Bridget Jones folle de luiCher journal,

Je ne sais pas si tu te souviens, mais en 2001, j’avais fait la connaissance d’une jeune femme nommée Bridget Jones. Elle avait alors une petite trentaine d’années et moi quasi autant. Elle était célibataire, légèrement enrobée, un brin gaffeuse, très rigolote et ne crachait jamais sur un bon verre de vin. Autant de points communs, forcément, ça crée des liens…

Je m’étais instantanément attaché à cette femme un peu paumée mais décidée à reprendre sa vie en main et j’ai suivi toutes ses aventures cinématographiques, portant un regard tendre et amusé sur tous ses déboires sentimentaux, entre élans amoureux ingénus, peines de coeur douloureuses et moments de solitude que l’on ne peut surmonter qu’avec un pot de glace, une bouteille de blanc et en massacrant “All by myself” d’Eric Carmen. Je n’ai rien raté de sa liaison avec son patron, Daniel Cleaver (Hugh Grant), un type drôle et charmeur, mais ayant quelques soucis avec l’honnêteté et la fidélité, ni des hauts et des bas de sa romance avec Mark Darcy (Colin Firth), avocat un peu coincé, mais séduisant. Depuis leur rencontre, ça a toujours été compliqué entre Bridget et Mark. Ces deux-là n’ont pas cessé de se tourner autour, se mettre ensemble, se séparer suite à des quiproquos ou des gaffes, pour mieux se retrouver. Cela a fait l’objet de deux autres longs-métrages, Bridget Jones : l’âge de raison (de Beeban Kidron, en 2004), puis Bridget Jones Baby, le journal (de Sharon Maguire, en 2016), jusqu’à ce qu’un bébé vienne enfin cimenter leur couple, après une grossesse mouvementée.
J’ai l’impression qu’elle s’est confiée à moi comme elle se confie à ses amis : Jude (Shirley Henderson) et Tom (James Callis), Shazza (Sally Phillips), Miranda (Sarah Solemani), Magda (Claire Skinner), Talitha (Josette Simon), qui sont là pour la soutenir dans tous les aléas de l’existence, ou à sa gynécologue/médecin/pédiatre/psychanalyste (Emma Thompson), qui est, en passant, un parfait médecin traitant, modèle de patience avec ses patients.

C’est donc en vieil ami que j’ai abordé le quatrième et a priori ultime tome de son journal sur grand écran. Je commence à la connaître, Bridget. Je m’attendais donc à de nouvelles péripéties comico-sentimentales assez prévisibles, de gaffes et de boulettes, de dilemmes vestimentaires (la lingerie sexy en dentelle ou la culotte géante de grand-mère ?). Il y a un peu de cela, évidemment, dans Bridget Jones : Folle de lui. Mais le film réussit à surprendre en adoptant une tonalité souvent plus mélancolique, plus profonde que les précédents épisodes.
Il faut dire que Bridget (Renée Zellweger) a désormais cinquante ans. Elle a gagné en maturité et endossé un nouveau rôle, celui de mère de famille dévouée, qui tente tant bien que mal de s’occuper de ses deux enfants, Billy (le “baby” du 3ème opus), 7 ans, et Mabel, 5 ans. sa méthode est le plus souvent atypique, bien sûr, et est jugée avec une certaine condescendance par la voisine “parfaite” de Bridget. Mais elle ne s’en sort pas plus mal pour un parent célibataire. Car Bridget, une fois encore, se retrouve seule. Mark l’a quittée. Définitivement. On apprend que quatre ans plus tôt, Darcy est brusquement décédé lors d’un voyage humanitaire, laissant sa compagne et ses enfants inconsolables.
Dans ce nouvel épisode, Bridget doit surmonter sans doute la pire épreuve d’une vie sentimentale : la perte brutale de l’être aimé. Ici, c’est d’autant plus cruel qu’après beaucoup de vicissitudes, le couple allait enfin pouvoir mener une existence heureuse et apaisée. Bridget n’a pas encore pu faire son deuil. Elle continue d’ailleurs de voir par moments son défunt mari à ses côtés. Ceci la réconforte et, dans le même temps, l’empêche d’avancer. Elle n’a pas encore repris sa vie professionnelle et est encore moins encline à rencontrer de nouveaux hommes. Son quotidien est juste dédié à l’éducation des deux enfants.
Mais maintenant que Billy a atteint l’âge de raison, elle réalise qu’il est peut-être temps de se remettre à vivre. Quand Miranda, l’inscrit sur Tinder, elle se sent d’abord gênée, inquiète de trahir la mémoire de Mark en s’encanaillant avec un autre homme et peu confiante quant à son pouvoir de séduction post-ménopause. Mais elle se prend vite au jeu quand elle rencontre Roxster (Leo Woodall), un gardien de parc de vingt ans son cadet. Le jeune homme est beau, sexy, poli et serviable. Et il ne semble pas embarrassé par leur différence d’âge. Mais cette relation a-t-elle vraiment un avenir ? Roxster ne risque-t-il pas d’avoir envie de s’investir dans une relation avec une femme de son âge ? Ne va-t-il pas se lasser des charmes fanés de la quinquagénaire. Bridget, de son côté, est-elle prête à vivre avec un autre homme que Mark ? Surtout un adonis aussi sexy, qui la mettrait incessamment dans un état d’intranquillité ? Mais peut-elle laisser passer une telle chance ? Car sinon, qui pourra la sortir de sa routine de veuve éplorée et de maman fatiguée ? Mr Walliker (Chiwetel Ejiofor), le nouvel instituteur de Billy, est séduisant et cultivé, mais sans doute trop cartésien pour la fantasque Bridget. Et l’inénarrable Daniel, qui continue incessamment de flirter avec elle, vingt ans après leur liaison, ne manque pas de sex-appeal, mais reste aussi incorrigiblement volage…

