On est bien dans ce 69ème Festival de Cannes. Il fait beau, les gens ne sont pas trop stressés, les films sont, à une ou deux exception près, au niveau des attentes. Et là, c’et le drame.
Sournoisement, un vrai mauvais film surgit des entrailles de la compétition officielle. Un navet XXL, ridicule, lourd, grotesque, embarrassant. Un champion du Monde, du moins, un film à homologuer illico au Guiness Book des records. Oui, The Last Face est sans doute le film qui perd toute crédibilité le plus rapidement au monde : il ne suffit que dix secondes au film de Sean Penn pour provoquer des ricanements et susciter le rejet. Dix secondes, au début du générique. On découvre une carte rudimentaire de l’Afrique qui nous situe le contexte du film – le Libéria et la région du Darfour, au Sud-Soudan – et une petite phrase : “La violence des conflits dans cette région d’Afrique n’a d’équivalent, en Occident, qu’à l’amour impossible entre un homme [pause] et une femme”.
Toute l’idée du film est contenue là, dans cette première réplique grotesque. The Last Face est bien un mélodrame sentimental nunuche, truffé de guimauve, sur fond de guerre et de misère.
Wren Petersen (Charlize Theron), directrice d’une ONG, habituée à régler les conflits depuis son bureau, rencontre Miguel Leon (Javier Bardem), médecin du monde, habitué à sauver des vies sur le terrain, au cours d’une mission au Libéria. Ils tombent follement amoureux l’un de l’autre. Ca, c’est déjà assez difficile à accepter, vu que leur rencontre se fait dans une clinique de fortune, au-dessus des cadavres et des corps mutilés, mais admettons…
Leur romance est ensuite perturbée par leurs différences de vues sur les solutions à apporter au conflit. Elle voudrait interrompre l’aide humanitaire pour alerter l’opinion publique en Occident. Il refuse d’abandonner les populations locales qui ont besoin d’eux. Et le fait que Miguel ait eu une liaison avec la cousine de Wren (Adèle Exarchopoulos) n’aide pas à arranger les choses…
Mais Miguel est dingue de Wren, qui reste élégante et fraîche, le brushing impeccable, en toutes circonstances, même écrasée par un soleil de plomb, même dans la poussière et les bains de sang. Et Wren adore Miguel (“Avant lui, je n’étais que l’idée de moi-même”). Alors ils se retrouvent encore, à l’occasion d’un nouveau périple humanitaire et se font des mamours face au soleil couchant.
Mais là encore, ils sont rattrapés par la guerre et ses horreur, cette guerre qui “tue les rêves”, comme le dit Wren dans son discours devant les donateurs.
La séquence qui fait tout basculer est proportionnelle, dans l’horreur et l’obscénité, au sentimentalisme larmoyant de la partie mélodramatique. Sean Penn cherche à provoquer le spectateur et lui assène des images-chocs assez insupportables – des intestins qui servent de barrière, des corps mutilés, calcinés, des cris de douleur déchirants, des torrents de larmes… Le cinéaste patauge de manière indécente dans l’horreur absolue. Rien ne nous sera épargné. Mais paradoxalement, on supporte mieux cet étalage de gore et de scènes tire-larmes que la réplique fatale de Jean Réno, consternante de nunucherie : “Le mariage, ce n’est pas récolter, c’est aimer!”
Tout est lourd dans ce mélodrame boursouflé : le scénario, le jeu des acteurs, la photographie, très léchée, qui tranche avec le sujet du film, la mise en scène, l’utilisation abusive de la musique..
Certes, les intentions de Sean Penn étaient louables, mais les bons sentiments ne font pas forcément de bons films…
The Last Face n’avait pas sa place dans cette compétition cannoise, tout simplement. Le public ne s’y est pas trompé : le film a été copieusement sifflé à chacune de ses projections.
