[Hors Compétition – Séance spéciale]
De quoi ça parle ?
D’une guerre. Pas de celle qui oppose aujourd’hui la Russie à l’Ukraine, mais de la guerre civile qui a ravagé le Soudan du Sud de et qui continue aujourd’hui de faire des victimes du fait des affrontements permanents entre tribus rivales.
Le Soudan du Sud est l’un des plus jeunes états de la planète. Il est né en 2011 après la décision, par voie référendaire, de séparer le territoire du reste de la République du Soudan. Si des conflits locaux ont pu éclater à la frontière des deux états, réveillant le spectre de la longue guerre civile qui a frappé le Soudan entre 1955 et 1972, opposant le nord, à majorité musulmane et le sud, à majorité catholique et animiste, c’est une guerre fratricide qui a opposé, dès 2013, les partisans du Président Salva Kiir et ceux du vice-président Riek Machar, devenu son rival politique. Initialement politique, le conflit a pris une dimension ethnique, avec des massacres de civils et de nombreux crimes de guerre commis par les deux camps belligérants. On estime que le conflit a fait plus de 350 000 morts et occasionné la fuite de plus d’un million de personnes vers des pays limitrophes.
En 2018, des accords de paix ont été signés entre les deux camps, mais ils restent très fragiles, faute d’unité politique au sein du gouvernement. Les camps de réfugiés internes au pays restent encore ouverts et les ethnies minoritaires, comme les Nuer, ne se font guère d’illusions quant à la possibilité de récupérer les terres dont ils ont été expropriés. Au coeur du pays, les conflits armés continuent, même s’ils ne concernent plus vraiment les deux camps de belligérants initiaux. Marquées par les nombreuses années de guerre et de misère, certaines tribus continuent d’utiliser les armes pour défendre leurs intérêts locaux. Le bétail, notamment, est source de conflits. Les vols entre tribus sont fréquents et occasionnent des règlements de comptes tragiques. Comme le gouvernement n’intervient pas pour faire cesser les conflits, le cycle de la violence peut continuer indéfiniment.
Mais le documentaire de Christophe Castagne et Thomas Sametin parle surtout de la paix. Après avoir reprécisé le contexte, il s’attache surtout aux efforts de deux sud-soudanais pour promouvoir la réconciliation entre les factions belligérantes et donner un peu d’espoir à l’ensemble de la population, et notamment aux plus jeunes, qui n’ont connu jusque-là que la guerre civile et doivent essayer de se construire un avenir plus serein, dans le respect et la tolérance.
Gatjang est un Nuer. Il vit depuis plusieurs années dans un camp de réfugiés de l’ONU près de Juba. Là, il officie comme arbitre de football, apprenant aux plus jeunes le respect de règles communes et promouvant les valeurs du sport, comme le respect et la tolérance.
Nandege, de son côté, est médiatrice pour la paix. Elle est chargée de réconcilier des chefs de tribus qui, depuis des années, s‘entretuent pour du bétail, l’une des rares ressources locales (qui sert aussi de dot pour les mariages). Une tâche difficile, car, il faut réussir à faire oublier le passé aux différents belligérants pour mieux construire l’avenir, évacuer toutes les rancoeurs pour pouvoir renouer des liens.
Pourquoi le film est-il sur la Croisette ?
Parce qu’il est produit par Forest Whitaker, prix d’interprétation masculine en 1988 pour son incarnation de Charlie Parker dans Bird, et qui a reçu lors de la cérémonie d’ouverture une Palme d’honneur, pour l’ensemble de sa carrière.
L’acteur américain ne s’est pas illustré que dans le cinéma. Il a créé en 2012 la Whitaker Peace and Development Initiative, une fondation engagée pour la promotion de la paix dans certaines régions du monde, grâce à des programmes éducatifs, culturels et sportifs destinés à aider les populations à sortir de la logique de la violence qui empêche à leur pays de se développer correctement. Il est également envoyé spécial de l’Unesco pour la Paix et la réconciliation depuis 2014. Ce documentaire valorise l’action de son association et met en exergue le travail de deux jeunes bénévoles engagés dans les programmes mis en place.
Pourquoi on aime le film ?
Si For the sake of peace ressemble par moments à un spot publicitaire géant pour la fondation de Forest Whitaker et pourra faire grincer quelques dents en raison de son côté un peu didactique et bien-pensant (la guerre, c’est mal/la paix, c’est bien), il a le mérite de mettre en lumière la situation de ce pays, assez peu médiatisée, et de décortiquer les mécanismes qui, le plus souvent, sont à l’origine des conflits et les entretiennent.
Peu importe de savoir qui a commencé le conflit entre les tribus. Chaque camp a commis des meurtres, volé du bétail, accompli une vengeance. Autant d’exactions qui alimentent la haine entre eux, alors qu’ils auraient bien plus de raisons de s’entendre que de se détester. Mais par orgueil, par méfiance, par réflexe guerrier hérité de nombreuses années de conflits, les chefs de tribus restent campés sur leur positions. Leur conflit n’a plus grand chose à voir avec le conflit initial, qui était purement politique. Ils ont juste pris l’habitude d’utiliser la force et les armes pour se faire respecter.
Mais cette violence se retourne contre eux. A cause des risques, personne ne souhaite investir dans la construction d’infrastructures, de routes qui pourraient aider à ces tribus de se développer, de gagner accès à certaines ressources vitales, comme l’eau et la nourriture. Ils restent donc dans une certaine misère, qui induit à son tour des actes violents. L’enjeu n’est pas juste de faire cesser un conflit fratricide totalement absurde. Il est aussi de permettre à un peuple de se développer pour améliorer ses conditions de vie dans un contexte difficile.
Surtout, le film de Christophe Castagne et Thomas Sametin dresse le portrait de deux personnes formidables, des citoyens engagés pour la paix et le développement de leur pays. Gatjang Dagor, ce réfugié qui a tout perdu, sauf sa dignité et ses valeurs, oeuvre à sa façon pour donner un avenir meilleur aux enfants de son pays, ces gamins qui n’ont connu que la misère et la guerre. Nandege Magdalena Lokoro, mère de famille de 18 ans seulement, milite non seulement pour la paix, mais aussi pour donner à la femme toute sa place dans une société encore trop patriarcale. Grâce à son parcours qui, depuis son village d’origine, l’a menée à un diplôme de sage-femme obtenu en Ouganda, puis à des missions de médiation pour le compte de la Whitaker Peace & Development Initiative, elle peut servir d’exemple à des dizaines de jeunes filles et leur permettre d’accéder à une éducation et un avenir meilleur.
Leur combat à tous les deux est admirable. Si davantage de personnes étaient aussi investies que Nandege et Gatjang, nul doute que la planète se porterait bien mieux…
Crédits photos : photographies fournies par le Festival de Cannes – tous droits réservés