Le titre de cette chronique est évidemment ironique, car les films présentés en compétition aujourd’hui n’incitaient pas à la franche rigolade…
Dans Chronic, Michel Franco suit quelques jours de la vie d’un aide-soignant (Tim Roth) qui s’occupe de personnes âgées en fin de vie ou de malades en phase terminale. Pour cela, il utilise sa méthode habituelle : De longs plans fixes, étirés jusqu’au malaise, dans lesquels il montre les choses frontalement, brutalement, sans concessions. Il montre l’aide-soignant en train de de faire la toilette de ses patients dans les moindres détails, filme les malades en train d’agoniser sur leur lit, avec une impudeur qui mettra mal à l’aise plus d’un spectateur. Sans doute était-ce le but recherché. Le problème, c’est que l’on s’interroge sur les motivations du cinéaste.
Dans Daniel & Ana, il dénonçait les abus dont étaient victimes un frère et une soeur, enlevés par un gang et obligés de commettre l’inceste devant une caméra. Et dans Despuès de Lucia, il montrait les conséquences dramatiques du harcèlement d’une collégienne par ses camarades de classe. Mais ici, il ne dénonce rien. Il n’a aucune raison de choquer le spectateur. Le début du film enrobe bien d’un certain mystère l’aide-soignant. Abuse-t-il de la faiblesse de ses patients? Les vole-t-il ou pire, les viole-t-il? Certaines familles le croient, puisqu’ils ont porté plainte contre lui pour harcèlement sexuel. Fait-il ce métier pour se racheter de choses peu avouables? Quand on le voit passer ses soirées à se renseigner sur les habitudes d’une jeune fille, on se demande s’il n’est pas un kidnappeur, un pédophile, un violeur ou un tueur en série.
Mais à mi-parcours, le cinéaste désamorce ces fausses pistes narratives, qui, après coup, semblent des artifices purement gratuits et inutiles.
On découvre les raisons qui poussent l’aide-soignant à s’investir autant auprès de ses malades, au point de ne plus dormir, de ne plus avoir de vie privée. C’est ce qui devrait être au coeur du film. C’est ce qui devrait toucher le spectateur. Mais la distance induite par la mise en scène empêche l’émotion d’affleurer.
Pour couronner le tout, le cinéaste boucle son récit avec une scène-choc totalement gratuite, qui finit de brouiller le propos du film.
Michel Franco sait filmer, c’est une certitude, mais si sa mise en scène n’est pas plus souple que cela, il va devoir sélectionner ses sujets avec un peu plus de discernement, au risque de se couper définitivement de son public…
Dans Valley of Love, Guillaume Nicloux nous emmène dans la Vallée de la Mort, aux Etats-Unis, pour assister aux curieuses retrouvailles d’Isabelle (Isabelle Huppert) et Gérard (Gérard Depardieu), trente ans après leur séparation. Ces deux acteurs célèbres avaient vécu une belle histoire d’amour et eu un enfant ensemble avant de se déchirer et de voir leurs chemins se séparer. C’est cet enfant qui les réunit là, dans le désert, à des milliers de kilomètres de chez eux. Il s’est donné la mort six mois auparavant, sans raison valable, et avant de se suicider, il a envoyé une lettre à ses parents pour les inviter à se rendre dans la Vallée de la Mort aux dates choisies, et suivre le programme imposé. C’est la seule chance qu’ils auront de le revoir. Cela semble totalement absurde, mais les parents font quand même le déplacement. C’est l’occasion de faire leur deuil et de se libérer du poids de la culpabilité qui pèse sur leurs épaules…
C’est assurément l’une des oeuvres les plus déroutante de la compétition officielle. Elle évoque à la fois Antonioni, Lynch et Jodorowsky, plus une ribambelle d’auteurs art & essai français, pour créer une atmosphère étrange, entre réalisme et onirisme, comédie et drame, brouillant souvent les frontières entre réalité et fiction.
C’est aussi un film poignant, empli de douleur et d’amertume. Difficile de ne pas éprouver une vive émotion quand on voit Gérard Depardieu jouer quasiment son propre rôle dans un film où il est question de la perte douloureuse d’un fils. Mais on devine que le sujet est également très personnel, très intime pour Guillaume Nicloux, qui a mis beaucoup d’énergie dans ce projet.
