Les feuilles mortes affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

De la rencontre de Ansa (Alma Pöysti), caissière de supermarché solitaire, et Holappa (Jussi Vatanen), un ouvrier alcoolique et de leur tentative de développer une histoire d’amour malgré un contexte politique, économique et social déprimant.

Pourquoi on aime cette chanson qui nous ressemble ?

La trame est typique d’une comédie romantique américaine. Quand Holappa rencontre Ansa, ils se plaisent vaguement sans se l’avouer, manquent plusieurs fois l’occasion de se mettre ensemble, à cause d’un bus, d’un coup de vent ou d’un coup du sort, avant de finir par se retrouver et de s’aimer.

Le contexte est, lui, un peu plus grave, plus sombre, plus dans la mouvance du cinéma social européen, tendance Ken Loach. Ansa est confrontée à la mesquinerie ou aux magouilles de ses employeurs mais semble résignée à ne pas trouver mieux. Holappa est un peu trop porté sur l’aquavit et autres alcools plus ou moins raffinés qui lui permettent d’oublier sa vie minable.
Pour plomber encore l’ambiance, la radio enchaîne les flashs infos sur la guerre en Ukraine. Non, définitivement, on n’est pas dans le ton d’une pure comédie romantique américaine, même si tous les codes sont là.

La forme du film, elle, indique clairement  qu’il s’agit d’un film d’Aki Kaurismäki. Le choix des cadrages, des éclairages, avec des touches de couleurs vives qui viennent égayer un peu des images ternes ou crépusculaires sont des éléments constitutifs de son cinéma. Idem pour la façon de filmer en plan fixe des personnages peu bavards, mais terriblement expressifs.

Les Feuilles mortes nous rappelle beaucoup ses oeuvres de jeunesse mais aussi ses plus beaux films. Déjà, le titre évoque Prévert, que citaient les personnages de Calamari Union. Le métier d’Ansa et ses déboires évoquent partiellement Ombres au paradis. D’une manière générale, le parcours de ces deux êtres solitaires, ayant du mal, pour des raisons diverses, à garder leur emploi, rappelle un peu les galères des chômeurs d’Au loin s’en vont les nuages, ou les errances de L’Homme sans passé. ils ont du mal à se trouver, comme Koistinen et sa brune dans Les Lumières du faubourg. Bien sûr, il y a aussi cette ambiance singulière, oscillant constamment entre la comédie poétique et le drame sordide, comme dans son dernier opus, De l’autre côté de l’espoir.

Mais ici, la situation des personnages est moins désespérée que celles des autres personnages de Kaurismäki. Ansa et Holappa ne sont ni des migrants sans-papiers, ni des chômeurs criblés de dettes. Ils doivent se battre pour vivre, comme beaucoup d’autres personnes, et ont du mal à trouver des jobs pérennes, mais ils ne sont pas en situation d’urgence absolue. Ils se sont résignés à leur condition modeste. ils ne visent ni la réussite professionnelle, ni l’élévation sociale. Ils veulent juste gagner de quoi se payer un toit, de quoi manger à leur faim et éventuellement quelques plaisirs à côté, comme aller boire un verre ou aller au cinéma voir de vieux classiques. En revanche, arrivés à l’automne de leur vie (tous deux ont une quarantaine d’année), Ansa et Holappa crèvent à petit feu de leur solitude. Ils ont de plus en plus de mal à faire face aux difficultés et envisagent l’avenir avec une certaine angoisse. Leur rencontre leur redonne un mince espoir. A deux, ils  se disent qu’ils pourront peut être mieux encaisser les aléas de l’existence et s’épauler lors de l’hiver qui s’annonce.

L’amour proposé en antidote aux petits tracas et aux grandes préoccupations, la couleur opposée aux ténèbres. La poésie pour balayer les horreurs de la guerre. La musique pour égayer le tumulte des villes. Voilà ce qu’offre Kaurismäki à ses personnages, et à ses spectateurs. Et ces quelques minutes de douceur (81 minutes, soit le film le plus court de la compétition cannoise 2023) dans un monde de brute font un bien fou. Porté par la réalisation élégante de Kaurismäki et les jolies performances d’Alma Pöysti et Jussi Vatanen, Les Feuilles mortes séduit par sa tonalité douce-amère, qui possède à la fois la beauté et la mélancolie d’un jour d’automne. 

Contrepoints critiques :

”Au royaume de l’humour pince-sans-rire, le rapport est, cette fois, stupéfiant entre la profondeur de la mélancolie et la drôlerie irrésistible que le cinéaste parvient à y puiser.”
(Louis Guichard – Télérama)

”On concède qu’on garde un fond de méfiance pour ce cinéma à l’humanisme à gros trait (…) dont l’humour à froid ne séduit que par intermittence (…) Reste que Les Feuilles mortes, tout en restant un objet un peu anecdotique, contient quelques belles scènes de rapprochement amoureux, où la raideur caractéristique des personnages de Kaurismäki se couple ici à l’embarras charmant de deux corps qui s’apprivoisent avec maladresse”
(Josué Morel – Critikat)


Crédits photos : copyright Malla Hukkanen/Sputnik – images fournies par le festival de Cannes 

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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