De quoi ça parle?
Des différents ateliers de confection textile qui fleurissent dans la province du Zhili, à 150 km de Shanghai, et de ceux qui y travaillent, essentiellement des jeunes tentant d’y faire fortune ou de se construire une vie meilleure.
La région héberge des milliers de ces petits ateliers de confection qui produisent des vêtements plus ou moins bas de gamme destinés au marché intérieur ou à l’export. Ils attirent chaque année 300 000 jeunes viennent y travailler de façon saisonnière. La plupart viennent des zones rurales avoisinantes, parcourues par le fleuve Yangtsé. Ils rêvent de quitter le monde rural pour s’installer en ville et, pourquoi pas, devenir patron à leur tour. Sinon, ils entendent retourner dans leur village avec de quoi s’offrir des biens matériels en adéquation avec leurs attentes : une petite maison, un intérieur coquet ou le financement d’un hypothétique mariage.
Pourquoi le point de croix se mue en chemin de croix?
L’intérêt principal de Jeunesse (Le Printemps) est la description du fonctionnement de ces ateliers, reposant sur un modèle presque autonome, déconnecté du pouvoir central chinois. Ils ne reposent pas sur l’organisation habituelle des grandes usines textiles chinoises. Ce ne sont que de petites structures, souvent individuelles ou familiales qui embauchent du personnel en fonction des commandes reçues. Des entreprises peuvent être générées de façon spontanée, sans autorisation administrative, sans accord de crédit bancaire. Il y a beaucoup d’ouvriers disponibles et de négociants auprès de qui s’approvisionner en machines et matières textiles.
Les ouvriers effectuent de grosses journées de travail, de 8h à 23h, avec juste deux pauses dans la journée. Ils sont payés à la pièce, en fonction de la difficulté technique, et ne touchent leur salaire qu’après une négociation commande par commande, en fonction des gains réalisés par leur patron. En fonction de la situation économique, du coût des matières, les salaires peuvent s’avérer très décevant au regard des efforts accomplis, mais c’est la loi du système capitaliste pur et dur. Les petites mains sont sont souvent des personnes très pauvres, exploitées par des employeurs qui ne sont guère mieux lotis qu’eux, puisqu’ils ne tirent souvent qu’une somme dérisoire de leur travail, une fois payées les traites, les avances sur trésorerie et les matières premières. Et la réussite ne tient souvent qu’à un fil, si vous nous pardonnez l’expression, puisqu’il faut encore que la totalité des articles fabriqués réussisse à se vendre, malgré la forte concurrence entre les ateliers.
Ceci n’empêche pas les entrepreneurs d’accueillir chaque année de nouveaux couseurs motivés. Car malgré des conditions de travail souvent difficiles, ils sont mieux lotis que s’ils devaient travailler la terre dans leurs campagnes d’origine, et ils jouissent malgré tout d’une certaine liberté au sein de ces structures familiales. Ils négocient directement les salaires avec le patron, peuvent travailler en discutant et en écoutant de la musique. Ils sont libres d’échanger des opinions, de s’exprimer à l’intérieur de la structure. Autant de choses qu’il est plus difficile de concevoir dans une grande entreprise contrôlée par le pouvoir central.
Wang Bing montre aussi le versant plus humain de ce quotidien, les liens qui se nouent au gré des longues journées de travail et de la cohabitation dans des appartements-dortoirs exigus. Ces jeunes gens pleins de vie ont les mêmes aspirations que les personnes de leur âge. Ils veulent être connectés au monde, se faire des amis, trouver des partenaires sentimentaux – et fonder une famille, une fois que les choses vont un peu trop loin. Il dresse, d’une certaine façon le portrait d’une jeunesse chinoise pleine de rêves et avide de liberté, loin des portraits moralisateurs ou misérabilistes que peuvent esquisser certains cinéastes.
On ne peut nier qu’il s’agit d’un joli travail de documentariste, surtout au vu de la durée de tournage, échelonnée sur cinq ans. Le problème, c’est que le film est long, très long, trop long…
En 90 mn, on aurait pu apprécier la démarche et comprendre parfaitement les messages véhiculés par Wang Bing. Mais avec 3h35 de métrage, on finit rapidement par trouver l’ensemble répétitif et terriblement ennuyeux, d’autant que rien ne vient vraiment pimenter les choses. Le film alterne travail dans les ateliers (avec le bruit des machines comme seule bande-son, sauf quand il est couvert par des chansons de variétés chinoises parfois bien kitsch), tranches de vie (les jeunes discutent de choses et d’autres, tentent des parades nuptiales ou se prennent le bec pour des broutilles) et longues séquences de négociation patron-employés où chacun y va de son calcul d’apothicaire pour grapiller quelques yuans.
Au bout d’une demie heure, le spectateur a quasiment fait le tour de la question. Au bout d’une heure, il commence à trouver le temps long. Au delà d’une heure et demie, cela devient une vraie souffrance.
Durant une pause, les travailleurs jouent à Shifumi. On a envie de traverser l’écran et leur conseiller de jouer plus souvent l’atout “ciseaux”, outil bien utile pour couper les fils qui dépassent, mais aussi le superflu dans les séquences filmées. Wang Bing, hélas, privilégie plutôt la “pierre”. Il accumule les séquences comme on empile des briques, alourdissant complètement sa structure. L’intérêt du film s’essouffle fatalement, inéluctablement.
Visionner l’intégralité du métrage sans céder à la tentation du sommeil s’apparente à une véritable épreuve, un chemin de croix en points de croix et piqués-décalés. Et on prend un teint passablement délavé en apprenant qu’il ne s’agit que du premier volet d’une trilogie. Désolé, mais ce sera sans nous, n’en déplaise aux adorateurs du cinéaste chinois – il y en a – qui voudront en découdre avec nous.
Contrepoints critiques :
”Trois heures et demie de machines à coudre et d’ores et déjà une potentielle palme d’or si l’on veut bien imaginer un improbable alignement de planètes voyant un jury mené par Ruben Ostlund prendre fait et cause à notre diapason pour ce nouveau chef-d’œuvre de Wang Bing”
(Didier Péron – Libération)
”Litanie du travail à la chaîne dans des ateliers, moments de détente dans les dortoirs d’une cité grise comme la pierre. Cela justifie-t-il 3 heures 30? Oui, c’est même la condition nécessaire pour la garantie de notre immersion. Grand film.”
(Pascal Gavillet – @PascalGavillet sur Twitter)
”#Cannes2023 : avec #Jeunesse, #WangBing livre un documentaire trop long et lourd dans son propos mais étonne cependant par sa façon moderne de parvenir à dramatiser le réel.”
(Close-Up magazine – @Close_UpMag sur Twitter)
Crédits photos : copyright Gladys Glover – House on fire – CS Production – Arte France production – Les Films Fauve – Volya Films – Images fournies par le festival de Cannes