“C’est qui ce Michael?”…
C’est la question qui brûlait les lèvres de tous les passants, cet après-midi devant le palais, perplexes face aux nombreux écriteaux demandant une invitation pour voir Michael.
”Michael qui?”, “Michael comment?”, “C’est Maïkeule, Mi-Ka-elle, ou Mie-Chat-aile?”, “Michael Youn est là?”, “Euh, je m’appelle Michael, vous voulez m’inviter quelque part?” (euh… non), “Zyva, y kiffent tous Michael ici… Sont amoureux ou bien?” (oui, il y a des racaillous en balade à Cannes pendant la journée…).
Bon, Michael – qui se prononce “Mie-Chat-aile”, façon germanique, est le titre du premier film de l’autrichien Markus Schleinzer présenté en compétition officielle. C’était l’inconnu de ce 64ème festival, le film qui pouvait créer la surprise, mais surtout qui devait créer un électrochoc de par son thème – la pédophilie – et son approche – la caméra se concentre sur le bourreau plutôt que sur la jeune victime…

Michael - 2

A l’arrivée, point de scandale, ni de grand enthousiasme. Le film n’a rien d’extraordinaire. Certes, il traite d’un sujet sensible en évitant soigneusement tout voyeurisme et tout sensationnalisme, en dressant simplement le portrait d’un pédophile “ordinaire”. Le personnage principal, le fameux “Michael” est un type banal, pas un monstre sanguinaire. Il n’est pas marginal : employé dans une agence d’assurances, il travaille sérieusement et est même susceptible d’obtenir des promotions. Il n’est pas asocial : il a une famille – une mère, une soeur, un neveu – des amis, avec qui il part skier – très mal -  le week-end. Il n’est pas repoussant : des filles s’intéressent à lui, même s’il fait mine de ne pas s’en apercevoir… Il n’habite pas un taudis perdu au coeur de la forêt ou une usine désaffectée, non. Plutôt un pavillon tranquille dans un quartier résidentiel tranquille. Bref, personne ne pourrait penser un seul instant qu’il est pédophile et qu’il retient prisonnier depuis plusieurs mois un petit garçon de neuf ou dix ans.
On comprend bien la démarche de Markus Schleinzer. A l’aide d’une mise en scène très rigoureuse, inspirée par la technique de ses mentors Michael Haneke (c’est qui ce Michael?) ou Jessica Hausner, il cherche à humaniser au maximum ce personnage de pédophile pour le rendre crédible et surtout, amplifier l’ignominie qui se joue hors-champ.
Michael, c’est cet homme qui pourrait être votre voisin de palier, votre collègue, voire le spectateur assis à côté de vous dans la salle… Brrr, ça fait froid dans le dos…

Footnote - 2

L’autre vedette du jour, c’était le Professeur Eliezer Shkolnik , le protagoniste principal du film de Joseph Cedar, Hearat shulayim. Un type aigri, frustré de ne jamais avoir été reconnu par ses pairs, malgré de multiples travaux de recherche de grande qualité sur les différentes versions du Talmud. Et un père jaloux de la réussite de son fils, chercheur dans un domaine similaire, qui cumule les honneurs et les récompenses. Le film repose sur cette rivalité père-fils, mais aussi sur des mérites usurpés et une histoire de famille compliquée qui ne trouvera sa résolution que par la recherche et l’analyse des données du problème…
Le cinéaste de Beaufort a divisé avec ce film au ton très particulier, entre comédie à l’humour pince-sans-rire, fable morale juive, chronique familiale mélodramatique et thriller. Beaucoup ont détesté, trouvant le film trop plat ou trop tarabiscoté, mais personnellement, j’ai bien aimé cette narration atypique et le jeu des acteurs principaux.
Notamment Schlomo Bar-Aba, qui incarne le fameux  professeur Shkolnik…