Ce dernier a lui aussi pris de l’âge. Il est désormais sexagénaire et si son humour est inoxydable, son visage affiche quelques rides marquées et son coeur n’est plus aussi vaillant qu’auparavant. Daniel réalise qu’il n’est pas éternel et qu’à force de multiplier les conquêtes, il est peut-être passé à côté de l’essentiel. Walliker a beau être un peu plus jeune, il n’est finalement pas si différent. Le professeur, à force d’enseigner à des générations d’élèves les théories de Newton et autres scientifiques émérites, n’a pas vu le temps passer et n’a pas su résoudre l’équation délicate associant vie professionnelle et vie privée. Tous semblent traverser une petite crise existentielle, celle de la cinquantaine ou de la mi-vie. Ils font le bilan des plus belles années de leur parcours, ruminent leurs frustrations et leurs regrets, et se demandent ce qu’ils doivent changer pour trouver un second souffle salutaire.
Quant à Bridget, elle angoisse surtout de se retrouver toute seule face à ses problèmes. Les hommes de sa vie – Mark, bien sûr, mais aussi son père – ne sont plus là pour l’aider à affronter les difficultés du quotidien et, comme Miss Jones se sent toujours inférieure à toutes ces femmes “parfaites” qui l’entourent et savent mieux qu’elle gérer les relations humaines ou l’éducation des enfants, elle perd régulièrement pied, assaillie par les doutes.
En voyant tout ce petit monde s’interroger sur la vieillesse et les affres du temps qui passe inexorablement, difficile de ne pas être saisi à son tour d’un certain vertige.

Cher journal, je dois t’avouer que le film m’a fait tout drôle à moi aussi… Il m’a fait réaliser que je connais Bridget Jones depuis près de vingt-cinq ans (1) et que moi non plus, je n’ai pas vu le temps passer. J’ai aussi vieilli (beaucoup), gagné en maturité (un peu) et traversé quelques moments difficiles qui me font appréhender avec un regard différent les épreuves rencontrées par l’héroïne. Et le film m’a beaucoup plus remué que je ne veux l’admettre.
Heureusement, la bande-son donne un peu la pêche, accumulant quelques classiques du jazz et du rock british (“Modern Love” de Bowie, “Should I stay or should I go” des Clash ou “Mad about the boy” de Dinah Washington, qui donne son titre au film). Et le scénario ne manque pas d’humour, comportant même quelques séquences assez irrésistibles. On pense par exemple au test par Bridget d’un produit repulpant “miracle” acheté sur le darknet et ses résultats surprenants, un moment d’autant plus savoureux que l’on sait que Renée Zellweger a elle-même été très critiquée pour son recours abusif à la chirurgie esthétique. On apprécie aussi quelques répliques caustiques comme seuls les britanniques savent les élaborer, qui se sirotent comme les cocktails élaborés par Hugh Grant (la “petite cochonne” – “Dirty b***” en anglais…).
Mais le film de Michael Morris (surtout connu pour avoir signé To Leslie, drame mettant en valeur Andrea Riseborough) se distingue moins par ses morceaux de bravoure comiques que par ses moments dramatiques. La scène où la famille Darcy honore la mémoire du défunt en lâchant des ballons, par exemple, est magnifique. Un beau moment de cinéma, avec son plan large sublime, doublé d’un beau moment d’émotion, qui fera sans doute couler quelques larmes parmi les spectateurs.
Ici, le ton général est assurément plus morose que les épisodes précédents, et cette amertume creuse son sillon malgré le dénouement, évidemment follement romantique.

