Après une ouverture sans fausse note, le 70ème festival de Cannes a connu son premier couac dès la projection de 8h30. En cause, le protocole de sécurité renforcé, qui ralentit considérablement l’accès aux salles. Cette année, face à une menace terroriste qui n’a jamais été aussi forte, les organisateurs ont ajouté des étapes de contrôle supplémentaires, notamment le passage par des portails électroniques, semblables à ceux utilisés dans les aéroports et permettant de détecter efficacement tout objet métallique. Un peu trop efficacement, car il suffit de porter une ceinture ou son badge de festivalier pour que l’appareil se mette à sonner, occasionnant une fouille de sûreté avant passage à l’étape suivante… Et comme il n’y a que trois portails par entrée, cela réduit considérablement le flux de festivaliers à l’entrée du palais. Quinze minutes après le début théorique de la première projection matinale au Grand Théâtre Lumière, il restait encore pas mal de places de libres à l’intérieur, et une foule de festivaliers faisant la queue à l’extérieur. Certains ont finalement pu rentrer, une fois le générique commencé, mais d’autres sont probablement restés sur le carreau, frustrés de n’avoir pu rentrer… Aïe…
Bon évidemment, mieux vaut rater un film à cause d’un protocole de sécurité trop stricte que d’assister à la projection en compagnie d’un individu radicalisé, armé jusqu’aux dents et prêt à faire un carnage, mais il y a peut-être moyen de gagner en efficacité et en organisation, en ouvrant les portes un peu plus tôt, par exemple, ou en arrêtant de confisquer les bouteilles d’eau…
Sinon, il y a bien une solution : engager un samouraï immortel pour assurer la sécurité, comme le héros de Blade of the immortal, de Takashi Miike, présenté hors compétition. Rapide, silencieux, efficace, le bonhomme est capable d’éliminer à lui seul, à coups de sabre, des centaines de guerriers féroces. Seul inconvénient, le nettoyage après opération. Sur le tapis rouge, les flots d’hémoglobine ne se verront pas trop, mais sur les murs blancs du palais, en revanche, on a quelques doutes, sans oublier la montagne de cadavres dont il faut également se débarrasser rapidement, avec de telles températures extérieures…
Adaptation d’un manga populaire, le centième film de Takashi Miike appartient plutôt à la veine “agitée” du cinéaste nippon (Yakuza apocalypse, Ichi the killer, etc.) qu’à sa veine plus posée, plus épurée (Hara-Kiri). On suit la quête de rédemption d’un samouraï à qui une sorcière a un jour conféré le pouvoir d’auto-régénération et de cicatrisation rapide des plaies, le rendant ainsi immortel (ou presque…). Le guerrier, lassé de se battre sans raison valable, accepte de sortir de sa réserve pour aider une gamine à accomplir sa vengeance contre le clan qui a assassiné ses parents. Il se retrouve pris malgré lui dans un conflit qui le dépasse, entre factions rivales, garde gouvernementale et tueurs sadiques. Alors forcément, il va devoir mettre en oeuvre son talent pour le combat et assumer sa réputation de “tueur aux cent cadavres”. Une réputation sans doute un brin sous-estimée, le gaillard mettant au tapis, juste pendant la durée du récit, quelques centaines d’adversaires…
Pour ça, on est servis : A l’extérieur ou en intérieur, les sabres tranchent, les lames transpercent, les shurikens énucléent,… Le problème, c’est qu’à la longue, au coeur d’un film de plus de deux heures, cela s’avère un brin répétitif. Bien sûr, il n’y a pas que de la bagarre. Le cinéaste prend le temps de développer la relation entre le colosse et la jeune fille, amorce une réflexion sur le pouvoir et le manque de reconnaissance des élites pour leurs plus fidèles serviteurs. Il donne même un côté “crépusculaire” à son film de sabre, en plaçant le récit dans le contexte de l’avènement des armes à feu, qui annonce la fin de l’ère des samouraïs. Mais il n’est pas certain que ce soit tout cela qu’on retienne in fine. Il restera surtout le souvenir d’un film d’action survolté, plein de bruit et de fureur. Dommage…
Toujours hors-compétition, Sea sorrow de Vanessa Redgrave est ancré dans un contexte plus contemporain, celui des flux de réfugiés, fuyant leurs pays à cause de conflits meurtriers, de famine, de misère noire, de catastrophes écologiques. L’actrice signe un documentaire humaniste et engagé, qui met en avant le respect de la dignité et des droits de l’Homme.
