On ne saluera jamais assez le travail des journalistes qui oeuvrent chaque jour, souvent au péril de leur vie, à dénoncer les dictatures, les injustices, les souffrances infligées aux peuples du monde. Grands reporters, journalistes de la presse écrite, de la radio, de la télévision, envoyés spéciaux ou correspondants locaux… Tous, par leur écrits, leurs reportages filmés, leur photographies, ils offrent matière à information, réflexion, indignation. A tous ceux là, il convient d’ajouter une catégorie trop souvent oubliée, et pourtant indispensable, les dessinateurs de presse.
C’est à leur travail que s’intéresse le documentaire de Stéphanie Valloato, Caricaturistes, Fantassins de la démocratie.
La cinéaste a demandé à douze dessinateurs venus de différents coins du monde d’expliquer leur parcours, leurs conditions de travail, la spécificité de leur métier et les difficultés rencontrées, et d’exprimer leur sentiment sur l’avenir de leur profession.
Déjà, il y a Plantu, le caricaturiste français qui illumine la une du journal “Le Monde” chaque jour depuis plus de 40 ans, et qui est président et fondateur de l’association “Cartooning for peace” (1), qui veille à promouvoir le travail des dessinateurs de presse dans le monde et veiller à ce qu’aucun d’entre eux ne subisse des pressions ou soit victime de la censure.
Il y a aussi la tunisienne Nadia Khiari, plus connue sous le pseudonyme de Willis from Tunis et dont les dessins ont accompagné la Révolution de Jasmin en 2011, et la vénézuélienne Rayma Suprani, qui a longtemps bataillé contre la censure du président Chavez et continue le combat contre son successeur, Nicolas Maduro. Ou encore l’israélien Kichka et le palestinien Boukhari, qui oeuvrent tous deux pour la paix entre leurs peuples, l’américain Jeff Danziger, connu pour ses dessins au vitriol de George Bush et le russe Mikhail Zlatovsky interdit de publication par le régime de Vladimir Poutine.
Le cubain Boligan, installé au Mexique, met, lui, sa plume au service de la lutte contre les narcotrafiquants, tandis que Slim, l’algérien, continue de se battre contre les intégristes par le biais de la BD.
Le chinois Pi San réalise des dessins animés sur internet, dénonçant les injustices de son pays et le manque de liberté d’expression. Et en Afrique, dans deux pays frontaliers, le Burkina-Faso et la Côte d’Ivoire, Damien Glez et Lassane Zohoré tentent d’apaiser les tensions interethniques et politiques par l’humour et la caricature…
Tous ont des styles graphiques différents et des thèmes de prédilection différents. Evidemment, les préoccupations ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Religion, politique, morale,…, les tabous sont plus ou moins marqués selon les zones géographiques. Les conditions de travail ne sont pas les mêmes non plus. Certains dessinateurs vivent dans des démocraties confirmées – où tout n’est pourtant pas permis – ou balbutiantes. D’autres oeuvrent encore sous des régimes dictatoriaux ou muselant sévèrement la liberté d’expression.
Il y a ceux qui évoluent sur des poudrières politiques, où la moindre vexation peut devenir l’étincelle qui embrase le pays, et qui doivent donc constamment faire attention aux limites à ne pas franchir, ceux qui travaillent en zone de guerre, au péril de leur vie. En Syrie, Ali Ferzat a été passé à tabac par les sbires de Bachar Al-Assad, qui lui ont cassé les doigts. Pour une simple caricature…
Les enjeux sont donc variables, tout comme les conditions de travail des caricaturistes. Les styles de dessin et les voies de diffusion (presse écrite, internet) sont aussi différentes. Mais tous ces dessinateurs ont en commun la même démarche : combattre la bêtise et l’ignorance, lutter contre les injustices, les abus de pouvoir, l’oppression des peuples, promouvoir la Paix, la Démocratie et la Liberté avec leurs armes que constituent le dessin et l’humour.
Le dessin est une langue universelle. Il peut faire rire, émouvoir, choquer, susciter la réflexion. Dans des zones géographiques où la population a peu accès à l’éducation et l’alphabétisation, il est un important outil de communication, de lien entre les individus.
Ils permettent en outre de relativiser certains faits sensibles ou de représenter de façon moins brutale des choses insoutenables.
La caricature est aussi un art de l’impertinence et de la provocation. Elle suscite des débats enflammés qui peuvent permettre de régler des problèmes, ou du moins de sensibiliser le peuple à ceux-ci. La distance humoristique permet d’aborder n’importe quel sujet plus facilement et de véhiculer des idées, des valeurs. C’est en cela que ces dessinateurs sont des fantassins de la Démocratie. Ils apportent aux peuples du monde matière à réflexion et à débat, combattant ainsi l’obscurantisme et la pensée unique.
Alternant les paroles des douze dessinateurs et leurs dessins, assez irrésistibles, le film expose toutes les problématiques auxquelles sont confrontés ces caricaturistes, en revenant notamment sur la polémique des “Caricatures de Mahomet” dans un journal humoristique danois : Jusqu’où aller dans la provocation, l’impertinence, l’humour? Y-a-t-il des tabous, des limites à ne pas franchir? Comment répondre aux menaces des intégristes et des radicaux de tout poil? Quel avenir pour le dessin de presse dans un monde où la presse lutte pour son indépendance?
Les dessinateurs donnent des pistes de réflexion, des idées pour contourner la censure, et pour faire en sorte que le dessin devienne un véritable promoteur de paix dans le monde. Plantu, qui avait réussit à faire dessiner sur la même feuille Yasser Arafat et Shimon Perès, bien avant la mise en place du processus de paix israélo-palestinien, essaie de coordonner ces efforts avec l’association “Cartooning for Peace”, tout en renforçant les liens de fraternité entre les dessinateurs du monde entier.
Ils étaient tous là pour la projection du film en sélection officielle à Cannes, hors compétition, soudés et complices comme jamais, et prêts à défendre leur métier contre tous les empêcheurs de penser en rond, les tyrans de pacotille et les fâcheux liberticides.
Produit par Radu Mihaileanu, cinéaste dont on connaît l’humanisme et l’engagement citoyen, et réalisé par une jeune cinéaste tout aussi déterminée à oeuvrer pour la liberté de création et de pensée, Caricaturistes, Fantassins de la Démocratie est un documentaire intelligent, drôle, émouvant et surtout utile.
Il met en lumière le travail de toutes ces femmes, tous ces ces hommes, qui dessinent pour faire triompher la paix et la justice, avec des mines de crayons plutôt que des mines antipersonnel, et des fusains plutôt que des fusils…
(1) : le site de Cartooning for Peace : www.cartooningforpeace.org
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