Ultime vraie journée de festival, avec la présentation des deux derniers films en compétition, la clôture de la section Un Certain Regard et le rattrapage de quelques films dans les sections parallèles.
On commence par la compétition, avec le retour de Nikita Mikhalkov sur la Croisette.
Soleil Trompeur 2 : l’exode, comme son nom l’indique, est la suite de Soleil trompeur, qui avait gagné le grand prix du jury en 1994. De prime abord, on est assez surpris de ce projet, vu que tous les personnages principaux étaient supposé être morts à la fin du premier film (Kotov, soupçonné de complot contre Staline, était censé être exécuté, sa femme envoyée au goulag et y décéder, Mitya se suicidait, plein de remords…). Et pourtant, on les retrouve ici. Grâce à une astuce scénaristique, Kotov a été déplacé avec les prisonniers de droit commun et a réussi à échapper à son exécution. Lorsque l’URSS est entrée en guerre, il a été mobilisé avec les bataillons de détenus. Dans le même temps, sa fille – qui a bien grandi – initialement recueillie par Mitya, s’est engagée auprès de la croix-Rouge pour porter secours aux victimes de guerre…
La question est de savoir si le père et la fille finiront par se retrouver. Mais il faudra attendre encore un peu pour connaître l’issue de cette longue fresque historique. En effet, le film se termine de manière assez abrupte, par un carton annonçant “fin de la première partie”. Il y aura donc un Soleil trompeur 2 – 2ème partie… Frustrant…
D’autant qu’on était plutôt bien dedans… Certes, la brillante chronique intimiste du premier opus laisse place à une fresque grandiloquente, dotée d’un budget sans doute assez conséquent pour le cinéma russe, et certes, le film est plus orienté “grand public”. Mais il réserve quelques beaux mouvements de cinéma, et, contrairement à d’autres oeuvres présentées à Cannes cette année, on ne s’y ennuie pas une minute…
Il n’en reste pas moins que cette fin abrupte, inattendue, laisse un goût d’inachevé qui compromet grandement les chances de Mikhalkov d’obtenir la palme d’or, de notre point de vue du moins…
Autre film un peu frustrant, Un garçon fragile – le projet Frankenstein de Kornél Mundruczo. Le début est alléchant, avec l’idée d’un film dans le film, dans lequel un cinéaste – joué par Mundruczo lui-même, pour parfaire la mise en abîme… – ne veut pas d’acteurs confirmés mais des débutants qu’il pourra façonner selon ses envies. On se dit alors qu’associée à une relecture du mythe de Frankenstein, cette idée pourrait déboucher sur une passionnante variation sur la création artistique.
C’est un peu le cas, évidemment, mais l’ensemble est vite plombé par la lenteur du rythme imposé par le réalisateur, et son approche assez radicale du langage cinématographique. Il faut s’accrocher pour suivre un film dans lequel, assez vite, il ne se passe plus grand chose, à l’exception d’un ou deux éclats de violence.
Dommage, car le film s’appuie sur une mise en scène de fort belle facture, avec des cadres très travaillés, usant intelligemment de motifs récurrents (barreaux, colonnes…) et des orientations de caméra. Mundruczo est assurément un cinéaste à suivre. Il lui faudrait peut-être juste tenter des oeuvres un peu moins expérimentales pour obtenir l’adhésion du public cinéphile – à défaut de celle du grand public….
La section Un Certain regard s’est achevée ce soir avec la remise des prix et la projection du film primé. Jamais deux sans trois : après avoir raté la clôture de la Semaine de de la critique jeudi (volontairement pas tentée) et celle de la Quinzaine hier (bloqué à quelques mètres du but), je n’ai pas pu assister non plus à celle-là, faute de places disponibles. Il faut dire que cette fois, je suis arrivé tardivement dans la file d’attente et que je ne pouvais pas vraiment attendre de miracle. Pourtant, nous n’étions plus qu’une dizaine de festivalier à vouloir rentrer dans la salle. Avec un petit effort, il aurait probablement été possible de nous faire rentrer…
Mais le plus frustrant, c’est qu’une fois le palmarès annoncé, les gorilles de la sécurité n’ont pas voulu nous laisser accéder au film (Ah ah ah de Hong Sang-soo), alors que la salle s’est vidée au moins de moitié… Le motif ? Pas de personnel vigipirate disponible pour nous fouiller à l’entrée… Pfff… Tu parles ! Hier, tout le monde était bien mobilisé pour fouiller les sacs et confisquer les bouteilles d’eau, alors pour faire rentrer cinq ou six personnes de plus, ça n’aurait pas dû poser de problème… Mais certains agents de sécurité sont bornés et obéissent aveuglément aux ordres de leurs chefs, qui se moquent royalement de satisfaire le public cinéphile… Fin du coup de gueule du jour…
A la place, j’ai pu me concentrer sur la reprise des films de la Quinzaine des Réalisateurs, fortement centrés, curieux hasards de la programmation, autour des animaux.
