Chapitre 15 : Loup y-es tu?
Un matin, aux aurores, le capitaine nous envoya chasser un loup censé rôder aux alentours du Cap Cinéma.
“Chic, un loup de Wall Street!” lança le lieutenant Omaïs, obsédé par la capture de Leo DiCaprio (ou alléché par les soirées organisées par le personnage).
”Formidaaaable, le temps du loup”, répliqua le lieutenant Rouyer, fin connaisseur de l’oeuvre de Michael Haneke.
” Cool, le loup garou de Beaune” lança le lieutenant Riaux, un autre de nos collègues, amateur de grands espaces et d’écrans larges, et possédant lui aussi une pilosité faciale assez fournie.
“Si on faisait un pacte avec lui?” demanda la lieutenante Belpêche, une petite brune qui ne travaillait curieusement que le dimanche.
” Waouh Kevin, regarde, un loup! Waouh Mara, comment est-ce possible? Nous sommes en peine brousse”, lança le lieutenant Cras, qui venait de voir le film African Safari 3D.
Nous arrivâmes très vite sur les lieux, mais nous ne trouvâmes point de loup. A la place, un jeune réalisateur hollandais, Jim Taihuttu, et son attaché de presse, le très actif Michel Burstein. Nous étions nous trompés d’endroit? Non, pas du tout. En fait, le loup que nous devions capturer était le film du jeune homme, Wolf. Le cinéaste nous conseilla de partir tant qu’il était encore temps, car son loup risquait d’être féroce.
”C’est un film assez long, en noir et blanc et c’est trèèèès violent”. Pas de quoi nous effaroucher. A six flics, nous étions prêts à affronter la bête féroce.
Finalement, nous n’eûmes pas besoin de forcer beaucoup nos talents de chasseurs pour maîtriser l’animal, qui, à y regarder de plus près, n’était pas vraiment un loup. A vrai dire, c’était à peine un louveteau. Tant d’efforts déployés pour capturer un petit toutou à son Kassovitz. Ah! Nous avions tous la haine!
Seul le lieutenant Omaïs, admiratif devant la carrure de la bête ( l’acteur Marwan Kenzari) tenta de l’apprivoiser. Mes autres collègues me laissèrent rédiger le rapport d’intervention :
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Wolf de Jim Taihuttu
Majid, un jeune hollandais d’origine marocaine sort de prison, à la faveur d’une libération conditionnelle. Il trouve un travail, mal payé et ingrat, et reprend la boxe thaï, un sport pour lequel il est doué. Son entraîneur essaie de lui faire comprendre que s’il parvient à canaliser son agressivité, il pourra facilement passer professionnel, et, peut-être, vivre de ses talents de combattant. Mais Majid reprend aussi de mauvaises habitudes, traînant avec des voyous de son quartier et commettant de petits larcins avec eux. Son parcours l’amène à rencontrer Hakan, un chef de gang turc qui possède une certaine influence sur le quartier. Il prend Majid sous son aile, lui apprend les ficelles du métier et lui permet de gagner facilement de fortes sommes d’argent.
Plusieurs voies s’ouvrent devant le jeune homme, qui doit opérer des choix cruciaux pour le reste de sa vie…
Telle est, en gros, la trame narrative de Wolf, le second film de Jim Taihuttu. Pas franchement novatrice. Des histoires de jeune des cités partagés entre vie honnête et vie criminelle, travail et argent facile, anciens copains et famille, on en a vu des dizaines et des dizaines. Idem pour le monde de la boxe et des paris truqués : le schéma existe depuis des lustres (Nous avons gagné ce soir de Robert Wise, par exemple…). Et on ne parle même pas des histoires de trahisons entre gangsters…
La forme n’est guère plus novatrice. Noir & blanc contrasté, montage vif, musique rythmée : on pense beaucoup à un film comme La Haine de Mathieu Kassovitz. Normal, c’est l’une des références avouées du cinéaste… Mais, à la différence de Kassovitz, Jim Taihuttu peine à maintenir jusqu’au bout la tension de son récit. Son style est moins mature et surtout, il doit composer avec un scénario beaucoup plus lourd. Avait-il vraiment besoin de cette histoire de frère cancéreux? De cette relation entre le boxeur et la volage Tessa? De ce vieux complice qui se met soudain à le jalouser et à agir comme un caïd? Autant d’éléments qui viennent plomber un script déjà bien stéréotypé, et qui n’est pas très crédible. Difficile de gober que Majid, le jeune chien fou, réussisse à être un employé modèle le jour, un boxeur appliqué en fin d’après-midi, un gangster le soir et un amant fougueux la nuit, en prenant le temps, de surcroît, de s’occuper de ses affaires de familles et de rendre visite à son frère malade, sans jamais accuser le moindre coup de fatigue…
Heureusement, le jeu des comédiens limite la casse. Tous sont très bons, à commencer par Marwan Kenzari, la révélation du film. Ils parviennent à estomper les défauts du film et ses grosses ficelles du scénario. Le rythme imprimé à la mise en scène, enlevé, fait le reste.
