Un matin, la police lyonnaise découvre le cadavre d’un jeune homme flottant sur le Rhône. Il s’appelait Vincent, il avait dix-huit ans et une bouille de gamin innocent. Il a été étranglé…
L’inspecteur Hervé Cagan et sa coéquipière Karine Mangin sont chargés de l’enquête et doivent aussi retrouver la trace de Rebecca, l’amie de Vincent, qui a brusquement disparu…
Là, j’en vois déjà qui aiguisent leurs plumes assassines et sortent leurs stylos à bile, prêts à agonir de critiques Complices, le premier long-métrage de Frédéric Mermoud, qui commence comme un de ces néo-polars français dont nous abreuvent les chaînes de télévisions, pâles copies de leurs homologues américains.
Et le début du film n’est pas loin de leur donner raison. La mise en place est assez schématique, avec intervention des experts de la police scientifique et du photographe de scène de crime. Ne manque que le profiler pour compléter le tableau, au milieu duquel semblent un peu perdus Gilbert Melki et Emmanuelle Devos, les deux inspecteurs, pas très crédibles pour le coup…
Mais justement, l’erreur idiote, ce serait de considérer Complices comme un simple film policier. Certes, le cinéaste a tissé une intrigue criminelle dont les fils ne seront dénoués qu’à la fin, mais sa résolution est finalement assez anecdotique et l’enquête n’occupe qu’une place très limitée du récit. Le scénario montre la progression des investigations, mais s’intéresse aussi – et surtout – à des petits détails de la vie privée des deux flics. Il alterne avec le déroulement des semaines précédant le drame, axé sur le couple formé par Vincent et Rebecca.
Le véritable sujet du film tient dans ce montage alterné, qui oppose deux univers différents, deux générations différentes en traitant de ces sujets universels que sont l’amour et la sexualité.
D’un côté, le monde des adultes, représenté par les deux policiers quadragénaires mal dans leur peau, célibataires cherchant l’âme sœur ou désespérément empêtrés dans d’anciennes histoires amoureuses mal digérées, entre amertume et regrets. On sent les deux collègues attirés l’un par l’autre mais incapables de mettre à nu leurs sentiments, leurs désirs.
Tout le contraire des deux jeunes gens, qui n’hésitent pas à se prendre au jeu de la séduction, s’abandonnent à la passion amoureuse et à la découverte de leur sexualité, de façon assez décomplexée.
Il faut dire que la jeune victime n’est pas aussi innocente que son visage adolescent ne laisse à supposer. En effet, on découvre assez vite que le jeune homme, bisexuel, se prostituait pour gagner sa vie et acceptait régulièrement de servir d’objet de fantasme à des couples en quête d’un peu de piment érotique ou carrément de participer à des parties fines privées, avec quelques bourgeois coquins…
Une façon de montrer comment, à cet âge, on peut expérimenter divers aspects de sa sexualité, s’abandonner totalement à son propre désir, et à celui des autres, ou aborder cette tendance à la libéralisation des mœurs qui semble faire quelques adeptes parmi les jeunes générations, par opposition avec la génération post-hippie, qui a peut-être opté pour une sexualité plus « sage », du moins plus conventionnelle…
Mais cette libéralisation des mœurs ne sonne pas forcément comme une libération des êtres. La sexualité débridée est peut-être un moyen d’évacuer certaines tensions, une façon d’atteindre un certain niveau de plaisir, mais ne remplace pas les sentiments, le besoin d’aimer et de voir cet amour partagé en retour.
Et en la matière, les problèmes sont toujours les mêmes : peur de la solitude, peur de perdre l’objet de son affection, blessure du dépit amoureux et du rejet par l’être aimé, jalousie qui tourne à la haine…
Autant dire que les crimes passionnels ont de beaux jours devant eux…
Complices n’est pas un vrai polar, mais c’est assurément un film noir, par sa façon de décrire un univers assez sordide, où les perspectives d’avenir semblent plus que limitées.
Aucun des personnages ne semble parfaitement épanoui. Tous se trimballent leurs frustrations, usés par des blessures amoureuses ou par la vie elle-même. Dans le meilleur des cas, ils souffrent en silence, comme le flic incarné par Gilbert Melki, ou, comme son frère, acceptent des compromis. Dans le pire, ils sombrent dans le vice – les clients de Vincent, êtres pathétiques cherchant un peu de réconfort dans ces prestations tarifées – ou dans la folie criminelle, comme… Hé ! Vous ne croyez quand même pas que je vais tout vous raconter, quand même !?!
Les seuls à dégager un peu de lumière dans cette noirceur sont Vincent et Rebecca, portés par la jeunesse et le désir, le plaisir de l’instant présent, de l’énergie brute, l’envie de construire et des rêves plein la tête, corps débordant de désir et cœurs en fusion…
Et encore, ce bonheur, avant d’être impitoyablement fauché par le décès du garçon, commençait déjà à être mis à mal par divers problèmes liés au « métier » de Vincent et au côté sordide de ses prestations… Qui sait ce que serait devenu le couple s’il avait eu l’opportunité de vivre ensemble ? Peut-être aurait-il finit par se séparer, se détester, ou tomber dans une routine tout aussi dévastatrice…
Le portrait de société n’est pas très joyeux, donc, mais il a le mérite de sonner juste. Grâce à la mise en scène de Frédéric Mermoud, incisive, précise, positionnée à bonne distance des personnages, une qualité qui perçait déjà dans ses courts-métrages… Grâce aussi au jeu des comédiens, très complices – c’est le cas de le dire : Emmanuelle Devos, parfaite « célibattante » décidée à prendre sa vie en main avant que son horloge biologique ne sonne le glas de ses désirs d’enfant est aussi convaincante que Gilbert Melki, « célibattu » ayant lui aussi un rapport complexe et douloureux à la paternité…
Et il y a les deux jeunes comédiens du film, talents prometteurs qui n’hésitent pas à se mettre à nu devant la caméra de Frédéric Mermoud, au sens propre comme au figuré. Irradiant de désir, de vie, de rêves, de plaisir brut, Nina Meurisse et Cyril Descours illuminent l’écran et donnent à ce film au propos très froid un côté charnel qui l’humanise totalement.
Alors oublions un peu le côté polar du film, qui risque de décevoir les amateurs du genre. Il est loin d’en être la clé…
Oublions aussi toute tentative de comparer le film au J’embrasse pas d’André Téchiné, auquel il fait penser parfois, de par certains thèmes communs. Evidemment, Frédéric Mermoud ne possède pas l’expérience de Téchiné et Complices est loin d’être aussi intense. Mais il possède néanmoins un certain cachet et mérite que l’on s’y intéresse.
Alors que quelques gros films hollywoodiens réalisent le hold-up parfait sur le box-office, on veut bien être « complices » de ce petit film réussi et contribuer à le défendre sur le net pour qu’il puisse glaner un nombre d’entrées honorable…
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Réalisateur : Frédéric Mermoud
Avec : Gilbert Melki, Emmanuelle Devos, Cyril Descours, Nina Meurisse, Joana Preiss
Origine : France
Genre : drame passionnel déguisé en polar
Durée : 1h33
Date de sortie France : 20/01/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Le Monde
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