Après l’ouverture en fanfare d’hier, et l’excellente surprise qu’a constitué Moonrise kingdom, le festival a continué aujourd’hui sur sa lancée avec l’un des films les plus attendus de la compétition, De Rouille et d’os.
Jacques Audiard, qui avait séduit tout le monde il y a trois ans avec son Prophète et était reparti avec le Grand Prix dans les bagages fait son grand retour avec l’adaptation d’une nouvelle de l’écrivain canadien Craig Davidson (1).
On voit bien ce qui a pu séduire le cinéaste dans cette histoire, qui oscille entre film noir, récit initiatique et mélodrame poignant.
Les personnages de Craig Davidson ressemblent à ceux qui peuplent l’univers d’Audiard. En apparence, ce sont des victimes, des êtres vulnérables, incapables de se sortir des conditions de vie difficiles dans lesquelles ils sont englués, mais si on y regarde de plus près, ce sont des battants qui s’accrochent à la vie, qui essaient en permanence d’avancer, de prendre leur destin en main. Ce sont aussi des êtres violents, contre les autres ou contre eux-mêmes, qui prennent conscience de cette part sombre de leur personnalité. Et ce sont enfin des êtres repliés sur eux-mêmes qui apprennent à s’ouvrir aux autres, à profiter de l’aide qu’on peut leur proposer.
Ici, le réalisateur a pu trouver non pas un mais deux personnages magnifiques, aux trajectoires similaires et inversées.
il y a d’abord Ali (Mathias Schoenaerts), grand gaillard tout en muscles qui ne compte que sur son physique monstrueux pour trouver du travail. Un bon garçon, mais un peu trop rude pour pouvoir assumer son rôle de père. L’homme a en effet un petit garçon de cinq ans. Son ex-compagne lui a abandonné la garde, probablement après être tombée pour trafic de drogue. La présence de cet enfant gêne Ali, qui aimerait bien reconstruire sa vie et ne sait pas vraiment comment s’occuper du garçon. L’inscription à l’école, l’achat des vêtements, des jouets, ce n’est pas trop son truc. Alors il descend chercher un peu d’aide chez sa soeur (Corinne Masiero), sur la Côte d’Azur. Celle-ci, employée dans un supermarché, ne roule pas sur l’or mais accueille chaleureusement son frère et son neveu. Elle aide même Ali à trouver un emploi dans le coin.
C’est là qu’il rencontre Stéphanie (Marion Cotillard). La jeune femme se fait agresser par un dragueur qu’elle a éconduit. Ali la ramène chez elle et n’a ensuite plus de nouvelles. Un soir, elle l’appelle et l’invite à venir la voir. Il découvre qu’elle a été amputée des deux jambes suite à un accident survenu à Marineland, où elle exerçait la profession de dresseuse d’orques. Stéphanie vit très mal sa nouvelle condition. Elle se croit privée de son charme, de sa beauté, de sa force vitale.
Contre toute attente, Ali se montre attentionné, prévenant. Il la secoue un peu, lui redonne goût à la vie en lui insufflant un peu de son énergie.
Une curieuse relation se noue entre eux, entre amitié, attirance et amour. Il l’emmène presque partout, y compris dans les combats clandestins qu’il a accepté pour arrondir ses fins de mois, mais aussi pour évacuer le trop plein d’énergie qu’il a en lui, et la rage qu’il peut éprouver contre lui-même et son incapacité à s’occuper de son fils.
Elle retrouve sa force, son intégrité physique et morale. Il perd peu à peu son humanité en se comportant comme un animal de combat, et, comme si les coups reçus diminuaient son discernement, se laisse embarquer dans des combines qui le dépassent et mettent en péril ceux qu’il aime…
La dimension “physique” que l’on avait pu ressentir dans les précédents films d’Audiard est plus que jamais présente. De rouille et d’os est un film organique, tout en chair, en sang, en os et en eau. C’est un film sensoriel, mélange de feu et de glace, de soleil et de ténèbres… Un amalgame audacieux qui se retrouve aussi dans le choix des comédiens principaux : Matthias Schoenaerts, monstre physique, à la présence animale, irradiante, et Marion Cotillard, plus fragile et gracile, mais non moins présente à l’écran, grâce à l’intensité de son jeu, des émotions qu’elle est capable de faire passer par le regard.
Le duo fonctionne à la perfection. On croit à leur complicité, aux sentiments qui les unissent ou les font fuir, à la façon dont ils se soutiennent mutuellement face aux épreuves. Les comédiens y sont pour beaucoup, bien sûr, mais la qualité de la direction d’acteurs d’Audiard est aussi à la hauteur de sa réputation, tout comme sa capacité à construire un récit et à y entraîner immédiatement le spectateur.