Pirates des Caraibes 4 - 2

Bon, moussaillons, trêve de plaisanterie, la vraie star du jour, c’était le Capitaine Jack Sparrow, qui a abordé la Croisette sabre à la main.
Hé oui, les Pirates des Caraïbes constituaient la principale attraction de ce week-end cannois, et l’un des rares espaces offerts au cinéma hollywoodien au palais cette année.
Signé par Rob Marshall,  Pirates des Caraïbes : la fontaine de jouvence est le quatrième épisode de la franchise, et opère un changement dans la continuité.
Exit Keira Nightley et Orlando Bloom, partis voguer vers d’autres contrées cinématographiques, bienvenue Pénélope Cruz, qui incarne ici la fille de… Barbe Noire. Et on retrouve évidemment Johnny Depp dans les frusques du roublard Jack Sparrow et Geoffrey Rush dans le rôle de son vieux rival Barbossa, tout ce beau monde convoitant la même chose : l’accès à la fameuse fontaine de jouvence, capable de les rendre immortels…
Pour le reste, ce sont à peu près les mêmes recettes que les trois premiers opus, de l’aventure, de l’humour, une touche de romance, des trahisons et des coups fourrés, et des combats épiques…
Il y a moins de batailles navales, cette fois. Les leçons de l’ennuyeux troisième épisode, qui en abusait,semblent  avoir été partiellement retenues. En contrepartie, il y a beaucoup de combats sabre à la main. Trop, une fois encore. Brouillonnes et assez mal chorégraphiées, elles se succèdent à un rythme un peu trop mécanique pour ne pas finir par lasser sur une aussi longue durée (2h15, quand même…).
Et puis, les scènes d’action nocturnes sont bien trop sombres, surtout avec les lunettes 3D sur le nez. Car oui, le film est en relief… En fait, cette projection était surtout l’occasion d’une montée des marches de Johnny Depp et Pénélope Cruz et la possibilité donnée à la société XPand de présenter à quelques privilégiés ses nouvelles lunettes 3D plus légères, qui s’adaptent automatiquement à la vue de leurs utilisateurs à l’aide d’une simple application sur smartphone… L’avenir de la 3D? Peut-être, mais il faudra peut-être qu’elle soit exploitée un peu moins paresseusement que dans cet épisode des Pirates des Caraïbes
 
Les neiges du kilimandjaro - 2

Pendant que les pirates mettaient le palais à feu et à sang, d’autres parlaient de révolution et de mobilisation.
Dans Les Neiges du Kilimandjaro, Robert Guédiguian réfléchit au déclin des utopies de gauche et du combat syndical, au manque d’engagement de la jeunesse contre les privilèges et l’exploitation des travailleurs, à la résignation des classes populaires face à la mondialisation. Il montre les effets conjuguées de la crise, du chômage, de la perte de crédibilité des élites sur la mentalité des “pauvres gens” : individualisme, jalousie vis-à-vis de personnes à peine mieux loties…
Le tout sous la forme d’une de ces comédies douces-amères, une de ces “chroniques de l’Estaque” typique du style de Guédiguian, et toujours avec sa bande d’acteurs habituelle : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Maryline Canto, Anaïs Demoustier,…
C’est un film comme toujours engagé, utopiste, profondément humaniste. On peut adhérer au message, à la forme, aux deux ou ne pas aimer du tout. Moi, j’ai plutôt apprécié, même si les situations sont un peu forcées…  

Autre film présenté dans la section Un Certain Regard aujourd’hui : Bonsaï, histoire d’un écrivain pris au piège de sa propre fiction qui a reçu des échos assez favorables des premiers spectateurs…

17 filles - 2

A la Quinzaine, les festivaliers ont pu découvrir Porfirio d’Alejandro Landes, l’histoire poétique d’un handicapé qui tente de survivre dans une petite ville de l’Amazonie Colombienne en vendant des minutes de téléphone portable et s’évade en rêvant qu’il peut voler.
Mais aussi La Fin du silence, drame familial défini comme un comme un “film impressionniste de suspense” par son auteur, Roland Edzard.
Et enfin,  Return, de Liza Johnson, qui traite du retour d’une femme soldat dans sa ville natale et peine à se réinsérer dans une société sinistrée par la crise financière.
A la Semaine de la critique, les soeurs Coulin présentaient leur premier long-métrage, après des courts remarqués. 17 filles raconte l’histoire d’adolescentes qui décident de tomber enceintes en même temps, choquant leurs camarades et leurs parents… Pourtant, cela boosterait la natalité, non?

Bollywood - 2
     
La journée s’est bouclée en musique, avec une séance spéciale “Bollywood”. Pas avec un film de fiction, hélas (ou heureusement, vu l’horaire tardif de la projection et la durée des films indiens…), mais un montage d’images d’archives destiné à retracer la création de la plus grande industrie cinématographique du monde.
J’insiste sur montage d’image d’archives car Bollywood, the greatest love story ever told n’est pas un documentaire, juste une succession d’images coupées à la hache et assemblées par un monteur fou, sur fond de musique indienne. En guise d’introduction, ça aurait pu passer. Mais c’est tout le film qui est comme ça, entremêlant des actualités d’époque sur la décolonisation, la révolution de Gandhi, etc…,avec des extraits, pardon, des lambeaux de films bollywoodiens…
J’ai tenu 40 mn, mais là, c’était trop pour moi… Dommage, j’ai dû rater le seul intérêt de la séance : voir la scène de l’auditorium Lumière envahie par des danseuses indiennes, exécutant des chorégraphies en même temps que les actrices du film… Tant pis…

A demain pour d’autres chroniques cannoises…

Cannes 2011 affiche 2

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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