Dimanche 3 avril 2011…
Je me souviens de cette date importante qui allait transformer ma vie…
Je me souviens de la ville de Beaune au crépuscule, attendant fébrilement la clôture de ce troisième festival du film policier…
Je me souviens de la violence du choc qui nous cloua à nos fauteuils…
Je me souviens de l’odeur fétide qui emplit l’espace, des murmures de mécontentement qui bruirent dans l’assemblée, du toucher du fauteuil de devant que mes doigts broyèrent, du goût amer de l’écume de rage qui me vint aux lèvres, de l’image de sérieux écornée de certaines personnes…
J’entamai cette ultime journée un peu inquiet, pressentant une catastrophe imminente. Tout s’était trop bien passé jusque-là. Il allait forcément se produire un incident. Un Cornillac en coma éthylique ? Une visite de Depardieu dans une des caves de la ville ? La fermeture de tous les bons restaus, ce qui obligerait de se rabattre sur un stand de kebab – argh! tout mais pas ça… ? Un attentat pâtissier de Le Gloupier ? Ou bien encore des émeutes sanglantes pour assister à la cérémonie de clôture ?
Pourtant, la matinée se déroula sans aucun problème. Le dernier film de la compétition sang neuf, Red Hill, fut même une heureuse surprise.
Red Hill : ●●●●●○
Un polar australien, ça a déjà un côté exotique appréciable. Mais si en plus, comme Red Hill, il mixe un récit initiatique, une intrigue policière en milieu rural dans la lignée des romans de Donald Harstadt et une ambiance de western, le résultat est forcément enthousiasmant.
Le film de Patrick Hughes raconte la première journée de Shane, un jeune flic ayant quitté la ville pour s’installer à Red Hill, un petit patelin isolé, en rase campagne, afin d’offrir à son épouse enceinte un cadre plus tranquille. Mauvaise pioche car sa prise de service va être mouvementée. Un criminel aborigène s’est évadé d’une prison de haute sécurité et fonce droit sur le village, décidé à exterminer les membres des forces de l’ordre et une bonne partie de la population. De ce fait, la police est en état d’alerte maximal. En plus, une bête sauvage improbable dans cette région du globe, genre panthère, semble semer le trouble chez les éleveurs… Et Shane, comme une buse, a oublié son arme de service à la maison…
Indéniablement, Patrick Hughes maîtrise les codes du polar et du western. Il s’amuse à les entremêler pour livrer une oeuvre joliment menée, suffisamment premier degré pour ne pas verser dans la parodie, mais assez ludique pour éviter l’hommage trop austère. Et le résultat est convaincant…
Il y a quelques erreurs de jeunesse, bien sûr, et le manque de moyens se fait parfois cruellement ressentir (les habitants du village semblent s’être tous volatilisés… Faute de figurants?), mais on parvient à s’identifier au personnage principal, jeune flic idéaliste, tout en admirant le “méchant”, colosse aborigène au visage ravagé, terrifiant de par sa stature et sa détermination vengeresse…
Après avoir gravi avec plaisir cette colline, mes collègues festivaliers et moi-même décidâmes d’aller nous restaurer. Plus facile à dire qu’à faire, beaucoup de restaurants étant fermés le dimanche à Beaune. Nous trouvâmes cependant un endroit appelé “Le Fleury” (1). La carte proposait plusieurs menus, cuisine bourguignonne classique ou plus originale, à des tarifs pas vraiment bon marché. J’optai pour un menu un peu plus original, avec en entrée, une terrine de lapin aux fruits secs, puis un quasi de veau, son émulsion de verveine et ses petits légumes du jardin, et bouclai avec une crème brûlée aux agrumes. Le tout arrosé d’un petit Bourgogne AOC très correct, même si d’un rapport qualité-prix assez faible.
Rassasié, je pus me pencher sur L’Affaire Rachel Singer. Une ancienne affaire à double titre, puisqu’elle entraîna les spectateurs dans la ville de Berlin, juste après la seconde guerre mondiale, et qu’elle fit sortir plusieurs festivaliers qui avaient déjà vu le film sous son titre original, The Debt au dernier festival du film américain de Deauville…
L’Affaire Rachel Singer : ●●●●○○
En France, on n’avait plus de nouvelles de John Madden (La Dame de Windsor, Shakespeare in love,…) depuis l’échec commercial de son Capitaine Correli.
Mais le cinéaste n’a pas arrêté de travailler. Il a signé l’adaptation cinématographique d’une pièce à succès, Proof (sorti en DVD chez nous sous le titre Irréfutable) puis celle d’un roman d’Elmore Leonard, Killshot (également sorti directement en DVD). Et voila qu’il revient avec ce film, remake du film israélien The debt d’Assaf Bernstein…
L’intrigue tourne autour de la mission menée par trois agents du Mossad dans les années 1960. Ils devaient capturer un criminel de guerre nazi, Dieter Vogel, surnommé “le chirurgien de Birkenau” et l’emmener hors de RDA pour qu’il soit jugé pour crimes contre l’Humanité. Officiellement, ils furent obliger d’abattre le criminel, qui tentait de s’échapper, et sont considérés comme des héros. Mais quarante ans après, l’ombre d’un doute plane sur cette version. Un homme, dans une maison de retraite ukrainienne, affirme en effet être Dieter Vogel… Ou est la vérité ? Rachel Singer, devenue une gloire nationale pour avoir abattu le monstre, a-t-elle vraiment tué le criminel? Ou bien va-t-elle devoir reprendre du service pour finir le travail ?
