La mort du cinéma et de mon pere aussiAssaf (Roni Kuban), un jeune cinéaste, cherche à réaliser son premier long-métrage (1), un ambitieux scénario qu’il voit comme une allégorie de la société israélienne, oscillant entre peurs légitimes, paranoïa, fond politique tourmenté et relations familiales tumultueuses. Il a imaginé des personnages face à la menace d’une apocalypse imminente, la disparition quasi-totale de l’état d’Israël. Le script lui a été inspiré par le discours inquiet de Benjamin Netanyahu à l’ONU, en 2017, concernant les avancées du programme nucléaire iranien.
Au point de départ du script, mélange de SF et de tragicomédie, son personnage principal, Yoel, reçoit l’appel d’un ami le prévenant de l’imminence d’une offensive israélienne contre l’Iran, après d’ultimes tensions diplomatiques entre les deux pays voisins. Le vieil homme imagine aussitôt le pire, persuadé que l’Iran a pu se doter de l’arme atomique et à braqué tous ses missiles sur les villes iraniennes, notamment sur sa ville, Tel-Aviv. Yoel se dit cependant que leur voisin n’osera pas s’attaquer à Jérusalem, qui reste une ville sainte aussi bien pour les juifs que pour les chrétiens et les musulmans. Aussi, il décide de réunir sa famille pour fuir Tel-Aviv au plus vite et atteindre un endroit sûr. Mais ce n’est pas une mince affaire, car en Israël peut-être plus qu’ailleurs, les relations familiales sont compliquées…
Yoel doit déjà convaincre son fils, joué par Assaf lui-même, de la gravité de la situation. Celui-ci, après avoir pesté contre la paranoïa de son père, se décide finalement à se bouger et passe prendre son ex-femme (Noa Koller) et leur jeune fils. Hélas, cette dernière n’est pas spécialement ravie de le voir débarquer en pleine nuit et elle n’envisage pas de le laisser emporter leur fils qui vient péniblement de s’endormir… De toute façon, ce n’est pas son jour de garde.  Les iraniens n’ont qu’à détruire la ville un autre jour…
De son côté, Yoel passe chercher sa vieille mère et son assistante de vie. La vieille dame comprend tout de suite la gravité de la situation, mais le réflexe maternel est plus fort que tout. plutôt que de préparer ses affaires pour partir, elle se décide à cuisiner une escalope panée pour son fiston, afin qu’il ne parte pas à l’aventure le ventre vide… Même le chat fait de la résistance en profitant d’un arrêt près d’une station-service pour se carapater. Ah, la route est longue avant d’échapper à la fin du monde…

Elle est encore plus longue pour qu’Assaf finisse son film et puisse tourner le beau plan final qu’il a en tête – Yoel gravissant une colline, à l’aube, et se laissant absorber par la beauté du monde. Son principal problème concerne son acteur principal et acteur-fétiche, c’est-à-dire son propre père, également prénommé Yoel (Marek Rozenbaum). Jusqu’à présent, celui-ci a tourné dans tous ses courts-métrages amateurs, et le cinéaste compte sur lui pour passer le cap du long-métrage. Mais Yoel est atteint d’un cancer et voit ses forces le quitter peu à peu. Il n’est plus vraiment en état de participer à un tournage, et n’aspire à vrai dire qu’à mourir en paix. Mais Asaf insiste pour qu’il finisse le film, quitte à réécrire les scènes et inventer de nouveaux axes narratifs improbables. Il s’accroche à son projet, délaissant au passage son épouse (toujours jouée par Noa Koller), qui porte pourtant leur premier enfant…

Ce dispositif de film dans le film, qui permet d’évoquer plutôt qu’une apocalypse nucléaire, une tragédie familiale et intime – la disparition annoncée du père, figure respectée et influente – est encore soutenue par un deuxième film dans le film, documentaire celui-ci. Dani Rosenberg filme à la dérobée son propre père malade, qui refuse pourtant de voir sa fin de vie ainsi fixée sur caméra. D’où la nécessité de restituer cela sous forme d’une fiction très proche de la réalité. Pour mieux brouiller les cartes entre la fiction et le documentaire, Rosenberg entrelace son récits d’extraits de ses films de famille et de ses courts-métrages, dans lesquels jouait son père. Son idée est de résister à sa façon à la maladie et à la mort, de retarder l’échéance en continuant à faire vivre ce père le plus longtemps possible. Tant qu’il peut encore tourner, il y a de l’espoir, et même si ce n’est plus possible, il y a moyen d’en faire une figure immortelle, un personnage de cinéma qui restera “imprimé sur pellicule”  jusqu’à la fin des temps (2)
L’une des scènes-clés est celle où Assaf et Yoel essaie de trouver une idée de fin alternative. Le fils imagine que Yoel – le personnage de la fiction dans la fiction – reçoit la visite de son vieil ami le premier ministre et décide, pour éviter la destruction de Tel-Aviv, d’assassiner ce-dernier. Yoel trouve l’idée excellente et continue la description de la scène. Il s’imagine réussir à commettre l’attentat, mais être abattu par les gardes du corps de l’homme politique. Assaf, d’un coup, est moins emballé. Il voyait plutôt le personnage s’en sortir, à l’épreuve des balles comme un “action-hero” américain. D’un côté un homme résigné, sachant qu’il est à bout de souffle, de l’autre un être immortel, que l’on refuse de voir disparaître.

Ce premier film ambitieux réussit à nous séduire par sa tonalité douce-amère, ce curieux mélange de comédie et de drame, de fiction et de documentaire, de recréation de la réalité et d’embardées fantaisistes. Bien évidemment, difficile de ne pas être ému par les tourments de ce cinéaste qui voit brusquement vaciller les deux fondements de sa personnalité, intimement liés : son père et sa passion pour le cinéma.
Même si le résultat peut paraître parfois un peu confus, du fait de la génèse compliquée du film, le résultat marque la naissance d’un jeune cinéaste talentueux, doté d’un regard très personnel et d’un amour passionné pour l’art cinématographique. On espère qu’en dépit du titre, il n’en a pas encore tout à fait fini du cinéma et on attend ses prochains films avec impatience.

(1) : Dani Rosenberg devait effectivement réaliser ce film, tiré d’un scénario pour lequel il a obtenu une bourse d’écriture. Il avait commencé le tournage, avec son père comme protagoniste principal, avant que celui-ci doive abandonner le tournage.
(2) : Même si le mourant, lucide, râle en disant qu’aujourd’hui, il n’y a plus de pellicule, juste un disque dur qui sera obsolète d’ici deux ans…

Ce film fait partie de la sélection Cannes 2020 et a fait l’ouverture du festival de Mannheim-Heidelberg.


La Mort du cinéma et de mon père aussi
The Death of cinema and my father too
Réalisateur : Dani Rosenberg
Avec : Natan Rosenberg, Roni Kuban, Marek Rozenbaum, Ina Rosenberg, Noa Koler, Sabina Rosenberg, Ruth Farhi, Dani Rosenberg
Origine : Israël
Genre : Alliage de documentaire, d’auto-fiction et de fiction
Durée : 1h40
Date de sortie France : 30/12/2020
Contrepoints critiques :
”Dani Rosenberg’s ambitious low-budget exercise offers a sometimes artful but more often self-indulgent mashup of fiction, reality and home movies.”
(Alissa Simon, Variety)
”It’s a pity that the most emotional scenes frequently get lost in here somewhere, almost as if Rosenberg were sheltering himself from too much pain, hiding within the indeed very labyrinthine structures he has managed to erect”
(Marta Balaga, Cineuropa)

Crédits photos : copyright Pardes films

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