Coupez - Z comme Z[Hors compétition, Film d’ouverture]

Quand on pense au Festival de Cannes, on pense généralement à des oeuvres d’Art & d’essai ambitieuses, mises en scène à la perfection et techniquement irréprochables, à des performances dramatiques mémorables, bref à du Cinéma avec un C majuscule. C’est pourquoi les festivaliers ont fait une drôle de tête en découvrant le premier tiers du film d’ouverture de cette 75ème édition, Coupez! qui célèbre plutôt le cinéma avec un Z comme série Z.

On découvre une petite équipe de tournage en train de réaliser un film de zombies. Le réalisateur (Romain Duris) commence à s’agacer car la comédienne (Matilda Lutz) n’arrive pas à jouer la peur correctement dans ce qui est la scène cruciale de son film. Il s’emporte aussi contre l’acteur principal (Finnegan Oldfield), qui lui pourrit la vie depuis les répétitions. Une pause est décrétée, pendant laquelle de vrais morts-vivants s’invitent sur lieu de tournage, pour la plus grande joie du cinéaste, qui peut enfin tourner son chef d’oeuvre.

Pour le spectateur (le vrai), c’est plutôt la consternation. Il se demande si Michel Hazanavicius ne s’est pas pris un coup de hache (ou autre substance illicite) derrière le ciboulot pour s’être lancé dans cette comédie lourdingue, où rien ne fonctionne. Les zombies, teints au bleu de méthylène ou à la chlorophylle concentrée, semblent avoir été peinturlurés par des gamins de dix ans. Ils avancent au ralenti en grognant des trucs comme “Brrrrraaaaaaaas!” ou en expulsant des geysers de vomi jaune. Face à eux, les humanoïdes sont paumés. L’actrice principale crie faux (et longtemps), la maquilleuse pratique des clés de bras à faire pâlir Jean-Claude Van Damme, l’acteur principal tente de donner du sens à son personnage en se lançant dans des diatribes anticapitalistes. Etrangement, tous ont des prénoms japonais : Higurashi, Natsumi, Hosoda, Chinatsu ou Ken – ce qui donne lieu évidemment à quelques répliques graveleuses – sauf le personnage de l’ingénieur-son, qui répond, lui, au prénom de Jonathan… Leur jeu est déconcertant, souvent à côté de la plaque. Le rythme est bizarre, accumulant les longueurs et quelques moments gênants, étirés au-delà du raisonnable, où même les vieilles recettes du cinéaste, utilisées dans La Classe Américaine ou les deux premiers OSS 117, ne fonctionnent plus vraiment. On s’agace du comique de répétition lourdingue, des jeux de mots foireux, des effets de mise en scène curieux… Mais on sent bien que quelque chose cloche.
Il y a un vrai décalage entre ce que l’on voit à l’écran et les ambitions de la mise en scène. Car, aussi calamiteux soit-il au niveau des dialogues, des situations et du jeu des comédiens, cette première partie du film est tournée ens un seul et unique plan-séquence de trente minutes, au timing finalement assez efficace et truffé de quelques jolis effets de mise en scène, à l’instar de la poursuite en ombres chinoises. La prouesse technique tranche avec le reste et incite à découvrir la suite.

Gagné! La seconde partie, plus classique, nous explique la genèse avant que la troisième, conçue comme un making-of, nous invite à appréhender le début du film sous un angle totalement différent. Tout finit par s’éclairer : Les bizarreries, les longueurs, les dialogues et les situations absurdes, les effets de caméra surprenants… Et tout devient assez irrésistible de drôlerie.
On découvre que Higurashi est en fait Rémi (Romain Duris), un petit réalisateur de films d’entreprise ou de reportages bidonnés qui n’a jamais rien tourné d’important, mais qui est réputé “rapide, efficace et pas cher”. C’est sans doute pourquoi les producteurs japonais ont pensé à lui pour tourner le remake européen d’un film de zombies qui a connu un petit succès au pays du soleil levant (comme d’ailleurs le film Ne coupez pas! de Shin’ichirô Ueda, dont Coupez! est le remake). Rémi refuse tout d’abord le projet. Une série Z fauchée, constitué d’un long plan-séquence filmé en une seule prise “live”? Il faudrait être fou pour accepter un tel challenge. S’il accepte finalement de se lancer dans l’aventure, ce n’est certainement pas pour faire plaisir à son ami Mounir (Lyes Salem). Rémi cherche surtout à prouver à sa fille Romy (Simone Hazanavicius), cinéphile exigeante, qu’il n’est pas totalement ringard et qu’il peut gérer à la fois le challenge technique et les caprices de l’acteur-vedette, Raphaël (Finnegan Oldfield), pour qui la jeune femme a le béguin. Tout se déroulerait très bien sans les nombreux imprévus qui s’abattent sur le tournage le jour J : modifications de scénario, de casting, chutes de personnel, casse de matériel, acteurs hors-service ou incontrôlables… Finalement, on se dit que, s’il n’a pas réalisé un chef d’oeuvre, Rémi a le mérite d’être allé au bout de son entreprise, avec fougue, passion et une énorme débauche d’énergie, digne de celle que fournissaient les héros de Soyez sympas rembobinez pour réaliser leurs films “suédés” . C’est en soi un petit miracle, au vu des aléas rencontrés et du manque de moyens engagés.