A l’écran, cela a l’air tout simple, mais il est évident qu’il y a un énorme travail derrière chaque scène. On sait qu’Audiard est un cinéaste méticuleux, qui fait rejouer chaque scène jusqu’à atteindre la perfection attendue, qui soigne chaque détail, qui épure sa narration, son montage, pour parvenir au résultat voulu : sobre, efficace, parfaitement rythmé…
De rouille et d’os dure près de deux heures, mais on ne voit pas du tout le temps passer. Il flirte avec le mélodrame, mais ne tombe jamais dans le pathos, n’abuse pas d’effets tire-larmes et pourtant, finit par nous submerger d’émotion. On s’attache très vite aux personnages. On s’inquiète pour eux. On vibre avec eux car le film nous plonge dans une ambiance sensorielle qui ressemble à leur bouillonnement intérieur, à l’appel de la chair…
Certains spectateurs ont été un brin déçus par le film, jugé trop “simple”, trop linéaire. Certes, De rouille et d’os ne pas l’ampleur de Un prophète, mais c’est assurément une oeuvre brillante, réalisée et jouée à la perfection – ou presque. Un candidat de plus pour la palme?
Pour nous, cela ne fait pas de doute, car si Moonrise kingdom était une claque, De rouille et d’os est un uppercut à l’estomac, doublé d’une délicieuse caresse.
Décidément, ce festival commence sous les meilleurs auspices!
On aurait voulu être aussi dithyrambiques sur le troisième film de la compétition, Après la bataille, le nouveau long-métrage de Yousry Nasrallah. Ce n’est pas le cas, hélas…
Pourtant, le sujet était fort et ancré dans l’actualité…
Le cinéaste égyptien revient sur le “Printemps Arabe” de l’an passé et sur les suites de ces mouvements révolutionnaires qui ont mené à la chute du régime de Moubarak. La liesse populaire a cédé la place à une période de flottement politique, avec une période de transition un peu trop longue qui a vu l’armée abuser du pouvoir que lui ont confié les mouvements rebelles. Les habitants du Caire se remettent difficilement des semaines agitées qu’ils ont vécues autour de la place Tahrir, lieu désormais symbolique de toutes les révolutions arabes et des mouvements hostiles aux régimes despotiques en place dans cette région du globe.
Nasrallah a choisi de prendre un incident particulier de la Révolution égyptienne - la charge d’un groupe de cavaliers et de chameliers manipulés par le régime de Moubarak contre les révolutionnaires pacifistes de la Place Tahrir, le 2 février 2012 – comme point de départ d’une fiction se déroulant, comme le titre l’indique, juste après la bataille.
Mahmoud (Bassem Samra) était l’un des cavaliers de la place Tahrir. Il a payé le prix fort cette action désespérée. Déjà au moment des faits, puisque les révolutionnaires l’ont roué de coups. Puis après la chute du régime de Moubarak, quand il a fallu trouver des boucs-émissaires pour la situation délicate du pays… Mahmoud assume sa participation à la charge de la place Tahrir, même si, à vrai dire, il ne s’occupe pas vraiment de politique. Du coup, il se retrouve ostracisé dans son propre quartier, où le sujet est tabou, et détesté par les jeunes rebelles qui voient en lui un suppôt du régime déchu.
Mahmoud a pris l’habitude d’être humilié. A vrai dire, cela fait un moment qu’il ne peut plus exercer correctement son métier, et avec les événements, les touristes se font rares, ce qui n’arrange rien aux affaires. Ce qui l’embête le plus, c’est de ne plus pouvoir nourrir ses chevaux. Et de ne pas se sentir digne de ses enfants, pour qui il espère un avenir meilleur…
Reem, une jeune femme ayant participé activement aux manifestations, éprouve tout d’abord de l’aversion pour ce type, puis une forme d’attirance. Il l’intrigue. Elle essaie de comprendre comment il a pu se retrouvé impliqué dans la charge des cavaliers, quelles étaient ses motivations d’alors, et surtout, elle aimerait savoir comment il voit l’avenir du pays, et l’accès à davantage de démocratie.
