En 2000, Amours chiennes, un “petit” film mexicain faisait sensation au festival de Cannes et révélait au grand public deux talents hors normes.
D’une part, celui du scénariste Guillermo Arriaga, qui fait partie de ces rares auteurs capables d’écrire des histoires chorales parfaitement rythmées et équilibrées, en tissant des intrigues denses et complexes à partir de fils narratifs très variés.
D’autre part, celui d’Alejandro Gonzalez Iñarritu, cinéaste qui maîtrise toutes les nuances du langage cinématographique et l’utilise pour composer des mises en scènes élégantes, subtiles et inventives.
Fort du succès de leur premier film, ils ont continué leur fructueuse collaboration pour nous livrer deux petits chefs-d’oeuvre : 21 grammes, superbe mélodrame avec Sean Penn, Naomi Watts et Benicio Del Toro, puis Babel, fresque ambitieuse tournée dans différents coins du monde.

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Mais voilà, à cause d’une idiote querelle d’égos, les deux hommes se sont irrémédiablement brouillés. Arriaga voulait que son nom soit cité comme co-auteur du film, estimant que les films devaient beaucoup à ses scénarios (ça se défend…). Iñarritu a refusé, arguant que l’apport d’Arriaga aurait été négligeable sans ses mises en scènes minutieuse (ça se défend aussi…).
L’affaire aurait pu se régler à l’amiable, par une discussion calme et posée, mais c’était compter sans le tempérament muy caliente de ces deux mexicains, qui ont préféré un dialogue plus agité et une séparation fracassante…
Depuis, chacun a repris, séparément, le chemin des studios et on était curieux de voir ce qu’allait donner le travail de l’un sans l’autre.

Arriaga a, le premier, présenté le fruit de son travail, avec un premier film en tant que metteur en scène, Loin de la terre brûlée. Une histoire dense, complexe, ramifiée, typique des écrits de cet auteur, mais une mise en scène manquant de tonus et subtilité… Pas encore à la hauteur des arabesques filmiques d’Iñarritu, même si elle s’en inspire fortement…

On pouvait donc craindre, à l’inverse, que le nouveau long-métrage d’Alejandro Gonzalez Iñarritu brille par sa mise en scène, mais soit plombé par un scénario affligeant de banalité…
Eh bien après avoir vu Biutiful, nous sommes un peu rassurés…
Certes, l’intrigue ne possède pas l’ampleur des scénarios arriagéens, mais elle reste absolument captivante, forte et bouleversante…
Iñarritu avait pour habitude de réaliser des films-choraux faisant intervenir de nombreux personnages au service d’un sujet donné. Ici, il se concentre sur quelques personnages, mais aborde de nombreux thèmes subtilement reliés les uns aux autres.

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C’est le récit très noir d’un homme en bout de course dans une ville de Barcelone qui n’a pas grand chose à voir avec ce que le cinéma nous en montre habituellement. Oubliez les bâtiments de Gaudi, les jardins colorés, les bars chaleureux. Le cinéaste nous entraîne dans les bas-fonds de la ville, là où des centaines d’hommes et de femmes doivent lutter quotidiennement pour leur survie.
Uxbal (Javier Bardem) fait partie de ceux-là. Pour gagner de quoi nourrir ses enfants, il participe à tout un tas de trafics plus ou moins douteux, pour lesquels il exploite des gens encore plus faibles que lui, essentiellement des immigrés clandestins asiatiques ou africains en quête de petits boulots payés une misère et prêts à tout pour avoir un endroit où dormir…
Il doit composer avec une ex-épouse atteinte de troubles bipolaires, inapte à élever correctement leurs enfants, un frère menteur et manipulateur, des contacts professionnels énervés et des flics corrompus…
Il doit aussi faire face, depuis peu, à un mal qui le ronge de l’intérieur. Une maladie incurable qui ne lui laisse que quelques semaines à vivre…

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Avant de quitter ce monde, Uxbal doit assurer l’avenir de ses enfants, trouver quelqu’un qui saura s’en occuper. Lui qui a toujours vécu égoïstement, fermé aux autres – mais sans doute pouvait-il difficilement faire autrement – essaie de faire la paix avec sa conscience en apportant enfin un peu d’affection et de compassion à ceux qui l’entourent. A son ex-femme, avec qui il tient à se réconcilier, à ses enfants, à qui il veut transmettre un minimum de choses, aux personnes qu’il a exploitées et dont il réalise – mieux vaut tard que jamais – la dureté des conditions de vie…