Sans connaître tout à fait cet accueil désastreux, The Neon demon a également été reçu très fraîchement par les festivaliers. Il est vrai que Nicolas Winding Refn ne cherche pas vraiment à s’attirer les faveurs du plus grand nombre, avec son récit à l’intrigue minimaliste – une jeune femme débarque à Los Angeles, rêvant de devenir top-model, et suscite à la fois désirs et jalousies – son ambiance visuelle complètement folle, tenant plus du dispositif d’Art Contemporain, épuré et abstrait, que du film d’Art & Essai classique, et ses éclairs de violence aptes à choquer les âmes sensibles. On comprend tout à fait que cela ne fasse pas l’unanimité, ou que d’aucuns lui préfèrent les films de Ken Loach ou de Cristian Mungiu. On comprend moins, en revanche, le rejet – extrêmement violent – d’une bonne partie des critiques, français ou internationaux. Mince, c’est quand même un vrai film d’auteur, avec un univers singulier, un ton particulier, un parti-pris de mis en scène assumé! La direction d’acteurs est parfaite, offrant à Elle Fanning, Jena Malone, Bella Heathcote et Abbey Lee des rôles envoûtants et sulfureux. L’esthétique du film est somptueuse et le cinéaste s’offre même un effet de style original – lors d’une étonnante scène de show bondage.
Enfin, comme à son habitude, le cinéaste exploite à merveille sa bande-son et les morceaux composés par Cliff Martinez.
Les seules choses que l’on pourrait éventuellement regretter, c’est une intrigue assez linéaire et prévisible, et le relatif manque de profondeur au regard de son précédent long-métrage, le complexe et torturé Only God forgives, qui a d’ailleurs été lui aussi injustement chahuté par la critique. Et encore, il n’y a pas de quoi s’indigner.
Comme à son habitude, Nicolas Winding Refn s’empare d’une trame de film de genre pour en faire un objet filmique très personnel, moderne, atypique, qui bouscule les conventions. Dans Drive, il détournait les codes du film noir et du “film de casse”. Dans Only God forgives, il s’attaquait au “film de vengeance”. Ici, il joue avec le thème du vampirisme. Le premier plan est en cela évocateur. Le personnage principal est allongée sur un sofa, la gorge tranchée, avant de se relever. L’ambiance est plutôt froide, nocturne, mystérieuse. Les personnages sont des séductrices, des tentatrices, obsédées par une seule chose : la beauté éternelle. Des séquences saphiques évoquent le “Carmilla” de Joseph Sheridan Le Fanu, d’autres l’histoire de la Comtesse Bathory.
Il dresse le portrait du milieu de la mode – assez proche de celui du cinéma – qui vampirise les jeunes femmes. Les photographes et directeurs de collection en font des proies. Ils volent leur jeunesse et leur beauté, les exploitent jusqu’à plus soif avant de les abandonner dès les premiers signes de vieillissement ou la découverte d’une nouvelle proie.
Le film s’enrichit aussi d’une référence à la mythologie grecque. On peut voir ce récit comme une variation sur le mythe de Narcisse – le miroir et les reflets étant des éléments récurrents du film, et de Nemesis – la déesse de la vengeance, un lien avec Only God forgives.
Bref, The Neon demon est un film solide, intelligemment construit et mis en scène avec brio. Il avait toute sa place en compétition et il ne serait pas honteux qu’il soit primé par le jury. N’en déplaise à ses détracteurs, qui oublient un peu vite que certains auteurs dézingués par la critique et le public cannois (Qentin Tarantino, Federico Fellini, David Lynch, Gaspar Noé,…) sont des grands cinéastes et leurs films, autrefois honnis, sont aujourd’hui considérés comme des oeuvres majeures.
Des polémiques, Pierre Rissient en a connu pas mal en plus de cinquante festival de Cannes. Cette personnalité du cinéma mondial, grand cinéphile, dénicheur de pépites venues du monde entier, ami intime de nombreux réalisateurs et de directeurs de festivals, a même contribué à créer des “scandales”. On connaissait l’anecdote sur l’attribution de la Palme d’Or 1997 à L’Anguille et Le Goût de la Cerise. Nanni Moretti avait intrigué au sein du jury pour mettre en avant son chouchou, le film d’Abbas Kiarostami, et empêcher De beaux lendemains, le film défendu par la présidente du jury, Isabelle Adjani d’obtenir la Palme. Mais on ne savait pas que Pierre Rissient avait influé sur la sélection du film iranien en compétition et sur le choix de Nanni Moretti comme membre du jury!