Peu à peu, elle prend conscience des difficultés rencontrées, non seulement par Mahmoud et sa famille, mais aussi par tous les gens qui habitent leur quartier, bien loin de sa petite vie bourgeoise et “tranquille”…
Le film, on le devine à la lecture de ce résumé, est porté par les meilleures intentions. Le cinéaste, à travers cette histoire d’amour compliquée et cette fable sur l’engagement – politique, social, moral – essaie de réconcilier les composantes d’une population désunie suite à la révolution. Il cherche à faire reculer les préjugés souvent idiots, dans un camp comme dans l’autre. Pourtant, à l’écran, cela ne fonctionne pas. Pas complètement du moins…
Les acteurs ne sont pas vraiment en cause. Certains surjouent comme dans des mauvais feuilletons égyptiens, mais ils sont relativement bien en place et connaissent suffisamment la réalité locale pour la rendre crédible aux spectateurs.
Là où ça pèche, c’est plutôt au niveau de la mise en scène, un peu trop retenue pour un sujet aussi ardent. Et dans la construction du récit, qui met l’évolution de la relation entre Mahmoud et Reem au coeur d’un mélodrame facile plutôt que d’y greffer des éléments politiques pouvant expliciter la situation en Egypte et les enjeux de la reconstruction. On doit d’abord subir les atermoiements des deux protagonistes principaux, en pleine confusion des sentiments, en pleine perte de repères… Et quand l’aspect politique reprend le dessus, les idées sont assenés de façon très maladroite.
Résultat des courses – de chevaux : Après la bataille est trop long, tourne un peu en rond, et n’éclaire finalement que très peu sur les questionnements posés par la révolution égyptienne et les affres de la reconstruction démocratique d’un pays. Quel dommage de gâcher un si beau sujet!
Finalement, le seul intérêt du film est de mettre en avant le rôle joué par les femmes dans le phénomène du “Printemps arabe” et de montrer à quel point leur lutte pour l’indépendance et l’émancipation, malgré la chute des tyrans, est loin d’être acquise. Le hic, c’est que le sujet a déjà été abordé l’an passé par différent(e)s cinéastes et que le film de Yousry Nasrallah arrive donc un peu… après la bataille.
Autre film qui arrive un peu après la bataille, le documentaire sur Woody Allen, logiquement titré Woody Allen : a documentary.
Woody, on le connaît par coeur maintenant. Cela fait quatre décennies qu’il nous offre un nouveau film par an, invariablement, avec un format relativement similaire, entre 1h20 et 1h30, avec les mêmes thématiques sur le sens de la vie, et souvent, les mêmes pointes d’humour… On connaît bien sa façon de travailler, réputée minimaliste, on sait que les acteurs adorent tourner avec lui, justement parce qu’il les laisse assez libres de leurs mouvements. On sait déjà tout de ses influences, de Bergman à Groucho Marx…
Bref, l’intérêt de ce documentaire sera des plus limités pour quiconque connaît l’oeuvre allenienne. Cela dit, pour un néophyte, c’est une jolie porte d’entrée pour s’initier au travail du cinéaste newyorkais. Et les cinéphiles se régaleront malgré tout de quelques archives assez rares, making-of et sommets télévisés de sa carrière d’humoriste, et du regard que le cinéaste porte lui-même sur son oeuvre.
On apprend ainsi que s’il tourne beaucoup, c’est qu’il pense que dans la masse, il y aura toujours un ou deux films dignes d’intérêt, que s’il ne donne pas de consignes détaillées sur le plateau, s’il ne fait qu’une seule prise avec les acteurs, c’est qu’il a surtout envie d’aller voir le match de baseball à la télé ou tout simplement retrouver la quiétude de son domicile… C’est déjà ça…
Après, le film reste malgré tout bancal. Ce qui choque, c’est que le film ne porte pas la même attention aux différentes parties de carrière du cinéaste. Il s’attarde beaucoup sur les débuts de l’artiste, sa période humoriste de stand-up et de trublion télévisuel – grands moments que Woody essayant de faire chanter un chien ou se lancer dans un combat de boxe contre un kangourou – et ses premiers films, pures comédies burlesques, jusqu’à Annie Hall et Manhattan.
Ensuite, le documentaire se fait plus elliptique, passant sous silence des pans entiers de la carrière de Woody Allen, développant trop peu sa collaboration pourtant fructueuse avec Mia Farrow, et survole carrément les dernières réalisations de l’auteur, à l’exception notable de Match point.
Pourquoi avoir à ce point développé le début de carrière du cinéaste – tournée vers le divertissement – et sacrifié ses meilleures années – où il a glané son statut d’auteur à part entière?