J’ai récupéré Pieds nus sur les limaces, le film de clôture, dans lequel Ludivine Sagnier joue une jeune femme mentalement déficiente, fortement attirée par les animaux morts, qu’elle conserve dans du formol, au congélateur ou dont elle récupère les fourrures pour en faire des pantoufles (très chic). A la mort de sa mère, sa soeur aînée (Diane Kruger) vient s’occuper d’elle dans la grande maison familiale et se laisse peu à peu gagner par sa folie douce et son exubérance.
Le film est une jolie comédie douce-amère, entrecoupée d’épisodes plus inquiétants ou plus étranges, qui repose surtout sur des dialogues cinglants, assez irrésistibles.
Pas d’animaux morts dans Le Quattro volte, mais un troupeau de chèvres et un chien de berger assez cabot (qui a d’ailleurs gagné la Palme Dog…)… Bon je sais, j’avais dit dans la semaine que je ne tenais pas trop à aller voir un film contemplatif, sans paroles, s’attardant sur des animaux et des objets. Mais il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, et il aurait été dommage de passer à côté de ce beau film qui traite avec humour et poésie des cycles de la vie, de l’harmonie entre l’homme et la nature, et propose une belle promenade dans les paysages de Calabre…
Le court-métrage ayant remporté le grand prix, Cautare, dépeint également un milieu rural assez pauvre, montrant le quotidien de deux roumains, réparateurs itinérants de tonneaux, vivant dans une petite roulotte tractée par un cheval. Tout simple, mais assez beau…
Enfin, avec Tiger factory, troisième film du malais Woo Ming Jin, on a droit au premier film “cochon” du festival. Il y est en effet question de trafic de semence de porcs, uns des moyens qu’a trouvé une jeune femme pour réunir la somme qui lui permettra de partir vivre au Japon… Un film assez lent, mais qui décrit bien les difficultés de vie rencontrées par les jeunes malais.
Voilà, c’est fini pour cette année… Enfin presque. Demain, tous les films de la compétition seront repris dans les différentes salles du palais, pour permettre aux festivaliers de rattraper les films manqués. Et, bien sûr, il y aura la cérémonie de remise des différents prix, dont la Palme d’or, avant la projection d’un film de clôture dont tout ceux qui l’ont vu disent beaucoup de bien : L’arbre de Julie Bertucelli…
Et dire qu’il y avait des rumeurs ici, comme quoi Mikhalkov allait avoir la palme d’or. Ah ! Ah ! Il lui fallait au moins ça pour essayer de récupérer l’échec commercial de son film (8M$ de recettes pour 50M$ de budget !) malgré toutes les incitations faites aux spectateurs russes: pubs à la télé en prime time, classes entières « conviées » à aller voir le film, etc.
Une vaste opération de com’, mais l’emphase et la grandiloquence ne font pas recette à Cannes et c’est mieux comme ça. Ce type sera le fossoyeur du cinéma russe à force d’en pomper les maigres ressources à des fins courtisanes…
A part ça, le palmarès a l’air bien.
« Emphase » et « grandiloquence » ? Mouais… J’aurais plutôt dit « amplitude de mise en scène » et « lyrisme », mais il est vrai que la frontière entre les deux est plutôt ténue.
Au fait, tu as vu le film ?
J’ai plutôt aimé, moi, ce « Soleil trompeur 2 », même si je préfère et de loin les films que Mikhalkov réalisait par le passé (avant « Le Barbier de Sibérie » en fait).
« Les yeux noirs » ou « Urga », c’était quand même bon, voire très bon…
Il y a des scènes intéressantes dans cette fresque assez énorme, et comme je le disais dans mon compte-rendu, on ne s’y ennuie pas une minute malgré la durée du film, alors que certains films d’1h20 étaient paradoxalement interminablement longs. Mais pour la Palme, c’était fichu d’avance. On ne propose pas un bout de film, fût-il de 2h30 (quand même), à un Festival comme Cannes. La fin abrupte laisse une désagréable impression d’inachevé. C’est frustrant.
J’espère qu’il a déjà bouclé sa seconde partie, parce que sinon, au vu de ce que tu dis, elle risquerait de ne jamais voir le jour. Doublement frustrant…
Après, concernant l’emprise de Mikhalkov sur le cinéma russe et ses liaisons dangereuses avec le pouvoir, quel que soit son orientation politique, le débat reste ouvert.
Vu les moyens dont bénéficie « Soleil trompeur », on se dit que le cinéma russe n’est pas aussi démuni qu’il n’y paraît, et beaucoup de jeunes auteurs prometteurs pourraient, avec des sommes plus raison,nables, livrer de véritables petits bijoux…