Le temps a encore été bien capricieux ce jeudi sur la Croisette, alternant petites éclaircies et grosses averses pas très agréables pour les festivaliers qui attendent patiemment d’accéder aux salles du palais.
Mais, plus que ces gouttes d’eau venues du ciel, la véritable douche froide s’est abattue sur le public à l’intérieur de l’auditorium Louis Lumière, lors de la projection du film mexicain Heli (lire notre critique). Un film âpre, sauvage, quasi insoutenable, dans lequel Amat Escalante dénonce la violence de son pays et n’hésite pas à bousculer le spectateur pour faire passer son message. Certains festivaliers ont jeté l’éponge dès la première scène, mais l’exode massif a eu lieu au coeur du film, pendant une longue scène de torture qui a ensuite fait beaucoup parler dans les couloirs du palais. Certains festivaliers affichaient leur mécontentement de voir sélectionné un film aussi barbare, montrant crument la violence. Mais l’intérêt d’une manifestation comme le festival de Cannes, c’est justement de proposer le regard d’un cinéaste sur un sujet donné, un problème de société, un indicateur de l’état du monde et du cinéma. Ici, Amat Escalante décrit une triste réalité. Cette violence qui nous choque tant est vécue au quotidien par de nombreuses personnes au Mexique. Le cinéaste a choisi de faire réagir le spectateur, à susciter le malaise en montrant frontalement la barbarie. On peut contester ce parti-pris de mise en scène, mais pas la présence du film en sélection officielle. Ceux qui ne sont pas capable d’encaisser les chocs ne sont pas faits pour ce festival et peuvent rentrer sagement chez eux en attendant le festival de la comédie de l’Alpe d’Huez…
En tout cas, voir une salle toute électrisée dès le matin du premier jour, cela promet un festival animé. Tant mieux!
Autre film en compétition présenté aujourd’hui à Cannes, Jeune et jolie semble lui aussi avoir divisé les festivaliers. Certains ont trouvé le nouveau film de François Ozon trop mécanique et “sans âme”. D’autres, comme nous (lire notre critique), ont beaucoup aimé la poésie qui s’en dégage, le jeu des comédiens – dont la jeune Marine Vacht, toute en délicatesse. Hop, cela a occasionné de beaux débats entre les partisans et les détracteurs de l’oeuvre, avant que les discussions ne dérivent sur le talent – réel ou surcôté?- de François Ozon, et le niveau du cinéma français en général. Rien de tel que des joutes oratoires entre cinéphiles passionnés pour réchauffer un peu un climat assez glacial pour un mois de mai…
Mais Heli et Jeune & jolie n’ont pas été les seuls films à diviser les spectateurs. Les deux films présenté en ouverture de la section “Un Certain Regard” ont eux aussi occasionné des débats passionnés.
The Bling Ring, qui marquait le grand retour de Sofia Coppola à Cannes, nous a déçus (lire notre critique) par son côté superficiel, assez vain, loin du ton de ses premiers films. D’autres ont A-do-ré! Mais, parmi ceux-ci, il faut préciser qu’il y avait quand même des fans invétérés de la délicieuse Emma Watson. La jeune actrice, qui essaie de donner un nouvel élan à sa carrière après la saga Harry Potter était bien présente dans la salle pour soutenir sa réalisatrice et le reste de l’équipe du film et a obtenu un beau succès à l’applaudimètre avant la projection. Après le film, les applaudissements se sont faits un peu plus discrets, preuve que le film n’a pas suscité un enthousiasme débordant.
Fruitvale station, lui, a un peu plus ému les spectateurs.
Difficile, en effet, de ne pas être touché et révolté par cette histoire vraie, celle d’Oscar Grant, un jeune Noir californien victime d’une bavure d’un agent de sécurité un peu trop nerveux, la nuit du nouvel an 2009.
Le jeune homme, incarné à l’écran par Michael B. Jordan rêvait de reconstruire sa vie après une adolescence mouvementé, marquée par du trafic de drogues et des rivalités entre gangs. Il voulait se marier et élever dignement sa petite fille. Mais tout s’est arrêté sur le quai d’une gare d’Oakland, avec une balle tirée dans son dos, à bout portant…
En portant à l’écran ce fait divers, le cinéaste Ryan Coogler veut parler du racisme ordinaire et des préjugés dont sont victimes les jeunes des quartiers défavorisés et il entend aussi réhabiliter l’image d’Oscar Grant, que la police a cherché à présenter comme un mauvais garçon, drogué notoire et rebelle vis-à-vis des forces de l’ordre. Et force est de constater que le film est d’une redoutable efficacité.