Il ne s’agit pas d’un grand film, mais le résultat est assez intéressant. On suivra avec intérêt les prochains films du réalisateur, qui, la maturité aidant, trouvera peut-être sa propre voie…
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Chapitre 16 : Envoyés au charbon
La mission suivante nous envoya au charbon, au sens propre comme au figuré. En effet, nous dûmes aller rechercher un film perdu dans la mine de mépris des spectateurs beaunois. Black coal, auréolé de son ours d’or glané à Berlin n’avait pas suscité l’enthousiasme des festivaliers, loin de là. Le silence qui accueillit la fin de la projection fut absolument glacial. Aucun applaudissement, aucun avis positif, rien… Mais les visages des spectateurs furent on ne peut plus explicites. On y lut de la colère, de la déception, de la haine, même…
Il nous fallait impérativement tenter de remonter ce film, descendu par certains à un niveau plus bas que le dernier des nanars.
Le lieutenant Omaïs renonça. La descente lui fit rapidement ressentir un vertige bergmanien. Mais le lieutenant Rouyer, habitué à escalader à mains nues des monolithes, mena l’expédition à la perfection.
Ce ne fut cependant pas une partie de plaisir, loin de là. Il fallut descendre doucement, apprivoiser les parois lentement pour bien appréhender les subtilités du relief. Ce n’était clairement pas une sortie pour les néophytes. Il fallait un bon niveau de plongée cinématographique, ainsi qu’un minimum de connaissance de la société chinoise contemporaine pour s’approcher du coeur de l’oeuvre.
Nous arrivâmes à récupérer le film perdu et à le mettre au chaud, attendant le moment propice pour procéder à sa réhabilitation.
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Black Coal de Yinan Diao
Dès le début du film, Yinan Diao instaure une ambiance particulière et pose les données de son équation : crime sordide, classes sociales laborieuses, amour et haine, êtres humains à bout de souffle, entraînés malgré eux dans une spirale de violence, apparences trompeuses…
On suit le parcours d’un cadavre dans un tas de charbon. Ou plutôt non, de morceaux d’un cadavre dans des tas de charbon différents, du camion jusqu’à la chaîne de tri. On voit également un couple faire l’amour, puis on assiste à leur séparation, sur le quai d’une gare. L’homme s’accroche, ne veut pas laisser partir la femme. Elle le repousse violemment. On comprend qu’ils ont fait l’amour une dernière fois, avant de divorcer et se quitter à jamais.
L’homme en question, Zhang, est un flic et enquête sur le meurtre. Il trouve assez rapidement une piste à explorer, mais l’interpellation des suspects tourne mal et l’affaire est classée.
Dix ans après, Zhang ne s’est pas remis de ce drame. Il a quitté la police et sombré dans l’alcoolisme. Mais la découverte de deux cadavres potentiellement liés à son ancienne enquête vont le pousser à reprendre du service, à titre personnel…
Black coal appartient sans conteste au genre “noir”. Il en respecte les codes, du crime sordide à la femme fatale, et l’esthétique, toute en ambiances nocturnes inquiétantes et images poisseuses. Mais ce sont surtout ses personnages qui tiennent le récit. Ce sont des perdants magnifiques, des âmes grises rongés par leurs erreurs passées, des fantômes qui errent dans les rues gelées de la ville.
La grande force de Black coal est de parvenir à entremêler habilement sa trame de polar, une critique féroce de la société chinoise, viciée à la fois par les restes du système communiste et les travers du système libéral, et une histoire d’amour émouvante, qui parvient à germer dans la détresse et la solitude.
