Dans Gomorra, Matteo Garrone décrivait le parcours de jeunes gens essayant d’intégrer la mafia napolitaine et rêvant de destins criminels.
Dans Dogman, il montre au contraire les efforts d’un homme modeste pour se tenir à l’écart de cette violence, de ces gangs et des milieux mafieux. Mais ce n’est évidemment pas si simple que cela…
Marcello (Marcello Fonte), essaie de faire prospérer sa petite boutique de toilettage pour chiens, rêvant d’économiser suffisamment pour emmener sa fille faire de la plongée aux Maldives. Il aime son métier et le fait le plus consciencieusement possible. Le reste du temps, il essaie de maintenir de bonnes relations avec ses voisins et les autres commerçants. Mais dans ce pays, surtout dans les villes défavorisées du sud, il est impossible de vivre totalement à l’abri de la délinquance. En plus de ses services de toiletteur, Marcello fait occasionnellement office de dealer ou de comparse pour de petits larcins. Cette participation n’est pas vraiment volontaire. Il n’en tire presque aucun bénéfice et doit de surcroît subir l’amitié encombrante de Simoncino (Edoardo Pesce), une brute épaisse fréquemment sous l’emprise de la cocaïne, qui terrorise tout le quartier.
Un soir, une idée particulièrement foireuse germe dans le cerveau du petit truand. Il décide de cambrioler le commerce attenant à la boutique de Marcello, en cassant le mur séparant les deux locaux. Le toiletteur refuse évidemment de prendre ce risque. Il essaie de ramener son « ami » à la raison. Rien n’y fait. Et quand les types de 130 kg de muscles parlent, ceux de 60 kg les écoutent… Marcello accepte de lui laisser les clés de sa boutique contre l’assurance qu’il ne sera pas impliqué et une petite part du butin. Mais évidemment, la police le place rapidement comme principal suspect, en devinant très bien que Simoncino est le véritable auteur du casse.
Marcello se retrouve face à un dilemme : Dénoncer Simoncino et risquer des représailles douloureuses quand celui-ci sortira de prison ou se taire et purger la peine de prison à sa place, au risque de s’attirer le mépris des autres habitants. Le film montre très bien comment les individus, pour survivre, sont obligés de faire des choix radicaux et d’accepter des compromis moraux. Marcello n’est pas une mauvaise personne. C’est au contraire un être doux, attentionné envers les animaux, aimable avec le voisinage, prêt à tout pour faire plaisir à sa fille. Mais la fréquentation forcée de Simoncino va le transformer peu à peu, lui faire perdre son innocence et le rabaisser au rang de bête féroce, devant le regard désolé de ses chiens, témoins impuissants de la folie des hommes, et la caméra de Matteo Garrone, qui ne manque rien de la chute de cet homme ordinaire, trop fragile pour survivre dans ces conditions de vie difficiles, parmi des êtres plus lâches et veules que lui …
La chute de cet italien ordinaire, c’est aussi celle du peuple italien dans son ensemble. Par lâcheté, par peur, par calcul, les individus sont prêts à céder à la loi du plus fort et à suivre des voies peu recommandables, en votant, par exemple, pour des partis radicaux ou des néofascistes. Comme à son habitude, Matteo Garrone propose, en sous-texte, une critique féroce de son pays, rongé par les magouilles et la violence mafieuse.
Le cinéaste italien semble avoir retrouvé l’inspiration avec cette fable contemporaine qui entrelace habilement réalisme et ambiance onirique, à la lisière du fantastique. Ce Dogman qui cumule un scénario simple, mais aux enjeux importants, une mise en scène maîtrisée, des comédiens épatant et des performances canines de premier plan, nous semble un candidat très sérieux pour la Palme Dog, mais aussi pour la Palme d’Or.