Généralement, quand un cinéaste asiatique réputé surdoué, original et virtuose cède aux sirènes hollywoodiennes et débarque aux Etats-Unis, cela se traduit généralement, hélas, par un net coup d’arrêt pour sa carrière…
Il n’y a qu’à prendre les cas de John Woo, Tsui Hark, d’Andrew Lau ou de Takashi Shimizu pour s’en convaincre.
Leurs films américains n’ont rien de honteux, certes, et certains sortent même joliment du lot des blockbusters yankees (1), mais ils sont bien moins brillants que les oeuvres réalisées dans leurs pays d’origine. Comme si la lourdeur du système hollywoodien et les batailles incessantes avec les producteurs, les acteurs et autres guildes surpuissantes, avait empêché leur talent de s’exprimer pleinement…
Ils ont fini par retrouver leurs pays d’origine, avec plus ou moins de bonheur, usés, en tout cas, par cette expérience américaine…
Pour Hideo Nakata, c’est exactement pareil… Après avoir signé deux petits bijoux du film d’épouvante, The Ring et Dark Water – moyens minimaux pour efficacité maximale – le cinéaste nippon a traversé le Pacifique pour réaliser lui-même Le Cercle 2, la suite du remake de The Ring.
Pas un mauvais film, loin de là, surtout au regard dudit remake. Mais pas vraiment un grand film non plus, malgré la présence de Naomi Watts et le recyclage efficace d’effets horrifiques éprouvés. On percevait la difficulté de Nakata à exprimer correctement son art au sein d’un système aussi cadenassé et on sentait déjà son inspiration commencer à s’essouffler sérieusement… Allait-il être lui-aussi victime de cette malédiction des cinéastes asiatiques expatriés ?
Après un retour au pays des plus discrets – sortie en catimini de son remake, assez plat, de Kaidan, échec relatif de Death Note : L change the world qui ne sortira probablement pas chez nous – on peut le craindre hélas.
Et ce n’est pas Chatroom, nouvelle tentative de s’imposer en occident, qui va nous rassurer sur la capacité du cinéaste à évoluer…
Tourné au Royaume-Uni, ce thriller adapté d’une pièce d’Enda Walsh (2) traite du rapport des adolescents aux nouveaux moyens de communication (internet, les forums de discussion, les réseaux sociaux…), et des dangers bien réels de cet univers virtuel. Il ambitionne de nous faire frémir avec une sorte de “huis-clos’ psychologique qui ne repose que sur les échanges à distance, par ordinateurs interposés, de cinq adolescents mal dans leur peau…
Au départ, on est plutôt confiant.
Après tout, Hideo Nakata a bien réussi à nous filer les pétoches avec une fille en chemise de nuit aux cheveux gras et filasses (The Ring) ou deux flaques d’eau, un ascenseur et un sac rouge (Dark Water), alors ce ne sont pas cinq geeks boutonneux qui vont l’arrêter…
D’autant plus qu’il parvient à parfaitement négocier son entrée en matière et contourner ces deux obstacles majeurs que constituent d’une part l’origine théâtrale du projet et d’autre part, la particularité de ce huis-clos virtuel…
Sur les planches, on imagine que tout reposait sur les interactions entre personnages et une mise en scène jouant sur une occupation précise de l’espace.
Au cinéma, il était compliqué de ne montrer, deux heures durant, que les cinq jeunes pianotant sur leurs claviers, chez eux… Il n’y a plus guère que Lars Von Trier, dans Dogville et sa suite, pour oser jouer la carte du décor minimaliste…
Alors Nakata a eu l’idée audacieuse de représenter graphiquement le cybermonde dans lequel les personnages se retrouvent, en faire un univers cosy, chaleureux, aux teintes vives, qui tranche avec le monde réel, filmé dans une tonalité bleue/grisâtre déprimante.
Ici, internet ressemble à une sorte de long couloir qui donne sur plusieurs portes qui constituent l’entrée autant de sites, ou en l’occurrence, de chatrooms (3). Chaque pièce est personnalisée en fonction des thèmes abordés et des goûts – bons ou mauvais – de ceux qui administrent la place.
C’est ainsi qu’entre les espaces rose-bonbon kitsch de gamines pré-pubères, période Hello Kitty/Twillight et les zones “adultes” parfois dédiées à des pratiques sexuelles extrêmes ou déviantes, on découvre la chatroom créée par William (Aaron Johnson), un adolescent apparemment bien dans sa peau et désireux de se faire de nouveaux amis par ce biais-là. Quatre internautes – Eva, Emily, Mo et Jim – viennent se connecter à ce site, par hasard ou par curiosité. Tous ont à peu près le même âge, habitent la même ville, mais ils ne se connaissent pas. Après deux ou trois mots échangés par claviers interposés, ils décident qu’ils ont envie de faire plus ample connaissance et de fréquenter de façon plus assidue cet espace et son propriétaire, qui sait se montrer affable, à l’écoute, et de bon conseil (jusqu’à un certain point)…
C’est la partie la plus intéressante du film. Elle montre comment internet, ce mode de communication assez froid et désincarné, que l’on verrait plutôt, de prime abord, gêner les relations humaines, permet au contraire aux individus de se livrer plus qu’ils ne le feraient avec des amis ou des proches lors d’un tête-à-tête physique plus traditionnel.