Pour apprécier les subtilités de cette oeuvre forte, portée par des plans magistraux, il faut toutefois faire preuve de patience. Le rythme est très lent et lancinant. Le cinéaste prend le temps de développer ses personnages et de ciseler des situations savoureuses, multipliant les digressions et les coups de théâtre jusqu’à un joli final en feu d’artifice, plein de poésie et de subversion.
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Chapitre 17 : Main de fer, gant de velours
Nous récupérâmes une nouvelle recrue, le lieutenant Vié-Toussaint. Une petite rouquine qui présentait la qualité de ne pas avoir la langue dans sa poche et d’être douée pour les interrogatoires complexes. Une main de velours dans un gant en fer, à moins que ce ne fusse l’inverse.
Le capitaine l’affecta immédiatement à la prise de déposition de Paul Haggis, rapport à son affaire de collision qui avait fait couler beaucoup d’encre.
Malheureusement, les détails de l’interrogatoire sont toujours classés “secret défense”, le bonhomme ayant frayé avec l’armée américaine dans Dans la vallée d’Elah. Mais une photo témoigne de cet interrogatoire, qui permit de condamner Mister Haggis à la réalisation de nouveaux films à perpétuité.
Chapitre 18 : Que diable est-il arrivé au nouveau film d’Egoyan?
Le lieutenant Rouyer et moi dûmes enquêter sur une étrange disparition. Celle de The Devil’s knot du planning des sorties en salles. Annoncé comme l’un des évènements de la rentrée 2013, au festival de Toronto, puis pressenti pour la courses aux Oscars, le film d’Atom Egoyan n’avait pas trouvé de distributeur pour le territoire français.
Nos indics nous avaient fait état de problèmes de gros sous entre ARP, l’habituel distributeur des films du réalisateur, et les détenteurs des droits, ces derniers exigeant une somme trop importante en échange de l’exploitation du film dans les salles hexagonales. Ceci expliquait sans doute toute l’affaire.
Cependant, nous devions nous assurer que l’absence de l’oeuvre n’était pas liée à un problème de qualité.
Le lieutenant Rouyer était un spécialiste d’Egoyan. Il connaissait la vérité nue sur chaque aspect de son oeuvre, de The Adjuster à Chloé, en passant par Calendar. Sans être en adoration devant le bonhomme, il pensait que son cinéma aurait encore de beaux lendemains.
De mon côté, je connaissais bien le fait divers décrit dans The Devil’s knot pour avoir déjà vu West of Memphis et Paradise lost, les documentaires qui lui avaient été consacrés. Je me demandais ce que le film d’Atom Egoyan allait apporter de différent par rapport à ces deux oeuvres très bien ficelées.
Voici ce que j’écrivis à propos du film :
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The Devil’s knot d’Atom Egoyan
Le 5 mai 1993, le jeune Steve Branch part faire du vélo avec deux de ses petits camarades, Michael Moore et Christopher Byers. A la nuit tombée, il ne sont toujours pas revenus. La police et les habitants ratissent la ville, mais aussi le bois avoisinant. C’est là, dans un étang, que l’on retrouve leurs cadavres, ligotés et mutilés. La police reçoit des renseignements pouvant les orienter vers plusieurs pistes, mais ils se focalisent essentiellement sur trois adolescents de la ville, Damien Echols, Jesse Misskelley Jr et Jason Baldwin, des mauvais garçons soupçonnés de s’adonner à des rituels satanistes dans les bois où on été trouvés les trois petites victimes. Des coupables idéals. Trop, peut-être…
Pour s’attaquer à l’affaire des “3 de West Memphis”, Atom Egoyan a dû effectuer des choix drastiques. Difficile, en effet, de raconter dans les détails une instruction qui a duré près de vingt ans et s’est avérée riche en retournements de situations, de fausses pistes en gaffes policières. Et difficile, surtout, de faire aussi exhaustif sur le sujet que les documentaires consacrés à cette histoire.
Les trois volets de Paradise lost , les plus complets, ont couvert les différents procès et mis en évidence une erreur judiciaire manifeste, dont les conséquences (peine de mort ou prison à perpétuité) auraient pu être dramatiques. West of Memphis, de son côté, a dénoncé le fonctionnement du système judiciaire américain, et notamment son incapacité à reconnaître ses erreurs. Et il a proposé une autre version des faits, pointant du doigt un coupable très probable, qui ne sera sans doute jamais inquiété.
