Vérifiez les niveaux d’huile, faites le plein d’essence, avec ou sans plomb, redonnez un petit coup de pression aux pneus. Ca y est, vous êtes prêts à partir sur la route de la huitième journée de ce festival dédiée à une thématique que l’on pourrait résumer par "voitures & voyages”…
Première vitesse… Sur la route, adaptation du roman de Jack Kerouac par Walter Salles.
Il était attendu celui-là… Déjà parce que le bouquin est une oeuvre-culte, emblématique de la “beat generation”, qu’il parle de liberté, de grands espaces et d’exploration autant géographiques que sensorielles. Des sujets intéressants à traiter au cinéma.
Ensuite parce que Walter Salles avait réussi son adaptation d’autres Carnets de voyage, ceux du jeune Che Guevara, dans son film éponyme de 2003 à présenté à Cannes…
Enfin parce qu’il met en scène quelques-uns des jeunes acteurs les plus prometteurs de leur génération, dont on attendait confirmation de leur talent : Sam Riley, Garrett Hedlund, Kristen Stewart, Kirsten Dunst.
Oui, Sur la route était attendu. Sans doute trop, car la déception est proportionnelle aux espoirs que le projet avait suscité…
Le film est bien trop sage, bien trop lisse! On s’attendait à une invitation au voyage, une ode aux grands espaces, à la liberté individuelle et à la vie en collectivité. On se retrouve avec de mornes trajets en voiture d’une ville à l’autre, interchangeables, et aux états d’âme de deux grands ados refusant de grandir. Plus qu’une impression de liberté, on a la désagréable impression d’une oeuvre assez austère, repliée sur elle-même, aussi terne que ses images…
Quant à la description des moeurs de ces adultes ouverts à toutes les expériences, elle se révèle elle aussi assez prude. On voit un bout de sein par ci par là, et une ou deux propositions de sexe en groupe, mais à l’écran, tout reste désespérément sage et chaste. D’accord, il n’était pas utile de montrer des partouzes à tire-larigot pour dépeindre la sexualité plutôt libre de cette époque-là, mais quand même, cet aspect de la “beat generation” est curieusement laissé de côté.
Peut-être le film arrive-t-il trop tard pour procurer de vraies sensations. A vrai dire, les utopies soixante-huitardes et les mouvements beatniks se sont heurté au réalisme féroce des années 1970/1980 et ne sont plus vraiment adaptées à un monde moderne plombé par la crise, le SIDA, les inégalités sociales… Mais on attendait au moins de Walter Salles une invitation à la découverte de nouveaux horizons, de nouvelles expériences. Qui aurait pu passer par un peu plus de recherche visuelle que ce film d’un académisme pépère, bien inférieur à ses Carnets de Voyage.
Attention, on ne dit pas qu’il s’agit d’un mauvais film, loin de là… La mise en scène est classique mais plutôt efficace, les jeunes acteurs ne manquent pas de charme et le reste du casting est solide, de Viggo Mortensen à Steve Buscemi. Simplement, de notre point de vue, ce n’est pas d’un niveau suffisant pour prétendre à un prix dans cette compétition, et c’est décevant de la part d’un auteur tel que Salles.
Deuxième vitesse… Holy motors.
Lui aussi était attendu… Léos Carax tourne peu et laisse rarement indifférent. Son précédent film, Pola X avait été copieusement sifflé à Cannes et on attendait donc de voir si le réalisateur allait pouvoir rebondir avec ce nouveau film.
Le premier quart d’heure fait un peu peur. Une introduction énigmatique où un homme ouvre une fenêtre sur un monde secret et se retrouve dans une maison en forme de paquebot. Le voyage ne se termine pas, il ne fait que commencer… L’homme monte dans une gigantesque limousine et commence une série de rendez-vous qui le mèneront jusqu’au bout de la nuit. Un businessman? Un millionnaire? Pas vraiment. A la première occasion, il se déguise en vieil femme, en clochard agressif, en étrange homme grenouille pour rencontrer de gré ou de force des personnages presque aussi curieux que lui.
On s’interroge sur le sujet du film, son sens… On se demande où Carax veut nous emmener, avant de comprendre que le voyage dans lequel il nous entraîne est un voyage au coeur du Cinéma, de l’histoire du septième art.
On commence avec une chronophotographie d’Etienne-Jules Marey, on continue avec une séquence surréaliste digne de Bunuel, puis Carax convoque les ombres de La Belle et la Bête, du sérial Fantomas, évoque le motion capture, fait référence au cinéma social, au polar, à la comédie musicale,… Et fait porter à Edith Scob, le temps d’une séquence, un masque semblable à celui qu’elle portait dans le Judex de Franju.
Carax revient aussi sur son oeuvre, en filmant le Pont-Neuf, en faisant resurgir des personnages du passé comme M. Merde, issu du sketch de Carax dans l’anthologie de courts-métrages sur Tokyo.
Holy Motors est assurément l’un des films les plus fous et les plus originaux de ce 65ème festival. L’un des plus riches thématiquement, également.
Il y est question du temps qui passe, de la mémoire du cinéma, de la mémoire tout court, de l’évolution de l’art cinématographique, où les machines mécaniques (“Moteur!”) sont remplacées par le numérique – un phénomène inéluctable abordé dans une jolie séquence de discussion entre automobiles (Hé oui…)…
Il est certain qu’un tel projet difficile d’accès, assez hermétique, va laisser plus d’un spectateur sur le bord de la route. Mais que ceux qui ne sont pas effrayés par un tel voyage dans l’inconscient individuel d’un cinéaste et dans la mémoire collective du septième art n’hésitent pas. Il y a de la place dans la limousine et le périple vous surprendra probablement, vous amusera sans doute et vous fera un peu réfléchir.