On comprend ce qui a pu intéresser Michel Hazanavicius dans ce projet un peu fou. Même s’il s’agit d’un remake et d’une oeuvre aux contours assez légers, Coupez! s’avère in fine être une oeuvre assez personnelle et s’intégrant parfaitement dans la filmographie de Michel Hazanavicius. Comme The Artist ou Le Redoutable, Ne coupez pas!  est un tribut au cinéma et à ceux qui le font, avec plus ou moins de talent, mais surtout avec le coeur. Comme Le Prince oublié, c’est une ode à ceux qui savent raconter des histoires avec passion et beaucoup d’imagination. Et c’est aussi une véritable déclaration d’amour à sa femme et à sa fille, puisque le cinéaste français, déjà habitué à donner des rôles à la première, toujours impeccable même en chasseuse de zombies adepte du Krav -maga, a aussi embarqué la seconde dans l’aventure. Et puisqu’il s’agit d’une affaire de famille, sa nièce Raïka joue aussi un petit rôle dans le film.

En tout cas, il s’agissait d’une entrée en matière parfaite pour ce festival de cinéma où, à chaque cérémonie d’ouverture, les hôtes vantent la fameuse “magie du cinéma”. Elle opère réellement ici, même si elle tache un peu au passage. et même si, pour en profiter, il faut déjà résister à l’envie de fuir en courant au cours des trente premières minutes du film. Surtout, ne coupez pas! Soyez patients, et vous devriez pouvoir apprécier ce drôle de film à sa juste valeur.
En tout cas, cela a fonctionné pour nous et on dit “brrrraaaaaaa… vo” au cinéaste et son équipe.


Coupez!
Coupez! [ex Z (comme Z)]

Réalisateur : Michel Hazanavicius
Avec : Romain Duris, Bérénice Bejo, Matilda Lutz, Grégory Gadebois, Lyes Salem, Finnegan Oldfield, Sébastien Chassard, Raphaël Quenard, Jean-Pascal Zadi
Origine : France
Genre : Film dans le film dans le film (de zombies)
Durée : 1h51
Date de sortie France : 17/05/2022

Contrepoints critiques :

”Avec une structure narrative complexe qui réserve son lot de rebondissements, l’ovni brille par son écriture aux petits oignons, qui manie un humour absurde savoureux dans les dialogues et les situations en décalage complet, et par sa mise en scène inventive, précise et rythmée.”
(Stéphanie Belpêche – Le Journal du Dimanche)

”Coupez ! documente indirectement l’état dans lequel se trouve son auteur : sous ses dehors de pochade faisant l’éloge de l’artisanat du cinéma et de sa « magie », le film brosse en creux le portrait d’un illusionniste émoussé qui tente, modestement et tant bien que mal, d’accomplir son numéro.”
(Josué Morel – Critikat)

Crédits photos :
Photo : Copyright Lisa Ritaine
Affiche : Affiche fournie par le Festival de Cannes – tous droits réservés

Crédits vidéo : copyright Pan-Distribution 2022

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

1 COMMENT

  1. […] Prenez le film d’ouverture de ce 75ème Festival de Cannes, Coupez! Voilà un film qui leur était tout à fait accessible, même au premier degré. Il s’agit non pas d’une oeuvre torturée et intello ou d’un brûlot politico-expérimental, mais d’une comédie savoureuse et un film de genre. Ce n’est pas si fréquent à Cannes, même si Thierry Frémaux veille à ce que tous les cinémas puissent avoir leur place sur la Croisette. Là, le choc thermique a plutôt été pour les habitués du Palais des festivals, cinéphiles exigeants, biberonnés à Bergman, Antonioni ou Cassavetes, qui ont découvert, assez interloqués, ce qui ressemblait, de prime abord, à une infâme série Z, surjouée et truffée de gags gênants.Aïe, quel contraste, encore! D’un côté, des femmes en robes de soirée et des hommes en smoking, de l’autre, des zombies en maquillage bleu schtroumpf/géant vert.Mais petit à petit, le charme du film de Michel Hazanavicius a opéré, laissant percer, sous l’enrobage de la série Z fauchée, une belle déclaration d’amour au 7ème Art et à ceux qui le façonnent, pas toujours avec talent, mais avec coeur et détermination, en utilisant les moyens du bord [lire notre critique]. […]

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