Il faut un peu de temps avant d’entrer dans le film, de s’attacher aux personnages et de comprendre les tenants et les aboutissants de son histoire. Mais cela vaut vraiment la peine de s’accrocher et d’attendre que l’oeuvre livre ses secrets, déployant au passage un nombre impressionnant de thématiques : la paternité, la famille et la force du groupe, l’argent, l’humanisme au coeur de la misère, l’immigration clandestine et le sort tragique des sans-papiers, la maladie et la mort, qui étend son ombre sur l’ensemble du film…

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Le cinéaste mêle de façon audacieuse le cheminement individuel d’Uxbal à celui, plus général, des sans –papiers, et Biutiful trouve alors parfaitement sa place dans la filmographie du cinéaste, explorateur de l’âme humaine et de ses plus noirs tréfonds, et observateur d’un monde qui tourne à l’envers…
Le cancer qui dévore Uxbal est symbolique du mal qui ronge les sociétés occidentales : l’incommunicabilité entre les êtres, l’égocentrisme et l’obsession de la réussite individuelle, la corruption…
Ce constat social poignant donne bien évidemment une tout autre dimension à l’oeuvre. Iñarritu est ambitieux. Il ne fait pas du mélodrame pour faire du mélodrame. L’intrigue est un vecteur pour faire passer le message du film et ouvrir ainsi les regards, secouer les consciences des spectateurs et réinsuffler un peu d’humanité dans un monde qui en a bien besoin…

Il utilise tous les artifices scénaristiques dont il a besoin pour faire passer l’émotion, prêtant ainsi le flanc à ses détracteurs, qui lui reprochent l’emphase mélodramatique du script, on extrême noirceur, son côté misérabiliste…
Leur point de vue se défend. Le nôtre aussi… Et ce d’autant plus que le film compte deux atouts de taille dans son jeu : l’interprétation magistrale de Javier Bardem et la mise en scène brillante d’Alejandro Gonzalez Iñarritu…

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Bardem est une fois de plus impressionnant dans ce rôle d’homme perdu – dans tous les sens du terme – en quête de rédemption et d’apaisement spirituel.
Il restitue toute la complexité de ce personnage imparfait, massif et fragile à la fois, bien dérisoire par rapport aux forces de l’univers et au monde qui l’entoure…
Sa performance lui a logiquement valu le prix d’interprétation masculine lors du dernier festival de Cannes. Pour ce film et pour le reste de sa carrière (hormis deux ou trois navets oubliables), c’est amplement mérité…

Quant à la mise en scène d’Iñarritu, c’est une véritable leçon de cinéma.
L’auteur joue sur les mouvements de caméra, les cadrages, les lumières et les effets de montage avec discrétion et efficacité. Il utilise la puissance du langage cinématographique, les récurrences visuelles, les éléments du décor pour conférer une dimension poétique indéniable à cette oeuvre fortement ancrée dans une réalité peu joyeuse. Enfin, il continue son travail sur le son, entamé avec Babel, en créant une ambiance sonore incroyable, enveloppante, dense, encore magnifiée par la musique qu’a composée par Gustavo Santaolalla.

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A notre humble avis, Biutiful était, avec l’Oncle Boonmee de Weerasethakul, le film le plus abouti de la compétition du 63ème festival de Cannes.
Une franche réussite, qui nous rassure sur la capacité d’Iñarritu à se renouveler. Cela laisse augurer encore bien d’autres longs-métrages, toujours plus ambitieux et maîtrisés. Tant mieux pour le cinéma, tant mieux pour les cinéphiles !

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Biutiful

Réalisateur : Alejandro Gonzalez Iñarritu
Avec : Javier Bardem, Maricel Alvarez, Taisheng Cheng, Eduard Fernandez, Diaryatou Daff, Bianca Portillo Origine : Mexique, Espagne
Genre : film humaniste
Durée : 2h18
Date de sortie France : 20/10/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Laterna Magica

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1 COMMENT

  1. Je n’ai pas vu l’Oncle palmé, mais j’ai été conquis par Biutiful. C’est vrai qu’à un certain point du film, Inarritu en fait probablement un peu trop, peut-être qu’une seule classe d’immigrés aurait allégé le film, et ainsi, diminué le nombre de critiques acerbes à son égard.
    C’est un film d’émotions, il faut se laisser porter et le vivre.

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