On a également versé notre petite larme devant Le Petit Prince de Mark Osborne, un beau film d’animation qui alterne différentes techniques (3D, 2D, stop-motion…) pour émerveiller le spectateur. Conscient de la difficulté de s’attaquer frontalement à un monument littéraire comme le livre d’Antoine de Saint-Exupéry, le cinéaste a choisi une voie différente. Il fait reposer son film sur une autre histoire, celle d’une petite fille sur le point d’entrer dans une prestigieuse école et dont la vie est entièrement articulée autour des devoirs, des révisions et de la quête de la perfection absolue. Tout est chamboulé quand le voisin d’à-côté, un vieil aviateur facétieux, vient la détourner de ses révisions. Il lui fait découvrir une histoire qu’il a écrite jadis, quand il a croisé la route du Petit Prince. La fillette se passionne pour ce récit, cet univers, qui lui ouvre les portes de l’enfance qu’elle aurait rêvé avoir et qui lui explique aussi comment la retrouver quand elle entrera dans l’âge adulte.
Le film offre plusieurs niveaux de lectures pour pouvoir toucher toutes les générations. Les enfants s’amuseront des pitreries du vieil aviateur et applaudiront quand la petite fille fera l’école buissonnière en sa compagnie. Les adultes seront émus par ce film qui leur rappellera leur enfance perdue, mais aussi par les messages délivrés en filigrane, autour du deuil, de la solitude, de la différence…
Cela fonctionne. Le Petit Prince a été très applaudi par les festivaliers. Entre cet accueil et celui fait à Vice Versa, on peut dire que cette année, le cinéma d’animation électrise véritablement la Croisette. dommage que ni l’un ni l’autre n’aient été retenus en compétition…
Pour faire travailler un peu ses zygomatiques, il valait mieux assister à la clôture de la Quinzaine des Réalisateurs.
Après une cérémonie rondement menée, qui a vu El Abrazo de la serpiente de Ciro Guerra, Mustang de Deniz Gamze Ergüven et Trois Souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin remporter les récompenses principales, les festivaliers ont pu assister à la projection de Dope, une comédie survitaminée, dans l’esprit de Hangin’ with the homeboys et des comédies indie des années 1990.
On suit Malcom, un adolescent qui rêve aussi de s’extirper de son milieu social, un quartier chaud de Los Angeles, en intégrant la prestigieuse université de Harvard. Il rêve aussi, comme tous les jeunes de son âge, de perdre sa virginité. Mais ce n’est pas simple de séduire les filles quand on a un côté geek premier de la classe et qu’on est habillé comme les stars du rap des années 1990… Ses deux meilleurs amis le poussent à assister à une soirée underground où sera présente une fille du quartier dont il est secrètement amoureux. Hélas, la fête tourne court après une fusillade entre dealers. Quand Malcom rentre chez lui, il s’aperçoit que les dealers ont glissé une importante quantité de drogue dans son sac. La marchandise étant fort convoitée, Malcom se retrouve poursuivi par des gangs rivaux et par l’organisateur du trafic. Il va devoir trouver un moyen de se sortir de cette situation épineuse tout en préparant un entretien décisif pour son entrée à Harvard.
Le film séduit par son irrésistible galerie de personnages et son tempo entraînant, dynamisé par le montage et la bande son, composée de morceaux de hip-hop et d’une musique originale de Pharrell Williams. On aime aussi son message prônant l’égalité des chances pour les afro-américains et les jeunes issus de milieux difficiles.
Dope n’est pas un chef d’oeuvre du septième Art, mais il n’a pas ces prétentions non plus. C’est un divertissement efficace, qui a fait se bidonner la salle du Théâtre Croisette, bouclant dans la joie dix jours de projections.
Il fallait bien cela entre deux films aux sujets lourds et douloureux. Demain, on s’attend à un retour de la déprime, car logiquement, le Macbeth de Justin Kurzel ne devrait pas provoquer beaucoup d’éclats de rires.
A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.