Très applaudi lors de la projection de presse et apparemment bien accueilli par le reste des festivaliers, ce film ambitieux se positionne en pole position pour la Palme d’or.
Troisième vitesse… Touristes, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs.
Quand on l’avait rencontré à Beaune, après la remise du prix de la critique à Kill list, Ben Wheatley nous avait annoncé que son troisième film romprait avec cette veine très noire et serait une comédie grinçante sur les tribulations d’un jeune couple anglais sillonnant leur pays à bord d’un camping-car. Une comédie avec des chiens…
On se doutait bien que le bonhomme ne rentrerait pas si facilement dans le rang, et la programmation de son film en séance tardive laissait présager une oeuvre pas vraiment recommandée aux enfants. Effectivement, il y a dans Touristes quelques éclairs de violence, des séquences gore déjantées et quelques propos très crus qui risque d’écorcher les oreilles les plus chastes. Mais ce n’est pas un film d’horreur, attention! C’est une vraie comédie noire, comme seuls les anglais savent encore les faire, un objet un peu fou dans la lignée du Shawn of the dead d’Edgar Wright (par ailleurs producteur du film).
Difficile de parler du film sans risquer de gâcher le plaisir des potentiels spectateurs. Comme pour Kill list, mieux vaut ne pas trop en savoir sur le scénario avant de découvrir le film. Disons simplement que la promenade bucolique est rapidement gâchée par des fâcheux et que l’amour du jeune couple va se trouver soumis à rude épreuve, à mesure que se dévoilent les petits travers de chacun…
Quatrième vitesse… 7 jours à La Havane, présenté à Un Certain Regard.
Cette fois, restons un peu sur place, à La Havane, à Cuba, pour profiter un epu des lieux. Sept jours exactement, et autant de courts-métrages réalisés par des cinéastes venus d’horizons très différents. Sept regards complémentaires sur la ville, emblématique de la révolution et du mode de vie cubain.
Le mexicain Benicio Del Toro, qui a incarné Che Guevara (encore lui…) chez Soderbergh, a préféré éluder l’histoire et la politique de La Havane pour se concentrer sur les nombreuses tentations offertes par les nuits cubaines : rhum à gogo et prostituées… Instructif puisqu’on apprend l’origine du mot “Yuma”, qui désigne un américain : “yuma friend…”.
L’argentin Pablo Trapero répond, en guise de clin d’oeil, en envoyant sur l’île un artiste déjà plus imbibé que tous les touristes réunis, Emir Kusturica, à qui le festival de La Havane rendait hommage. Le réalisateur serbe préfère fuir les cérémonies officielles pour aller à la rencontre des musiciens locaux… Amusant et dansant…
L’espagnol Julio Medem évoque aussi la musique et la chanson cubaine, mais comme des moyens de quitter Cuba et faire carrière à l’étranger. Il s’agit de l’un des courts les plus faibles de l’ensemble, le cinéaste évoluant dans un classicisme tranchant avec le reste de sa filmographie. Décevant…
Même chose pour le segment du cubain Juan Carlos Tabio, qui raconte les mésaventures d’une cuisinière devant réaliser un très gros gâteau avant une heure limite, et voyant ses efforts contrariés par des coupures de courant à répétition ou la maladresse chronique de son mari. Un peu anecdotique par rapport aux autres parties du film.
Le français Laurent Cantet boucle le film en captant la force collective de ce pays, où rien ne se fait sans la solidarité des habitants entre eux. Et il aborde aussi, en filigrane, l’importance de la religion dans cette partie du globe.
Restent les deux courts les plus atypiques, un peu à part. Celui du palestinien Elia Suleiman, qui a été un peu dérouté par son voyage cubain et en tire une de ses promenades contemplatives poétiques et burlesques dont il a le secret. Une balade évidemment plus complexe qu’il n’y paraît puisqu’elle est la seule à aborder ouvertement l’idée de révolution et les espoirs (déçus) d’un peuple.
Et celui du franco-argentin Gaspar Noé, qui décrit une cérémonie rituelle d’exorcisme pour débarrasser une jeune femme de son attirance pour d’autres femmes. Un segment quasi expérimental, sans dialogues, monté de façon à nous fasciner, nous hypnotiser, et de montrer l’importance de la magie noire à Cuba…
Le résultat est un patchwork forcément inégal, mais abordant bien les différentes facettes de la vie cubaine, aussi bien positives que négatives, et est même un peu plus cohérent comparé à des films comme Paris je t’aime ou Tokyo.
Parmi les autres films présentés aujourd’hui, Io e Te du vétéran italien Bernardo Bertolucci(sélection officielle, hors compétition) et Ernest & Célestine de Vincent Patar, Stéphane Aubier et Benjamin Renner (Quinzaine des Réalisateurs) semblent tenir la route dans le coeur des festivaliers.
En revanche, on nous a parlé de dérapage pour la dernière ambulance de Sofia, Sofia’s last ambulance (Semaine de la critique) et La Playa DC (Un Certain Regard).
Quant à Rêve et silence, le nouveau Jaime Rosales, il a divisé les partisans d’un cinéma contemplatif, sensoriel, et ceux qui on trouvé désespérantes la lenteur et la longueur du film…
Et voilà… Encore une journée de festival arrivée à destination. Un petit tour au garage pour la nuit, et nous repartirons sur les chapeaux de roue découvrir les quelques films qui restent à découvrir dans les différentes sections du festival.
A demain, donc, pour la suite de nos pérégrinations cannoises…