Peut-être parce que le film était initialement bien plus long et destiné à une exploitation télévisuelle en plusieurs segments…
Toujours est-il que là, c’est bancal! Mais ne faisons pas la fine bouche. Ce documentaire convient très bien comme mise en bouche à la programmation Cannes Classics, qui tient à coeur à ce défenseur du patrimoine cinématographique qu’est Thierry Frémaux et qui, outre des vieux films restaurés, propose aussi un regard documentaire sur le travail de certains grands réalisateurs.
Dans la même section et le même esprit était présenté Roman Polanski : a film memoir de Laurent Bouzereau.
Nous n’avons hélas pas pu voir ce documentaire dédié au réalisateur de Répulsion, Tess ou The ghost writer. Mais les échos en provenance du palais étaient plutôt positifs, un poil plus que ceux entourant le doc sur Woody Allen…
Sinon, le festival proposait, dans sa sélection Cannes Classics, deux films rares : Lewat djam malam d’Usmar Ismail et Kalpana d’Uday Shankar…
Mais la seconde journée du festival est surtout dédiée aux lancements des sections parallèles : Un Certain regard, La Quinzaine des Réalisateurs et La Semaine de la Critique.
Des événements qui ont chaque fois affiché complet.
Commençons par Un Certain Regard.
Nous avons pu découvrir le film d’ouverture : Mystery de Lou Ye.
Le cinéaste chinois nous déroute d’emblée par la mise en place d’une intrigue qui a tout du film noir ou du thriller. Un groupe d’étudiants éméchés conduit imprudemment sous une pluie battante, en faisant quelques zigzags. Au sortir d’un tunnel, ils percutent une jeune femme égarée sur le bord de la route. Elle décède sur le coup.
Qui était-elle? Que faisait-elle là? Et surtout, est-elle bien morte de la collision avec la voiture? Réponse au bout d’un film qui sert surtout au cinéaste chinois de développer l’une de ses traditionnelles histoires de triangle amoureux compliqué, aux rebondissements tarabiscotés.
On ne peut pas dire que le film est mauvais, loin de là. On ne peut nier que Lou Ye possède un style bien à lui, des thématiques propres. Sa mise en scène est sobre et précise. Ses acteurs sont, comme d’habitude, bien choisis. Le problème, c’est qu’ici, il ne se renouvelle pas beaucoup et régresse même un peu par rapport à ses oeuvres précédentes. C’était déjà le cas avec Love & bruises, mais on pouvait mettre les défauts constatés sur le fait de tourner en partie dans une langue étrangère, dans un pays étranger. Plus ici…
Passé la belle promesse du début, l’intrigue s’avère assez nébuleuse et confuse, et il faut s’accrocher pour essayer d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Et, quand on finit par comprendre ce qui s’est réellement passé, on trouve les rebondissements assez ridicules, pour ne pas dire aberrants.
Bon, on avoue, on n’a jamais été vraiment fans de ce cinéaste. Même si on reconnaît un certain style à Une jeunesse chinoise et Nuits d’ivresse printanière, le cinéma de Lou Ye nous pétrifie souvent d’ennui. C’est moins le cas ici, puisque le “mystère” évoqué par le titre permet de conserver notre intérêt constant d’un bout à l’autre. Mais quand même, ce n’est ni vraiment passionnant, ni franchement excitant et encore moins novateur… Très moyen donc… Si la compétition officielle démarre fort, la principale section parallèle, elle, débute avec une déception… Voire deux.
Nous n’avons pas vu le second film de cette sélection, Student, de Darezhan Omirbayev, mais les premières rumeurs ne sont pas franchement élogieuses non plus… “incompréhensible”, “ennuyeux”, “décevant” sont quelques-uns des mots prononcés par les festivaliers en sortie de salle… Ca ne donne pas franchement envie…
A la Quinzaine des Réalisateurs, l’ambiance était tout autre.
Après la remise du Carrosse d’or à un Nuri Bilge Ceylan ému de recevoir un prix décerné par des confrères cinéastes, “des gens difficiles, qui n’aiment pas grand chose”, et la présentation du nouveau Délégué Général de cette manifestation, Edouard Waintrop, c’est à Michel Gondry et ses jeunes comédiens qu’est revenu la lourde tâche de déclarer ouverte la 44ème Quinzaine des Réalisateurs. Lourde tâche, oui, car le cinéaste a pris conscience d’un troublant mystère, autrement plus tordu que celui de Lou Ye. Comme il l’a fait remarquer, en langue anglaise, “La Quinzaine des Réalisateurs” (15 jours, donc) a été transformée en “Directors’ fortnight” (14 jours). “Cela fait 660 jours d’un côté contre 616 de l’autre… Où sont passés les jours manquants?” Vertigineux… Quelqu’un se dévoue pour lui dire qu’en fait, la Quinzaine dure juste neuf jours?