Egoyan, lui, choisit plus simplement de montrer comment la communauté a décidé que Echols, Misskelley et Baldwin, trois garçons “différents”, étaient forcément les coupables de ces crimes sordides. Et il montre comment les mensonges, les témoignages approximatifs et les manipulations policières ont fini par entraîner l’affaire dans la mauvaise direction, au détriment de pistes plus sérieuses comme celle de “Mister Bojangles”, un homme couvert de boue et de sang qui a été aperçu dans une station service le soir du meurtre, ou de Chris Morgan, un adolescent tourmenté qui connaissait Steve Branch.
Ceux qui maîtrisent déjà parfaitement tous les secrets de cette sordide affaire ne seront pas vraiment surpris par ce film et son développement. Peut-être même seront-ils déçus. D’autant que The Devil’s knot , disons-le clairement, n’est pas le meilleur film de son auteur. Il est néanmoins suffisamment bien mené pour maintenir notre intérêt de bout en bout, et il lui permet surtout à Atom Egoyan de continuer à développer sa thématique de prédilection, passionnante, autour du mensonge, de la manipulation et des faux-semblants.
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Nous fûmes heureux d’avoir pu découvrir ce film mineur, mais néanmoins intéressant, et ne comprîmes pas pourquoi il ne trouvait pas de distributeur en France. Les documentaires sur l’affaire n’avaient été vus que par une poignée d’initiés et n’auraient pas pu faire d’ombre à cette fiction retraçant les faits réels. Grâce à son casting intéressant (Colin Firth, Reese Witherspoon, Kevin Durand, Elias Koteas et Alessandro Nivola) et sa mise en scène carrée, il avait de quoi trouver son public. Hélas, pour d’obscures raisons pécuniaires, le film était condamné à demeurer dans l’ombre.
Pour nous remonter le moral après cette double injustice – celle subie par les “3 de West Memphis” et celle subie par ceux qui ne verront jamais le film, nous allâmes écluser quelques grand crus dans les caves locales. Autant de breuvages divins que le Diable ne boirait pas…
Chapitre 19 : Le poids des mots
Après quelques affaires mal négociées par les enquêteurs de la brigade, le capitaine souhaita que nous révisions un peu peu nos fondamentaux.
“Mesdames, Messieurs, je veux que vous vous replongiez dans les livres. Allez donc faire un tour à la cérémonie de remise des prix du roman noir français et étranger, vous devriez trouver là de nouveaux ouvrages de références qui vous permettront d’être plus efficaces dans vos investigations.”
Nous allâmes donc à ladite cérémonie. Nous vîmes ainsi Cécile Chabrol Maistre remettre, au nom du cercle rouge, le prix du roman noir français à”Un notaire peu ordinaire” d’Yves Ravey (1), et celui du roman noir étranger à “Né sous les coups” de Martyn Waites (2).
Si le premier n’était pas présent pour recevoir son prix, le second vint sur scène pour déclamer son amour pour la France affirmant même que ce prix reçu dans notre beau pays signifiait pour lui “être enfin pris au sérieux en tant que romancier”. Nous nous retînmes de lui dire que, pour être vraiment pris au sérieux, il aurait fallu ne pas porter une chemise de rockeur des années 1960. Mais il faut reconnaître qu’elle lui allait bien. Et de toute façon, personne n’aurait eut l’idée d’aller se frotter à ce grand gaillard de plus de deux mètres.
Avant même de lire une ligne, nous avions déjà acquis une nouvelle sagesse…
Chapitre vin : Garde à vue
”Lieutenant Boustoune. Emmenez avec vous les lieutenants Vié-Toussaint, Belpêche et Liger et débrouillez-vous pour me trouver une preuve de la culpabilité de Frédéric Schoendoerffer et de sa bande, soupçonnés d’atteinte grave à l’art cinématographique et de placement de produit illicite. Il faut faire vite, la garde à vue ne durera pas plus de 96 heures…”
Le capitaine était remonté. Il avait une dent contre ce cinéaste, qui avait miraculeusement échappé à la condamnation pour trois vieilles affaires où sa culpabilité ne faisait aucun doute : l’ennuyeux Agents secrets, le calamiteux Truands, où il avait réussi la prouesse de faire jouer faux Philippe Caubère, et le non moins nanardesque Switch, à l’intrigue grotesque.
