Donnie Yen et Takeshi Kaneshiro. Mais c’est aussi et surtout la mise en scène de Peter Ho sun-Chan qui suscite l’adhésion. Images léchées, cadrages précis, mouvements de caméra élégants et encadrant parfaitement l’action. Le film s’impose pour l’instant comme un solide prétendant au prix Action Asia, en attendant The Raid, qui fait le buzz dans les couloirs du festivals. 

Deauville Asia 2012 - Jour 3 - 2

Outre ces nombreux films en compétition, nous avons aussi pu assister au bel hommage qu’a rendu Jean-François Rauger, le programmateur de la Cinémathèque Française, à Kiyoshi Kurosawa. Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire dans ma chronique d’hier, le cinéaste japonais est l’invité d’honneur du festival cette année, à travers une petite rétrospective de ses films, en attendant celle, plus conséquente, de la Cinémathèque Française, justement, qui démarrera mercredi prochain à Paris.
Le cinéaste japonais n’avait pas de nouveau film à présenter cette année, mais il a affirmé son intention de se remettre très vite derrière la caméra pour revenir à Deauville en compétition officielle. A défaut d’un de ses films, nous avons eu le plaisir de découvrir Nos voeux secrets, signé par un autre grand cinéaste japonais, Hirokazu Kore-Eda.
Oui, “plaisir”, car c’est un pur bonheur que ce long-métrage, prolongement des oeuvres précédentes du cinéaste, notamment des très beaux Nobody knows et Still Walking.

Il s’agit d’un film vu entièrement à hauteur d’enfants et qui traite de sujets aussi complexes que le divorce, la famille, les rêves d’enfance et l’acquisition de la maturité, les liens entre les générations.
Les personnages principaux sont deux frères – joués par deux gamins attachants, Koki et Oshiro Maeda – qui se retrouvent séparés à la suite du divorce de leurs parents. L’aîné part vivre avec sa mère au sud de l’île de Kyushu, près du volcan Sakurajima, le cadet reste avec son père, guitariste de rock marginal, au nord de l’île. Une sorte de pacte a été noué entre les deux enfants, chacun devant veiller à ce que leurs parents ne reconstruise pas leur vie avec quelqu’un d’autre.
Mais ils sentent que les choses leur échappent peu à peu, et la séparation devient de plus en plus pesante. Quand on s’apprête à inaugurer la nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse qui doit relier les deux parties de l’île, un gamin émet l’idée que le croisement des deux trains générera la même énergie qu’une comète et que, si des voeux sont faits à ce moment-là, ils auraient toutes les chances de se réaliser. Les deux frères décident donc de partir pour le point de jonction théorique des trains, accompagnés de quelques copains. Tous ont des voeux à formuler. Les deux frères souhaitent évidemment que leurs parents se remettent à vivre ensemble, une jeune fille rêve de devenir une actrice célèbre, une autre veut devenir danseuse, une troisième veut maîtriser l’art du dessin, un garçon veut que son chien, fraîchement mort, revienne à la vie ou pouvoir se marier avec la jolie bibliothécaire de l’école…

I wish - 2

A l’arrivée, il n’y aura peut-être pas le miracle escompté, mais au moins, ils auront vécu de jolis moments ensemble, accumulé des souvenirs qui resteront gravés dans leurs coeurs durant toute leur existence et gagné en maturité, suffisamment pour comprendre les problèmes de leurs parents et de leurs grands-parents et se rapprocher d’eux.
C’est une oeuvre qui parle de choses simples mais essentielles, qui joue sur tout ce qui peut façonner la mémoire et forger le caractère : des images, des objets, des sons, des odeurs, des goûts – mêmes “incertains”, comme les gâteaux spongieux et doucereux préparés par le grand-père des deux frangins. Comme à son habitude, Kore-Eda parvient à capter l’essence des êtres et des choses. Il parvient à saisir la formidable énergie de ces enfants, leur innocence, la naïveté de leurs rêves, tout comme il parvient à capter le désarroi des anciennes générations face aux difficultés de la vie. Et il arrive à restituer tout cela à l’écran avec sa sensibilité habituelle, sa poésie, son style pudique et élégant. Un vrai coup de coeur…

Bon, il faut que je vous laisse, je vais aller voir du côté des restaurants si mon rêve de sole normande se réalise. D’accord, il n’y a pas de train à grande vitesse à Deauville, mais la collision brutale des deux mouettes à qui j’ai asséné des coups de pattes ultra-techniques devrait faire l’affaire. Finalement, ça a du bon la section Action Asia. On apprend plein d’astuces de combat…
 
  
Plein de ronrons et Chat-yonara, 

Scaramouche

스카라무슈 (en coréen)
スカラムーシュ (en japonais)
美人如玉剑如虹 (en chinois)

Wu-Chat 

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Scaramouche est un... chat. Son heureux maître, Boustoune, l'a baptisé ainsi après l'avoir vu escalader les rideaux et pratiquer l'escrime contre les plantes vertes, à la manière d'un héros de film de cape et d'épée. (Il a longtemps hésité avec Channibal et Cat Vador, mais bon...) Evidemment, avec un tel nom, l'animal ne pouvait que devenir cinéphile. Comme il n'avait rien d'autre à faire que de glander toute la journée sur le canapé, il s'est gavé de DVD et s'est forgé sa culture cinématographique, avant d'accepter de devenir critique pour Angle[s] de vue. Sa spécialité ? Les films dont les félins sont les héros. Et les films qui parlent de boxe et de sports de combat (il kiffe). Mais il doit aussi se farcir la plupart des critiques de films pour enfants (il kiffe aussi, sans l'avouer...). Il aime donner quelques coups de griffes aux films qu'il n'aime pas, et complimenter ceux qu'il aime de sa plus belle plume (volée à un pigeon trop téméraire). En tout cas, il n'aime pas les critiques qui ronronnent. Qu'on se le dise...

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