Evidemment, cette seconde journée de festival a aussi été marquée par le début de la compétition. Et l’avantage, c’est qu’elle a déjà permis de dégager ce qui pourrait être l’un des thèmes de cette édition 2017 : la fugue.
En tout cas, c’est le ressort dramatique des deux films du jour, articulés autour de la fugue d’adolescents d’une douzaine d’années.
Celle d’Aliocha, jeune russe perturbé par le divorce de ses parents et de leur total désintérêt quant à son sort, dans le nouveau long-métrage d’Andreï Zviaguintsev, Faute d’amour.
Celles, à cinquante ans d’intervalle, de Rose, en quête d’une star et d’une mère, et de Ben, en quête d’étoiles et d’un père, dans le Wonderstruck de Todd Haynes.
La comparaison s’arrête là, les deux films ayant des tons et des styles radicalement différents, le premier étant un drame austère et glaçant, prétexte à une critique féroce de la société russe, mais aussi de nos sociétés occidentales (Lire notre critique) et le second étant un mélo empli de douceur et de fantaisie, plus léger (Lire notre critique).
L’art de la fugue, la chanteuse Barbara le maîtrisait parfaitement. Comme celui de la sonate ou de la petite cantate, assise à son piano.
Mathieu Amalric lui rend hommage dans son nouveau long-métrage, présenté en ouverture de la section “Un Certain Regard”.
Ce n’est pas un biopic tel qu’on l’entend habituellement, mais une tentative de capter l’essence du personnage, sa façon d’être, son énergie créatrice, ses failles sous-jacentes. Pour cela, le cinéaste français utilise un habile procédé narratif. Il reprend le rôle qu’il jouait dans Tournée, celui du réalisateur Joachim Zand, impliqué dans le tournage de son nouveau film, dédié à Barbara. On suit sa patiente tentative de faire revivre son idole à l’écran, et surtout, le regard qu’il porte sur son actrice principale (Jeanne Balibar), qui travaille à devenir le personnage, à travers la voix, la gestuelle, le physique, mais aussi l’état d’esprit. L’avantage, ici, c’est que la vie de Barbara et de ses musiciens, constamment en tournée, ressemblait beaucoup à celle d’une équipe de tournage. L’actrice peut ressentir la même affection pour ses partenaires que la chanteuse pour ses musiciens et ses accompagnants, “ses hommes”, comme elle les avait appelés, dans l’une de ses chansons. Et elle éprouve la même solitude, le soir, au bout de la nuit, dans les bars de province ou dans sa chambre d’hôtel. Comme Barbara après ses concerts, elle continue de travailler, inlassablement, perfectionnant son rôle, rentrant dans la peau du personnage. Et la magie opère. A un moment, on n’arrive plus à distinguer la chanteuse de celle qui l’incarne, les images d’archives et la reconstitution. Et on peut alors se laisser porter par la voix de la grande dame brune, qui transperce l’âme et touche en plein coeur.
Là aussi, il s’agit d’une belle entrée en matière pour cette section qui devrait ensuite nous faire voyager d’un pays à l’autre, d’un genre à l’autre, durant dix jours.
Côté Quinzaine des Réalisateurs, l’entrée en matière a également été très bien négociée. Après la remise du Carrosse d’Or au cinéaste allemand, Werner Herzog, c’est Claire Denis qui a fait l’ouverture avec son Beau soleil intérieur. Le film, porté par une très belle distribution (Juliette Binoche, Gérard Depardieu, …) semble avoir été apprécié par les festivaliers.
Enfin, la Semaine de la Critique a aussi ouvert ses portes avec A sicilian ghost story. Le film semble avoir été diversement apprécié par les festivaliers, certains retrouvant l’inventivité des auteurs de Salvo, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, d’autres regrettant un film, top lourd, trop chargé.
Si l’envie ne nous vient pas de fuguer à notre tour, ou si on ne ne décide pas de s’enfermer pour écouter en boucle l’intégrale de Barbara, à demain pour la suite de nos chroniques cannoises.