Niki affpro[Un Certain Regard]

De qui ça parle ?

De Niki de Saint Phalle, sa vie et son oeuvre. Du moins une partie de sa vie, entre 1950 et 1970, période où elle s’est découvert une vocation artistique et a resculpté sa vie autour de cette passion essentielle, qui lui a permis de surmonter des traumas d’enfance dévastateurs.

Pourquoi on ne peut pas voir le film en peinture ? (1)

Parce qu’on ne peut pas voir les peintures en question, justement. Ni les gravures et les sculptures. A peine voit-on les performances originales (comme “Les Tirs”, évoqués). Ce n’est pas un choix de la cinéaste. Les ayants droit n’ont pas donné à la production l’autorisation de les utiliser dans le film. C’est frustrant pour le spectateur, qui voit le personnage créer ses propres mélanges de couleurs, jouer avec les matières, mais jamais les oeuvres elles-mêmes.
Evidemment, on peut aussi voir dans cette contrainte l’occasion de faire travailler un peu son imagination, ou de pousser la curiosité à se documenter, après avoir vu le film. Mais durant la projection, c’est plus rude. Il aurait fallu que la mise en scène parvienne à compenser ce vide en proposant une forme virtuose. Pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Céline Sallette fait ce qu’elle peut mais manque peut-être un peu d’expérience pour transcender le récit. Sa mise en scène est honorable et on sent que le sujet l’a sincèrement intéressée, mais le film manque un peu de folie douce, d’originalité, pour restituer l’univers artistique singulier de Niki de Saint-Phalle.
L’artiste avait un côté avant-gardiste et provocateur qui tranche avec le côté classique, un brin académique de ce biopic (2), qui ne rend donc pas complètement justice à l’œuvre et à l’âme de son sujet. On a souvent l’impression d’assister à la version filmée de la page wikipédia de l’artiste, informative, mais linéaire, alors qu’on aurait adoré la version “Nikipédia”, colorée, vibrante et audacieuse.

Heureusement, Céline Sallette a eu du flair en proposant le rôle à Charlotte Le Bon, qui livre ici une performance impressionnante. Il est vrai que l’actrice possède de nombreux points communs avec Niki de Saint Phalle. Comme elle, elle a commencé comme mannequin, repérée pour son physique avenant, avant de s’affirmer et trouver sa place en tant que comédienne, puis réalisatrice et même artiste-plasticienne (3). Elle porte aussi, comme Niki et Céline Sallette, une parole féministe forte, libre et engagée. Elle se glisse donc parfaitement dans la peau du personnage et parvient, par la grâce de sa palette de jeu impressionnante, lui permettant de restituer avec intensité et subtilité les différentes facettes du personnage : la jeune mannequin/maman/épouse bourgeoise à qui tout semble réussir, la femme soudain tourmentée par des cauchemars issus de l’enfance, ce qui va la conduire à un séjour en institut psychiatrique et enfin l’artiste, qui parvient, par la création, à exorciser ses démons, même si cela implique pour elle de changer d’existence et de faire des sacrifices. Charlotte Le Bon apporte au film toute sa sensibilité et son intensité, lui redonnant un peu de relief.

Au final, Niki est un film intéressant, qui permet à un large public de découvrir une artiste singulière et une femme forte, qui a réussi à se libérer de son carcan familial pour trouver sa liberté et à s’imposer dans un milieu artistique majoritairement dominé par les hommes. Même si elle aurait pu être un peu plus audacieuse dans sa mise en scène, Céline Sallette réussit à mener à bien son projet malgré les contraintes et s’en tire finalement assez bien, grâce à sa direction d’acteurs – là son expérience personnelle joue probablement favorablement – et la performance majeure de son actrice principale.

(1) : C’est une image, hein… On ne déteste pas le film, même si on a quelques réserves…
(2) : Mes lecteurs savent que les biopics ne sont pas vraiment ma tasse de thé, donc cette critique est à relativiser.
(3) : A découvrir ici :
Charlotte Le Bon – Drawings, Paintings, Photography & Films (lebonlebon.com)

Contrepoints critiques :

“ À la fois incisif et d’une grande douceur, Niki est un portrait féminin plein d’images subversives. Celle d’une petite fille puis d’une femme enragée, qui exprime sa colère dans la création. Celle d’une femme libre qui refuse de se conformer aux attentes de la société”
(Anaïs Bordages – Slate)

”On quitte ce film avec le sentiment double qu’il s’agit d’un galop d’essai intéressant mais qu’il y a encore du progrès à accomplir pour parvenir à un long-métrage plus abouti. Toutefois, Céline Sallette s’en sort avec beaucoup de brio, grâce à des interprètes très investis et un sujet éminemment passionnant.”
(Laurent Cambon – A voir A lire)

Crédits photos : Images fournies par le Festival de Cannes – copyright photo Julien Panié, 2024 – Cinéfrance studios, Wild Bunch, France 2 cinéma – Onzecinq

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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