Dans cette chatroom, les adolescents se sentent en confiance. D’un côté, ils ont l’impression d’être spéciaux, uniques, car ils arrivent à capter pleinement l’attention des autres, glanent le soutien et le réconfort que leurs parents, dépassés, ne parviennent plus à leur offrir. De l’autre ils ont l’impression rassurante d’être comme tout le monde, du moins comme ces autres internautes qui ont exactement les mêmes problèmes, les mêmes interrogations qu’eux.
Enfin, l’anonymat, la possibilité de s’abriter derrière un pseudonyme ou une image de soi différente, offrent à ces jeunes l’opportunité de se lâcher pleinement, de dire ce qu’ils ont sur le coeur sans avoir peur des conséquences. Ils sont bien moins inhibés dans ce monde virtuel qu’ils ne le sont dans la “vraie vie”…
Ceci peut avoir vertu de catharsis pour des ados mal dans leur peau.
Mais le danger est aussi de faire émerger la part d’ombre des individus, de voir affleurer des pensées négatives – colère, haine, tendances suicidaires – et de les exacerber…
Hideo Nakata nous surprend agréablement en parvenant à traiter son sujet de manière assez subtile et complète, montrant aussi bien les bons côtés d’internet que ses dangers – notamment la mise en relation avec des personnes malveillantes abritées derrière un masque d’affabilité – et captant avec sensibilité l’essence du malaise adolescent. On n’en attendait pas tant de la part du maître du cinéma fantastique nippon…
En revanche, on attendait beaucoup plus de la partie thriller à proprement parler, et patatras, c’est justement là que le film se plante dans les grandes largeurs…
Au lieu de bâtir sur le principe des identités secrètes, des masques, de l’influence du groupe sur les individus – et réciproquement – le scénario part sur une intrigue assez linéaire, dans laquelle apparaît assez vite la véritable nature de William, adolescent très perturbé psychologiquement, misanthrope plein de haine vis-à-vis de l’ordre établi et de la société, et manipulateur mental assez redoutable…
Résultat, dès que l’on a compris – très tôt, donc… – les intentions réelles de William, l’intérêt du film retombe comme un soufflé et on finit par s’ennuyer ferme…. L’étude sociologique se fait plus simpliste ; l’action, rare, n’est guère passionnante et les personnages sont trop caricaturaux pour que l’on s’y attache vraiment.
D’autant qu’on ne peut pas vraiment compter sur les acteurs pour leur donner un tant soit peu de consistance. Leur jeu est soit trop fade, soit, au contraire, à la limite du cabotinage. Aaron Johnson, notamment, surjoue son personnage quand celui-ci laisse entrevoir son côté sombre. Il frôle même le ridicule quand il accueille ses ex “amis” avec un petit rictus démoniaque fort peu seyant… Non, franchement, il était meilleur dans Kick-Ass…
Matthew Beard en fait également des tonnes pour montrer le côté dépressif de son personnage d’ado mal dans sa peau, mais au moins arrive-t-il encore à nous émouvoir un peu… Ce que ne font pas les personnages joués par Imogen Poots, Hannah Murray et Daniel Kaluuya…
Reste la mise en scène qui, il faut bien l’avouer, est loin d’être mauvaise. Nakata n’est pas manchot avec une caméra, et nous offre quelques beaux moments de cinéma, magnifiés par la belle photo du chef-opérateur français Benoît Delhomme. Mais, faute d’un scénario suffisamment étoffé, faute d’un rythme narratif suffisamment prenant, cette virtuosité semble bien vaine…
Par le passé, cette mise en scène brillante servait à nous scotcher aux fauteuils, à nous mettre le trouillomètre à zéro au point de nous empêcher de dormir la nuit.
Ici, rien… Même pas peur ! Pour un thriller, c’est embêtant…
Oh, on ne s’attendait pas à être traumatisés non plus. C’est un thriller, pas un film d’horreur… Mais on aurait aimé être happés par le scénario, entraînés dans une intrigue riche en faux-semblants et rebondissements… Il y avait la matière thématique et narrative pour. Au moins nous attendions nous à une atmosphère trouble et mystérieuse, dans la lignée du Suicide Club de Sono Sion auquel on pense un peu… Hélas, ce n’est pas le cas.
Malgré sa première partie riche en promesses, Chatroom ne parvient jamais à décoller vraiment. Il demeure un thriller assez banal, trop mou pour convaincre. Dommage car Hideo Nakata n’a rien perdu de son style, ni de son originalité.
Espérons qu’il saura rebondir avec ses prochains projets, pour lesquels ils devrait renouer avec ses premières amours – le film fantastico-horrifique bien flippant – et qu’il parviendra à conjurer la malédiction des cinéaste asiatiques expatriés…
(1) : Il faut reconnaître que Volte-Face n’était pas mal, mais c’est quand même un cran en-dessous des films hongkongais de Woo…
(2) : Egalement coscénariste de Hunger de Steve McQueen.
(3) : une Chatroom est un forum de discussion en temps réel, public ou privé.
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Réalisateur : Hideo Nakata
Avec : Aaron Johnson, Imogen Poots, Matthew Beard, Hannah Murray, Daniel Kaluuya
Origine : Royaume-Uni
Genre : thriller 2.0 mollasson
Durée : 1h27
Date de sortie France : 11/08/2010
Note pour ce film : ●●○○○○
contrepoints critique chez : Abus de ciné
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