A Centerville, petite bourgade tranquille des Etats-Unis, le shérif Cliff Robertson (Bill Murray) et ses deux adjoints, Ronnie Peterson (Adam Driver) et Mindy Morrisson (Chloë Sevigny) constatent que quelque chose ne tourne pas rond. Que la nouvelle responsable des pompes funèbres, Zelda (Tilda Swinton) ait un comportement étrange et manie le sabre avec plus de dextérité qu’Uma Thurman dans Kill Bill ne les perturbent pas non vraiment. Oui, elle est bizarre, mais bon, elle est écossaise! Ces européens ont souvent de curieuses manies! Que le vieil ermite local (Tom Waits) leur tire dessus avec son vieux tromblon pour leur interdire l’accès à sa “propriété”- comprenez la forêt qui jouxte la ville – n’est pas non plus de nature à les inquiéter. Cliff connaît le bonhomme depuis près de cinquante ans et il a toujours été un excentrique asocial. Ni plus ni moins que le fermier raciste et réactionnaire (Steve Buscemi) qui accuse le vieux vagabond d’avoir volé une de ses poules. Mais qu’il fasse encore jour à une heure de la soirée où, justement, les poules devraient être couchées, ce n’est pas normal du tout. Que la lune reste visible en plein milieu de la journée non plus. Et quand les systèmes de communication se mettent à dysfonctionner au point que la seule station de radio diffuse en boucle la chanson country “The Dead don’t die” de Sturgill Simpson, Ronnie comprend que “tout cela va mal finir”.
En même temps, le spectateur était prévenu… Les experts en climatologie, les militants écologistes, les scientifiques de renom alertent des effets dévastateurs du réchauffement climatique depuis des années. Et ici, le scénario catastrophe se produit. Sous l’effet de la fonte des glaces, les pôles se démagnétisent et cela impacte le mouvement de rotation classique de la terre, perturbant l’alternance classique jour/nuit et la gravitation du satellite lunaire. Oui, les experts avaient bien émis cette hypothèse… En revanche, personne n’avait parlé de la conséquence la plus apocalyptique de ce dérèglement polaire : la transformation des morts en des zombies avides de chair humaine, prêts à dévorer les habitants de la ville et des communes avoisinantes…
Ronnie a raison : “tout cela va mal finir”…
Cependant, que les amateurs de films d’horreur gores traumatisants ne s’attendent pas à un déluge d’hémoglobine et de tripaille fumante. Ni à un récit haletant, porté par un suspense insoutenable. Il y a bien quelques effets horrifiques dans The Dead don’t die, mais ils restent assez discrets et sont plus destinés à amuser qu’à terrifier le spectateur. Quant au tempo, c’est clairement celui d’un film de Jim Jarmusch, c’est-à-dire un tempo assez lent, atone, propice à une ambiance décalée, humoristique et poétique.
En clair, on est plus dans “The mocking dead” que dans “The Walking Dead” et il y a fort à craindre que les spectateurs qui n’adhérent pas à ces partis-pris de mise en scène s’ennuient assez rapidement, même en essayant de reconnaître les personnalités cachées sous les traits des zombies ou en traquant les nombreuses références au genre, ainsi que les petits détails amusants (comme par exemple RZA, leader du groupe Wu Tan Clan, dans le petit rôle d’un livreur pour wU-PS…).
Hélas pour Jim Jarmusch, ces spectateurs ne seront peut être pas les seuls à être déçus. On sent bien que le réalisateur a voulu se faire plaisir en rendant hommage au film de morts-vivants comme il s’était emparé du mythe du vampirisme dans Only lovers lefts alive, des codes du western dans Dead man ou ceux du film de samouraï dans Ghost Dog, mais, contrairement aux oeuvres précitées, The Dead don’t die manque un peu trop d’ampleur et d’intensité pour que ce plaisir soit parfaitement communicatif. Globalement, il constitue un spectacle tout à fait honorable, porté par un beau casting, Bil Murray et Tilda Swinton en tête, et recèle quelques séquences réjouissantes, mais le sentiment qui domine après la projection, c’est d’avoir vu une oeuvre agréable sur le moment, assez subtile, mais finalement assez anecdotique, surtout si on l’inscrit dans la filmographie complète du cinéaste.
C’est dommage, car Jim Jarmusch a su retrouver l’essence même du film de zombie et l’esprit contestataire des premiers films de George Andrew Romero, La Nuit des morts-vivants et Zombie. Il convient de voir dans cette comédie horrifique faussement indolente, la critique d’une Amérique engoncée dans son petit confort, apathique et insensible aux problèmes de la planète. Le cinéaste trouve que, à l’image du shérif Cliff Robertson, fatigué et désabusé, ses concitoyens manquent de réaction par rapport au dérèglement climatique et à la surconsommation des ressources de la planète, mais aussi aux dérives politiques marquées par l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, à la montée du racisme et des extrémismes de tout poil ou encore au capitalisme sauvage et à l’individualisme forcené. Finalement, ce sont peut-être eux les vrais zombies, incapables de voir plus loin que le bout de leur nez (du moins ce qu’il en reste), vissés à leurs tablettes et smartphones, guidés par leurs seuls désirs consuméristes. Et c’est peut-être sur cet aspect qu’aurait dû insister Jarmusch dans les scènes finales, plutôt que de chercher à retrouver les rails d’une narration “conventionnelle” (tout est relatif).
The Dead don’t die est un hommage sincère au cinéma de genre et une tentative intéressante de lui redonner ses lettres de noblesse, loin de tous ces blockbusters horrifiques survitaminés mais à l’encéphalogramme aussi plat que celui d’un zombie. Il lui manque juste le petit plus qui l’aurait fait passer du statut de film sympathique à celui de candidat à la Palme d’Or. Evidemment, tout est possible tant que le jury n’a pas délibéré, mais il nous semble assez peu probable que les zombies montent sur scène le 24 mai prochain pour recevoir la prestigieuse récompense.