Et ce ne sont pas les images du générique de fin, reprises des trois précédents films de la saga, qui viennent me mettre du baume au coeur. Déjà parce que je réalise que les personnages ont bien subi les ravages du temps depuis leurs premières aventures– et moi probablement autant qu’eux, pour ne pas dire plus – et ensuite parce que ce patchwork est clairement une façon de boucler la saga et de tourner la page, puisqu’il n’y aura pas (a priori) de cinquième épisode (2). Finalement, accompagner Bridget dans son processus de deuil et de renaissance, c’est aussi se préparer à faire le deuil d’une belle histoire et dire adieu à une vieille amie. Aïe, moi qui avais déjà du mal à me remettre de la perte de David Lynch, ça n’arrange pas les choses…
Bref, le film fini, j’ai été pris d’une furieuse envie de chanter “All by myself” (faux, mais je m’en fiche…), de vider un pot de crème glacée (pas bon pour le diabète et le cholestérol…) et de boire une bonne bouteille de Puligny-Montrachet (il faut bien cela…).

Cher Journal, promis, demain j’arrête les excès, mais là, il faut se remonter le moral…

(1) : Le roman d’Helen Fielding, “Le Journal de Bridget Jones” a été publié en 1996. L’adaptation, signée Sharon Maguire, est sorti en 2001.
(2) : Les quatre romans écrits par Helen Fielding entre 1996 et 2016 ont été adaptés et elle n’a pas annoncé son intention d’en écrire un cinquième. Mais le succès du film et la complicité des comédiens incitera peut-être l’auteure à reprendre la plume.


Bridget Jones, Folle de lui
Bridget Jones : Mad about the boy

Réalisateur : Michael Morris
Avec : Renée Zellweger, Hugh Grant, Chiwetel Ejiofor, Emma Thompson, Leo Woodall, Elena Rivers, Shirley Henderson, James Callis, Sally Phillips, Sarah Solemani, Claire Skinner), Josette Simon, Gemma Jones, Jim Broadbent, Celia Imrie, Nico Parker, Isla Fischer
Genre : fin de saga attachante, drôle et émouvante
Origine : Royaume-Uni, Etats-Unis, France
Durée : 2h05
Date de sortie France : 12/02/2025

Contrepoints critiques :

”Le deuil de la Londonienne a beau apporter un semblant d’âme et Hugh Grant, vieux beau face à sa finitude, du piquant le temps de quatre scènes, tout est cousu de fil rose, rabâchage d’une formule poussive et ringarde de la « rom com » pour lectrices de « Cosmopolitan » faisant mine d’épouser l’air du temps et l’âge de son héroïne.”
(Nicolas Schaller – Le Nouvel Observateur)

”Il y a quelque chose de doux-amer dans cette vie déjà bien avancée qui se cherche un nouveau souffle. Une ironie triste et savamment mordante se distille dans les gags qui s’enchaînent avec brio (la machine, bien huilée, tourne à un rythme réjouissant). Mais c’est en dehors des sourires que réside l’intérêt du film.”
(Elise Lépine – Le Point)

Crédits photos : copyright Studio Canal

1 COMMENT

  1. Mille mercis : je me demandais si j’avais été prise d’une sensiblerie excessive … tu me rassures ! Je suis Bridget 😉

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