Deux individus roulent en silence au coeur de la nuit. On entend monter du coffre du véhicule les gémissements de la femme qu’ils ont kidnappés et qu’ils emmènent dans une cabane isolée, dans le marais poitevin.
Qui sont-ils? Des malfaiteurs ayant l’intention de demander une rançon? Des violeurs ayant l’intention de séquestrer et violer la jeune femme?
Ni l’un ni l’autre. Juste deux adolescents en train de commettre une énorme bêtise…
Louis (Emile Berling) et Greg (Kévin Azaïs) sont deux copains inséparables, malgré leur différence de milieu social. Le premier est le fils du proviseur du lycée. C’est un élève sage et sérieux. Le second est le fils d’un modeste garagiste et connaît un parcours scolaire plus compliqué, qui est sur le point de se terminer définitivement et abruptement.
Greg est en effet sur le point d’être exclu de l’établissement après avoir menacé la nouvelle prof d’anglais (Sarah Stern) avec une paire de ciseaux.
Il en veut terriblement à la jeune femme qui, selon lui, l’a pris en grippe et a tout fait pour le pousser à bout. Avec Louis, ils échafaudent un plan pour se venger d’elle. Ils décident de la kidnapper et de la séquestrer dans la cabane que possède le père de Louis, suffisamment isolée pour que personne ne puisse les repérer. L’idée de départ est juste de lui faire peur et de la relâcher ensuite.
Mais au moment de la libérer, Greg est victime d’un accident de voiture et tombe dans le coma.
Louis, qui a perdu sa mère dans un accident similaire, et à peu près au même endroit, se met à paniquer et ne libère pas la captive. Plus le temps passe, plus la situation devient délicate…
Cette trame très noire qui constitue l’armature de son quatrième long-métrage, Comme un homme, Safy Nebbou est allé la chercher dans un roman de Boileau et Narcejac, “L’âge bête” (1). Bonne inspiration. On connaît le talent des deux écrivains pour trousser des intrigues au suspense haletant tout en ne négligeant pas la psychologie des personnages. Leurs oeuvres ont notamment inspiré à Alfred Hitchcock ou Henri-George Clouzot leurs chefs d’oeuvre, Sueurs froides et Les Diaboliques.
Evidemment, loin de nous l’idée de comparer Safy Nebbou aux deux cinéastes précités, qui évoluent à un niveau cinématographique bien supérieur. Le réalisateur de L’Empreinte de l’ange ne cherche d’ailleurs pas à rivaliser avec eux. Il se contente d’une mise en scène très sobre, trop sage parfois, mais qui a le mérite de se concentrer sur l’essentiel, à savoir la mise en place d’une atmosphère lourde, pesante, funèbre, et la mise en valeur des personnages, qui constituent, plus que le suspense lié à la situation, le véritable intérêt de cette histoire.
Le récit tourne surtout autour de Louis, un adolescent paumé en quête de repères et en quête de… père. Le sien est là, physiquement, mais ne s’occupe pas vraiment de lui, trop absorbé par son travail et trop engoncé dans les idées reçues.
Entre les deux, le dialogue est rare et maladroit, comme quand le père explique à son fils le chemin scolaire élitiste qu’il a prévu pour lui – hypokhâgne, khâgne, école normale… Des ambitions trop lourdes à gérer pour le jeune homme, qui n’a déjà pas surmonté le traumatisme causé par le décès de sa mère ni son absence, qui se fait cruellement sentir dans cet appartement gris et glacial, sans vie.
C’est peut-être en raison de ce lien père-fils défaillant que Louis s’est lié d’amitié avec Greg.
En se liant avec un garçon issu d’un autre milieu, et au comportement de voyou avéré, il cherche à provoquer son père, à défier son autorité et à le faire sortir de sa bulle. Et il trouve aussi en Greg, plus âgé que lui, déjà “homme” et leader naturel, une sorte de père de substitution, un modèle qui assume ses actes et qui sait le pousser à dépasser ses limites…
L’accident remet tout en question. L’image de Greg accidenté se juxtapose avec celle de sa mère agonisante, réveillant ses fêlures intimes, ses vieux démons, et le plongeant dans un profond désarroi… Et la présence de la captive n’arrange rien. Il se retrouve confronté à une présence féminine adulte susceptible d’évoquer la figure maternelle et de susciter en lui des pulsions érotiques normales chez un garçon de seize ans.Elle symbolise aussi la faute qui pourrait compromettre son avenir et lui valoir définitivement le mépris de son père.
Le film prend alors une tournure particulière, se transformant en une sorte de récit initiatique autour d’un passage mouvementé à l’âge adulte, avec en point d’orgue la résolution d’un complexe d’Oedipe torturé et inversé, où il convient de tuer l’image d’une mère déjà morte pour renouer les liens avec le père.
Plus que le film noir que laissait présager le point de départ, très brut, Comme un homme est finalement une histoire de retrouvailles entre un père et son fils. Des retrouvailles douloureuses, difficiles, compliquées, mais qui viennent apporter une lueur d’espoir dans une oeuvre très sombre et qui, in fine, font naître l’émotion.
Evidemment, avec ce type de construction narrative, le jeu des acteurs prend une importance capitale. Et là, il convient de saluer le talent de Safy Nebbou pour choisir ses comédiens et réussir à en tirer le meilleur. C’était l’un des points forts de ses films précédents. Et c’est encore un des atouts de ce quatrième long-métrage. En effet, tous les comédiens jouent juste, tout en sobriété et en finesse, à commencer par Charles et Emile Berling, père et fils à la ville comme à l’écran, Kévin Azaïs, Sarah Stern ou encore Mireille Perrier, que l’on a plaisir à retrouver au cinéma, même dans un petit rôle.
Ils participent pour beaucoup au charme du film et à son intensité dramatique.
Le point négatif, comme évoqué plus haut, est qu’il manque une petite étincelle au niveau de la mise en scène, un brin d’audace, de folie, de style capable de transcender le roman d’origine en une oeuvre cinématographique forte.
Comme un homme n’est donc pas un grand film, mais c’est un thriller et un drame psychologique tout à fait honorables, et une adaptation littéraire réussie, que n’auraient probablement pas renié Boileau et Narcejac. Comparé à certaines inepties qui sortent sur les écrans cet été, on ne va pas faire la fine bouche…
(1) : “L’âge bête” de Pierre Boileau et Thomas Nacejac – coll. Folio Policier – éd. Gallimard
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Réalisateur : Safy Nebbou
Avec : Emile Berling, Charles Berling, Sarah Stern, Kévin Azaïs, Mireille Perrier, Patrick Bonnel
Origine : France, Belgique, Luxembourg
Genre : thriller initiatique
Durée : 1h35
Date de sortie France : 15/08/2012
Note pour ce film : ●●●●