Nous commençâmes par l’interrogatoire des membres du gang. Présentés comme les “cerveaux” de l’opération, Michèle et Laurent Pétin préférèrent garder le silence, sans doute bien conseillés par leur avocat. Schoendoerffer, lui, assuma son oeuvre, sans l’ombre d’un remords, affirmant avoir trouvé dans ce script écrit par Simon Michaël et Philippe Isard, le “scénario de [s]a vie” et déclarant avoir accepté le job pour collaborer avec Gérard Lanvin.
Lanvin, lui, nous en dit un peu plus sur la genèse du méfait. Il affirma que le choix de son partenaire s’était fait entre le couple Pétin, Schoendoerffer et lui, au cours de repas bien arrosés. Sans doute Niels Arestrup était lui-même bien imbibé au moment d’accepter un tel rôle, mais ne se défila pas non plus au moment de défendre le film.
Après ces auditions infructueuses, nous eûmes quelques doutes quant à la culpabilité de ce quintet de citoyens par ailleurs fort respectables. Tous avaient défendu leur association avec fougue. Ils croyaient dur comme fer à la qualité de l’oeuvre.
Il allait falloir mettre les mains dans le cambouis et regarder le truc en question. De toute façon, on ne pouvait pas les condamner juste sur un repas trop arrosé, surtout à Beaune… Mais qu’allait-on découvrir, 96 heures, le nanar attendu ou “2x 48 heures, le film de Walter Hill”, comme l’espérât le lieutenant Liger?
Voici ce que j’écrivis dans mon rapport :
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96 heures de Frédéric Schoendoerffer
Passée une scène introductive assez pénible où le commissaire Gabriel Carré (Lanvin) fait répéter l’oral de l’examen d’officier de police à sa jeune collègue (Sylvie Testud, égarée), l’action commence illico. Le flic est attaqué à son domicile par trois hommes armés. Sa femme (Anne Consigny) est gardée en otage pendant qu’il doit aider le gang à faire sortir de prison leur leader, Victor Karel (Niels Arestrup), qu’il avait coincé trois ans plus tôt pour braquage.
Une fois le malfrat libéré, Carré est emmené dans une villa isolée en banlieue parisienne. De gré ou de force, Karel veut lui faire cracher le nom de celui qui l’a dénoncé à la police et l’a conduit derrière les barreaux.
Comme Carré refuse de balancer son indic et essaie de tromper l’ennemi avec des noms bidons, le face-à-face s’intensifie…
Sur le papier, on pourrait se dire que c’est une bonne idée, prétexte à l’affrontement psychologique de deux excellents acteurs. Bon, on se dit quand même que ces gangsters ne sont pas très fûtés. Puisqu’ils détiennent l’épouse du flic et peuvent facilement kidnapper sa fille, ils pourraient très bien menacer de leur faire du mal et forcer ainsi le flic à parler. Mais bon, les malfrats n’ont pas tous un QI einsteinien, hein…
De toute façon, Carré est persuadé que quelqu’un d’autre de bien plus intelligent a mis au point son enlèvement et cette petite mascarade. Qui? On ne le saura jamais, le scénario oubliant ensuite ces réflexions métaphysique, comme il abandonnera aussi en cours de route le personnage de l’épouse de Gabriel, qui, du coup, ne sert pas à grand chose…
Mais bon, admettons… Ce n’est qu’un détail… Idem pour le fait que deux des malfrats, deux frangins qui, au vu de leur accent slave prononcé, viennent d’un pays de l’est, se parlent en français y compris quand ils ne sont que tous les deux. Ah! Il faut bien que le spectateur comprenne. Et les sous-titres, ça coûte cher, mon bon monsieur… Là encore, ça passe…
Mais ça commence à déraper sérieusement au bout d’une demi-heure.
Sans doute parce que le budget n’est plus suffisant, le réalisateur multiplie les placements de produits, de façon si peu discrète que cela en devient ridicule Un exemple ? : Un des truands qui déclare qu’il “n’y a plus de Sprite…”, la mine contrite… Ou Niels Arestrup qui pique une colère parce qu’il n’a plus de whisky à boire, non sans montrer l’étiquette portant la marque du produit.