La structure narrative prend le temps de s’intéresser au personnage central, afin que le spectateur s’identifie à lui, ou du moins s’attache suffisamment à lui pour être cueilli à froid lors du dénouement tragique et brutal. Et, à travers l’émotion des proches de la victime, on ne peut qu’être bouleversé à notre tour.
C’est sûrement grâce aux vagues d’émotion qu’il procure aux spectateurs que le film a glané, il y a quelques mois, le grand prix du festival de Sundance, et qu’il est aujourd’hui précédé d’une flatteuse réputation.
Mais c’est aussi ce qui fait que le film est sujet à caution. Car, en adoptant une structure outrancièrement mélodramatique, en choisissant de se centrer exclusivement autour du personnage d’Oscar et d’en faire un martyr, une figure sacrificielle, Coogler donne une version forcément biaisée, et partiale, du fait divers qu’il entend traiter. Ce qui est gênant, c’est qu’il n’hésite pas à utiliser les vidéos tournées par les témoins de cet incident sordide pour appuyer son propos, ce qui tend à faire croire que le film est totalement réaliste. Or, il s’agit bien d’une fiction, inspirée de faits réels et de personnages réels, certes, mais une fiction quand même. On impose au spectateur un point de vue. Il n’a pas d’autre choix que de se placer du côté de la victime, de pleurer sur son sort et d’accepter ce qui est montré à l’écran comme la vérité absolue. Rien ne dit que le véritable Oscar Grant était cet homme courageux, attachant et sympathique décrit à l’écran. Ceci n’empêche pas, évidemment, de trouver sa mort révoltante, mais cette façon d’idéaliser la victime pour appuyer un propos politique, aussi louable soit-il, semble quelque peu malhonnête.
Ceci n’a pas manqué, encore une fois, de susciter des débats orageux dans les files d’attentes et les halls du palais des festivals.
Du côté de la Quinzaine des Réalisateurs, Le Congrès d’Ari Folman a lui aussi divisé le public. Les uns louent une expérience cinématographique hors normes, totalement originale, avec une Robin Wright magistrale, tandis que les autres fustigent l’animation rudimentaire du métrage, une intrigue incompréhensible, ou une oeuvre profondément ennuyeuse. Nous attendrons de voir avant de nous prononcer, mais les premières rumeurs autour du film nous donnent envie de le découvrir au plus vite.
Même clivage entre les festivaliers du côté de la Semaine de la Critique et de son film d’ouverture, Suzanne de Katell Quillevéré.
La narration à ellipses de cette histoire qui raconte vingt ans de la vie d’une jeune femme un peu paumée et de ses proches a emballé certains spectateurs, mais en a laissé d’autres de marbre. Nous avons un sentiment mitigé. Globalement, il s’agit d’un film très bien réalisé, et bénéficiant de l’interprétation convaincante de Sara Forrestier, dans le rôle-titre, mais aussi de celle d’Adèle Haenel et de François Damiens. Mais nous n’avons pas été aussi émus que nous aurions aimé l’être. Peut-être parce que le sujet – qui tourne autour de l’amour de l’héroïne pour un mauvais garçon et des sacrifices que la situation implique – nous rappelle d’autres films plus marquants. Et sûrement parce que le précédent film de la cinéaste, Un poison violent, nous avait semblé beaucoup plus fort…
Salvo, présenté lui aussi dans le cadre de la semaine de la critique, a reçu un accueil plus unanime.
Ce premier film, qui raconte l’histoire d’amour atypique d’une jeune sicilienne aveugle et d’un tueur à gages chargé de l’éliminer, est porté par une mise en scène tout aussi atypique – et brillante. La scène de la rencontre entre les deux personnages, inquiétante et fascinante partie de cache-cache, est un formidable moment de cinéma, jouant aussi bien sur la fluidité des mouvements de caméra que sur le montage sonore, et inscrit d’emblée les deux cinéastes, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, comme des candidats sérieux à la caméra d’or.
Il se trouvera toujours des voix pour pointer le manque de consistance de l’intrigue, il est vrai minimaliste et prévisible, ou la longueur excessive de l’ensemble, mais le film a été globalement très applaudi lors de sa présentation.
Pour finir, citons quand même une cinéaste qui a réussit à faire l’unanimité lors de cette première grosse journée de festival : Jane Campion.
La cinéaste néo-zélandaise était présente au Palais Stéphanie pour recevoir le Carrosse d’Or, mais aussi pour présenter deux épisodes de sa série-évènement, Top of the lake, et donner une masterclass aux spectateurs de la Quinzaine des réalisateurs.
La réputation de la réalisatrice de La Leçon de piano n’est plus à faire sur la Croisette, mais s’il restait encore quelques récalcitrants pour douter de son talent, ils sont convertis depuis cet après-midi, conquis par l’intelligence de cette figure marquante du 7ème Art.
A demain pour la suite de nos aventures cannoises.