Pour son film The We and the I, en revanche, pas besoin de calculs d’apothicaire, le compte est bon. Le film aussi.
On le sait, Michel Gondry aime à surprendre son public. il est passé du vidéoclip au court-métrage (La Lettre), puis du court au long-métrage : Human nature et surtout Eternal sunshine of the spotless mind. Alors courtisé par Hollywood, il préfère revenir bricoler un petit film en France avec Gael Garcia Bernal dans le rôle principal (La Science des rêves). Puis se lancer dans l’aventure folle de Soyez sympas, rembobinez!. Et hop! on rebondit avec l’adaptation de Green Hornet, un blockbuster adapté d’une vieille série des années 1960. Et nouveau changement radical avec ce nouveau long-métrage indépendant, un peu expérimental.
Le cinéaste a placé une trentaine d’adolescents dans un bus et les a filmé pendant tout le trajet, à huis-clos.
Le véhicule devient semblable à un petit théâtre jouant une pièce sur la nature humaine, la différence entre le comportement en groupe, le “Nous” (The We), et le comportement individuel, le “Je” (the I). Au début, les adolescents montent calmement dans le bus, discutent en petits groupes. Le film se déroule à la veille des vacances d’été. Les gamins parlent de leurs projets, pour ceux qui auront la chance de quitter le Bronx, de la fête que l’une de leurs camarades doit donner pour ses 16 ans, et de problèmes de coeur… Il suffit qu’arrivent les leaders, ceux qui ont le pouvoir car ils ont plus de tchatche que les autres, plus de force ou plus de popularité, pour que se mette en place la dynamique de groupe. Les “tyrans”, comme les décrit Gondry, accaparent les sujets de conversation, qui consistent surtout à se moquer des autres, invectivent, chahutent. Chacun essaie de bousculer la hiérarchie, de trouver sa place dans le groupe et surtout de ne pas la perdre, de ne pas être exclu. Car comme dans n’importe quel groupe, il faut des parias, des souffre-douleurs, des individus plus faibles sur lesquels le reste de la meute peut se défouler. Le groupe tend alors vers le chaos.
Mais plus le bus avance, plus il se vide, et plus les rapports de force évoluent. Les masques tombent. Les individualités reprennent le dessus et les personnages se montrent sous un autre jour, nettement moins superficiel, et la gravité vient prendre le pas sur la légèreté.
Le film prend alors une tout autre dimension que la comédie cruelle qui se dessinait jusqu’alors.
The We and the I est un beau film sur la cruauté de l’adolescence, mais aussi une belle allégorie des rapports humain en général. On y parle de vie, de mort, d’amour et de haine, de solitude, d’espoir… C’est tout un monde qui est représenté dans le microcosme de ce bus.
Le cinéaste a réussi à capter quelque chose de rare, le souffle de la vie, son énergie brute. Son film est bouillonnant, tumultueux, bruyant et coloré. Sur un exercice similaire, Laurent Cantet avait glané une Palme d’or, pour Entre les murs. On y pense un peu ici, parfois, pour la vivacité des échanges entre les adolescents.
On pense aussi et surtout à un petit film indépendant dont la tonalité évoluait de façon similaire, Hangin’ with the homeboys.
Mais le film ressemble surtout à du… Gondry. A l’instar de sa scène d’ouverture avec cette réplique miniature et sonore du bus qui roule jusqu’à se faire broyer sous les roues du véritable bus… Le cinéaste expérimente de nouveaux angles de prises de vue, de nouvelles transitions avec son sens inné du bricolage et de la construction poétique.
Il continue à surprendre encore et toujours, pour notre plus grand plaisir.
Enfin, la Semaine de la Critique a aussi été déclarée ouverte, non sans difficulté, puisque le projecteur de la salle Miramar a cassé. Une façon de rendre hommage au film d’ouverture, Broken, avec Tim Roth en vedette? (Très bon, paraît-il…). En tout cas, cela a occasionné un retard conséquent, qui nous a poussé à renoncer à Los Salvages (Très long, paraît-il…).
Tout le monde étant finalement en place, le festival va pouvoir prendre son rythme de croisière.
A demain, donc, pour la suite de nos pérégrinations cannoises…
(1) : “Un goût de rouille et d’os” de Craig Davidson – éd. Albin Michel