L’absence dudit breuvage ne l’empêche pas de se lancer dans une incroyable tirade sur l’évolution et le rapport de l’homme à la propriété privée. Une réplique totalement grotesque qu’il parvient à déclamer sans perdre de sa superbe. Chapeau l’artiste, cela mériterait bien un nouveau César à sa collection!
Lanvin, pendant ce temps, semble s’emmerder à mourir et joue de façon totalement neutre – ou blasée, selon les points de vue.
Arrive enfin le clou du spectacle. Cyril Lecomte, qui incarne Castella, l’avocat de Karel. Là, plus de doute permis, il n’y a plus de budget. Sinon, comment expliquer que la production ait engagé un acteur qui joue aussi faux? Le pauvre Lecomte semble mal à l’aise dans le costume trois pièces de l’avocat. Il appuie chaque réplique, minaude comme ce n’est pas permis. Est-ce un parent de Schoendoerffer, qui nous avait déjà infligé son exécrable frangin dans Truands? Un ami? Non, un ami n’aurait pas ruiné son film de cette façon…
Et non seulement le bonhomme joue mal, mais en plus, il n’est pas gâté par le scénario, qui lui impose des scènes d’une nullité sidérale.
“Où sont les waters?” demande-t-il soudain.
”Au fond du couloir”, rétorque un gangster, preuve que les dialogues sont au top.
Là, un autre truand (Slimane Dazi, un des rares à surnager avec Arestrup), vient lui demander d’aider sa soeur, qui s’est faite rouler par une agence de voyage. ??? Sérieusement???
Sans doute conscient du danger que faisait planer le gars sur la crédibilité de l’intrigue, Arestrup le bute, tout en mangeant tranquillement un paquet de fraises Tagada (Haribo, c’est bô la vie…). Ceci n’empêche pas le scénario de virer au grand n’importe quoi, accumulant les twists idiots et les situations les plus absurdes. Par exemple, si vous êtes flic et que vous vous déplacez en voiture (Peugeot, motion & emotion…), vous oubliez de faire le plein… Et quand vous découvrez l’endroit où est retenu votre supérieur, vous n’appelez surtout pas de renforts, vous y allez seul…
Vous l’aurez compris, 96 heures est un film d’une nullité absolue. Au vu de la vacuité des situations et des personnages, on se demande pourquoi d’aussi bons comédiens ont accepté de jouer dedans. L’amour du risque? Un pari perdu? Ou tout simplement, une blague pour leurs admirateurs?
On retiendra la dernière option, par pure charité. Car il faut quand même avouer que le film, au dixième degré, est assez tordant. Il provoque le rire comme seuls les grands nanars peuvent le faire.
R.I.P. Scènes de crimes, Frédéric Schoendoerffer entre définitivement dans le Panthéon des cultivateurs de navets made in France, aux côtés de Max Pécas et de Philippe Clair.
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Plus de doute possible. Face à l’hilarité de mes camarades et la mine consternée du lieutenant Liger, il me fallut me rendre à l’évidence : le film était une insulte à l’intelligence des spectateurs, un outrage au cinéma de genre à la française.
Nous alertâmes immédiatement les renforts pour pouvoir appréhender cette bande de margoulins et les jeter au trou.
Le juge condamna le nanar à se planter au box-office et exigea que le cinéaste mette immédiatement un terme à sa carrière pathétique. Il n’était toutefois pas dit que le bonhomme ne récidive pas un jour, mais ça, c’est une autre histoire…
Il fut plus clément avec Sylvie Testud, Anne Consigny et Laura Smet, qui n’avaient que peu participé au machin, faute de rôles suffisamment consistants, ainsi qu’à Niels Arestrup, qui avait, par on ne sait quelle diablerie, réussit à sortir à peu près indemne de ce rôle affligeant.
”Superbe prise” nous félicita le capitaine. “Pour fêter ça, j’offre Sprite et Fraises Tagada pour tout le monde! Mais non, je plaisante : Jambon Persillé et Vosne-Romanée 1er Cru les Petits Monts de chez Mongeard-Mugneret (3) pour tous le monde!”
(1) : “Un notaire peu ordinaire” de Yves Ravey – éd. de Minuit
(2) : “Né sous les coups” de Martyn Waites – éd. Rivages/Thrillers
(3) : c’est aussi du placement de produit, mais c’est meilleur que du Sprite…