Avant, nos aïeuls qui voulaient acheter voir un spectacle faisaient la queue au guichet et patientaient jusqu’à ce qu’on leur remette un petit morceau de papier qui leur permettaient d’accéder à l’évènement.
Aujourd’hui, tout est numérique. Plus besoin de se déplacer, la réservation s’effectue depuis un ordinateur ou un smartphone, à la vitesse de l’éclair (ou de la fibre). Les billets sont dématérialisés et s’obtiennent en e-version, QR code, PDF… C’est moderne, pratique moins fatigant et écoresponsable! Ah, c’est beau le progrès! Enfin, quand cela fonctionne…
Prenez la billetterie du Festival de Cannes. Il n’y a pas si longtemps, les noctambules pouvaient assister au curieux ballet des cinéphiles les plus acharnés, qui attendaient dès 3h du matin devant le Palais des Festivals afin d’être les premiers à l’ouverture de la billetterie et bénéficier de précieux sésames les prestigieuses soirées de gala de la compétition. De nombreuses séances étaient également accessibles par badge d’accréditation, selon une hiérarchie bien établie. Il fallait là encore faire la queue pour avoir une chance de pouvoir accéder à la projection. Et comme le Festival de Cannes est le plus important festival de cinéma du monde, cela représentait des files d’attente d’une certaine envergure, bien peu compatibles avec les règles de distanciation sociale mise en place durant la crise sanitaire. Alors, depuis l’an dernier, toutes les séances sont accessibles depuis une billetterie unique en ligne. Les films de la sélection officielle, la Quinzaine des Réalisateurs, la Semaine de la Critique, l’Acid ou Cannes Cinéphiles sont accessibles depuis une application en un clic de souris ou un tour de doigt.
Mais là encore, qui dit plus grand festival de cinéma du monde dit beaucoup de cinéphiles, tous prêts à bondir dès l’ouverture de la billetterie sur les films les plus attendus. De quoi saturer rapidement les serveurs, faire planter le site de réservation et faire disjoncter les festivaliers. Si l’ouverture du site de réservation, samedi dernier, s’est déroulée sans gros problème, ce fut plus compliqué dimanche, avec de nombreux ralentissements et déconnexions dès l’ouverture, et des difficultés pour obtenir certains billets. Et ce fut catastrophique ce lundi, avec en prime le plantage intégral du site. Un néophyte aurait pu se demander si ce “504 Gateway Timeout” dont tout le monde parlait n’était pas le film le plus attendu du festival. En tout cas, il a occasionné un suspense totalement hitchockien et à l’issue incertaine, tenant en haleine des centaines de spectateurs jusqu’à son dénouement. Pour ceux qui ont eu la patience du moins, car l’intrigue s’est déroulée sur de nombreuses heures et un rythme assez contemplatif, susceptible de décourager même les plus fidèles adorateurs de Lav Diaz.
Pour les organisateurs, ces dysfonctionnements n’ont pas uniquement été causés par un nombre de connexions important. Ils pensent que le site complet du festival a fait l’objet d’une cyber-attaque pour perturber le bon fonctionnement de la manifestation. C’est possible, au vu de la renommée de cette manifestation culturelle, qui de surcroît met en lumière des artistes qui dénoncent toutes les dérives, tous les totalitarismes. Qui a tenté de saboter le festival ? Hackers russes furieux de voir leur pays boycotté? Intégristes fâchés de voir des oeuvres remettre en question leurs idéologies? Partisans de droite ou de gauche cherchant à venger la défaite de leur champions aux dernières élections? Ou complotistes persuadés que les cinéphiles sont tous des vaccinés inoculés à la 5G (ce qui est pratique, il est vrai, pour accéder plus vite à la billetterie)?
Sont-ce les mêmes qui s’attaquent à la SNCF? Parce que le voyage Paris-Cannes a aussi connu quelques complications. Pour votre serviteur, cela a commencé par un billet (électronique, forcément) perdu dans les limbes de l’application SNCF Connect. Impossible de retrouver le billet correspondant à partir du numéro de réservation, du nom (en ai-je changé récemment?) ou du numéro de train. Perdu dans la quatrième dimension… Un robot m’a gentiment invité à contacter un autre robot au service client, qui m’a orienté vers un numéro de téléphone et potentiellement, un humain au bout du fil. Las, le numéro semblait perpétuellement occupé ou en dérangement. Le début du “Big Bug” prédit par Jeunet? Argh! Le système de paiement semble bien fonctionner en revanche, puisque le montant avait bien été débité sur mon compte bancaire. J’avais entendu parler de dysfonctionnements sur cette nouvelle application de la SNCF, mais je pensais qu’il s’agissait de bugs légers. Il venaient de communiquer sur la possibilité, désormais, de changer la couleur de fond de l’application, ce qui était un motif d’insatisfaction des usagers. A la SNCF, on a le sens des priorités! Ca plante, certes, mais sur fond blanc désormais. C’est moins triste!
J’ai heureusement pu trouver un autre billet, sur un autre train en partance ce lundi en milieu de matinée. Tout se passait plutôt bien quand, à Toulon, le conducteur nous a annoncé que nous allions rester à quai “un certain temps”. La raison? Un problème d’aiguillage… Piloté par informatique (donc piratable). Euh, les hackers, vous ne pourriez pas aller perturber une autre manifestation? Il y en a plein en France et ailleurs. Tenez, à la Porte de Versailles, il y a bientôt le salon du CBD. Ca va embêter les visiteurs, certes, mais ils pourront se détendre une fois qu’ils auront accès au salon, hein…
Au bout d’une heure, la SNCF nous a indiqué que le trafic était presque totalement interrompu et qu’il ne reprendrait sans doute pas avant plusieurs heures. Les voyageurs étaient cordialement invités à se débrouiller par eux-mêmes en partageant un taxi ou un Uber. Hop, un clic sur l’appli et… ah ben ça plante aussi… Ah le terrible complot!
Bon, difficile d’y voir la main de quelque organisation terroriste. C’est sûr que quatre-cents personnes connectées d’un coup pour une dizaine de voituriers présents dans le secteur, ça occasionne quelques complications, et des hausses de tarif subites en raison de la forte demande… C’est beau le progrès, et enrichissant!
La bonne nouvelle, c’est que finalement, le train a fini par repartir et à arriver en gare avec “seulement” deux heures de retard. Mais l’essentiel est d’être enfin arrivé et prêt à vous faire partager le Festival de Cannes 2022 sur Angle[s] de vue.
Crédits photos :
Affiche 75 : © FDC / Philippe Savoir (www.filifox.com)
Affiche officielle Cannes 2022 : © Paramount Pictures Corporation – Jim Carrey, The Truman Show de Peter Weir / Graphisme © Hartland Villa
« 504 Gateway Timeout » a tellement plu au public qu’ils ont déjà sorti la suite, le « 502 Bad Gateway », en ligne depuis dix bonnes minutes…
Frustration.
Une trilogie est-elle à craindre? Bon courage!