Il le raconte dans Gentleman Rissient, le film que lui ont consacré Benoît Jacquot, Pascal Mérigeau et Guy Seligmann, projeté dans le cadre de la section Cannes Classics.
Les trois cinéastes ont demandé à Pierre Rissient de choisir une vingtaine de films qui ont marqué sa vie de cinéphile et d’expliquer ses choix. Le résultat, assez plaisant est un beau voyage dans l’histoire du cinéma mondial, distillant de savoureuses anecdotes sur de grands cinéastes ou sur les coulisses du festival de Cannes.
Pierre Rissient n’était pas à Cannes cette année, pour des raisons de santé. Sinon, il aurait peut-être aimé découvrir La Longue nuit de Francisco Santis, premier film des argentins Francisco Marquez et Andrea Testa.
Ce long-métrage, présenté dans la section Un Certain Regard, présente l’originalité de s’intéresser à la période de la dictature militaire argentine, dans les années 1970, non pas selon l’angle des bourreaux ou des victimes, mais à travers le regard d’un homme ordinaire, un petit employé de bureau qui veut juste pouvoir obtenir une promotion, indifférent à la situation politique et sociale du pays. L’appel d’une vieille amie, qui lui demande de prévenir deux inconnus de leur arrestation imminente par la police militaire, va le plonger en plein tourment. Il ne peut plus se voiler la face. Doit-il aider ces deux inconnus et se mettre en danger? Ou bien refuser de les prévenir et avoir cela sur la conscience? La mise en scène filme l’errance de cet homme dans les rues de Buenos Aires. La caméra le traque comme celle de Gus Van Sant filmait les jeunes dans Elephant. Elle capte ses questionnements moraux, sa peur, sa lâcheté et son courage, et dépeint l’environnement sordide de l’Argentine totalitaire des années 1970.
Pour un premier film, c’est plutôt réussi.
Autre film présenté dans cette section, Varoonegi de Behnam Behzadi, qui tourne autour du désir d’émancipation d’une femme iranienne, lassée de voir sa famille prendre les décisions à sa place.
La Quinzaine des Réalisateurs a fermé ses portes après dix jours de projections riches en émotions.
L’Effet aquatique, de Solveig Anspach, remporte le prix SACD. Le film raconte les tentatives de Samir (Samir Guesmi) pour conquérir le coeur d’Agathe (Florence Loiret-Caille), maître-nageuse. Pour cela, il va aller jusqu’en Islande, se faire passer pour un maître-nageur pacifiste israélien et même perdre la mémoire! C’est une jolie comédie romantique, pleine de poésie et de charme, dans la lignée du très beau Lulu femme nue. Hélas, ce sera la dernière fois que le cinéma de Solveig Anspach enchante la Croisette, puisque la réalisatrice islandaise est décédée en août dernier.
Divines de Houda Benyamina obtient une mention spéciale SACD.
Le Prix du Label Europa revient à Mercenaire de Sacha Wolff. Enfin, le Art Cinema Award est attribué à Wolf & Sheep, le premier film de la réalisatrice afghane Shahrbanoo Sadat, dont les premiers échos sont excellents.
C’est le film de Paul Schrader, Dog eat dog, qui a clos cette édition 2016. Un polar bien noir, articulé autour de trois petites frappes bas du casque (Nicolas Cage, Willem Dafoe et Christopher Matthew Cook) embarqués dans un coup foireux. Il s’agit d’une oeuvre déroutante, qui peut séduire autant qu’agacer. Paul Schrader utilise une grammaire cinématographique atypique pour raconter ce récit finalement ultra-classique. Il alterne des scènes assez bavardes – tarantinesques – dans lesquelles les truands discutent des choses de la vie, avec des explosions de violence spectaculaires, gores à souhait.
Enfin, il tente sûrement de distiller une critique de la société américaine contemporaine, symbolisée ici par la chanteuse Taylor Swift, dont le nom apparaît un peu partout dans le film, comme un fil rouge.
A moins que l’on ne subisse la vindicte des supporters du dernier Sean Penn – on n’en connaît peu – ou des détracteurs du Nicolas Winding Refn – on en connaît beaucoup – à demain pour la suite de ces chroniques cannoises.