Autre mystère : pourquoi avoir changé tous les noms de personnages entre le film original et le remake ? Rachel Singer sonnait mieux que Rachel Berner ? Et Dieter Vogel faisait plus nazi que Max Rainer ? Les voies de la moulinette hollywoodienne sont impénétrables…
Cela dit, je fais le malin, mais je n’ai pas vu – honte à moi - l’oeuvre originale. Je ne peux donc guère comparer les deux versions, mais je peux dire que le film de John Madden est un thriller de facture très classique, au casting impeccable (Helen Mirren, Tom Wilkinson et Ciaran Hinds pour les agents sexagénaires ; Jessica Chastain, Sam Worthington, Marton Csokas pour les jeunes chasseurs de nazis), relativement bien rythmé, mais sans grande originalité ni surprise.
Ca se laisse voir, comme on dit, mais ce n’est pas le grand film polémique qu’un tel sujet laissait augurer…
Il ne me restait plus qu’un film à voir avant la clôture du festival. Plutôt que de découvrir le dernier blockbuster formaté de Jason Statham, Le Flingueur, je décidai de rattraper l’un des films en compétition, Il était une fois un meurtre, petit film noir venu du nord… Bonne initiative…
Il était une fois un meurtre : ●●●●●○
La scène introductive donne le ton : deux hommes roulent en voiture sur une petite route de campagne. Ils croisent une jeune fille en vélo. Le conducteur descend de la voiture, faisant mine de lui demander un renseignement, mais il la poursuit dans le champ de blé voisin, la viole et la tue, devant le regard médusé de son ami… Oui, messieurs-dames, la vie est parfois bien cruelle et la mort totalement injuste. Et on peut trouver des cinglés un peu partout, même au fin fond de la cambrousse allemande…
23 ans après, jour pour jour, après ce meurtre, resté non-élucidé, un vélo est retrouvé exactement au même endroit, et une jeune collégienne manque à l’appel. Le pédophile meurtrier aurait-il encore frappé? C’est ce que pensent les policiers chargés de l’enquête et l’ancien flic ayant travaillé sur le dossier. Et c’est aussi ce que pense l’ex-complice du tueur, qui a pris ses distances avec ce dernier depuis le crime et est aujourd’hui un père de famille tout à fait respectable…
Le film de Baran Bo Odar est à la fois fascinant et dérangeant.
Fascinant, déjà, de par sa construction. On sait qui est coupable du premier meurtre, mais on ignore tout de l’identité du second, et le suspense durera jusqu’à la dernière image du film. Qui est responsable de cette nouvelle disparition ? L’auteur du crime original ou bien un copycat ayant connaissances des détails du premier crime. La mère de la victime n°1? L’ex-flic? L’ancien complice du tueur?
Fascinant aussi, par son intrigue qui privilégie l’aspect psychologique plutôt que les rebondissements spectaculaire. On a rarement vu description aussi clinique de la douleur éprouvée par les proches des disparues : l’attente insoutenable, les espoirs maladroitement entretenus par les flics ou les média, la crainte d’un coup de fil funeste qui sonnerait en même temps comme un soulagement,…
Dérangeant parce que montrant la perversion “ordinaire” de types “ordinaires”. Les deux complices du début sont des gens apparemment biens sous tous rapports. L’un est un gardien d’immeuble affable, courtois et serviable, l’autre est un étudiant en architecture hyper-sérieux. Et pourtant, ces deux hommes sympathiques ont de très nets penchants pédophiles, qu’ils assouvissent initialement en se masturbant sur des vidéos pédophiles clandestines. Et un beau jour, l’un d’eux craque, viole et assassine une jeune fille innocente…
A l’écran, ils n’apparaissent pas comme des salauds mais comme de pauvres types malades, prisonniers de leurs pulsions et luttant pour avoir une vie normale…
N’importe qui peut péter les plombs, semblent vouloir dire le réalisateur suisse et l’auteur du polar dont le film est tiré, Jan Costin Wagner (2). Le père de la disparue vient au poste agresser les policiers pour évacuer la tension nerveuse qui l’envahit, le jeune flic s’emporte contre son supérieur – à juste titre vu que c’est un crétin incapable… – ou même la victime, insolente vis à vis de ses parents juste avant de partir en claquant la porte – pour ne jamais revenir…
Pour eux, il n’y a pas de bien et de mal, pas de monstres, juste des actes monstrueux… Cela revient à dire que chacun de nous cacherait un pervers ou un assassin en puissance… Brrr… Ca fait froid dans le dos.
Oui, cette oeuvre volontairement glaciale et atone suscite à la fois l’adhésion et le rejet. Elle nous laisse un peu pantelants et pas très joviaux, nous pousse à regarder nos voisins différemment tout en nous forçant à nous interroger sur nos propres zones d’ombres, nos propres petits secrets… C’était là le but recherché, et c’est donc une réussite…
C’est sur ce film dérangeant que je terminai mon tour des films de la compétition officielle. Il ne manquait qu’un petit film à mon palmarès. N’ayant pas le don d’ubiquité, je n’avais en effet pas pu voir Bullhead dont les échos étaient assez mitigés. Certains en étaient sortis enthousiastes, saluant un jeune auteur belge plein de talent. D’autres avaient trouvé le film “bizarre”, “plat” ou “inintéressant”.
Avec mes confrères, nous écoutâmes la rumeur du grand public et les pronostics qui circulaient en vue de la remise de prix. Apparemment, l’humour noir de Good neighbours avait fait mouche, ostie ! Le film canadien avait la faveur d’une majorité de festivaliers, dont Hughes et Marc-Georges. Arnaud, lui, clama son enthousiasme vis-à-vis de The Insider.
Personnellement, j’étais assez partisan de Il était une fois un meurtre tout en ayant bien apprécié Good neighbours.
Pour la section Sang Neuf, Red Hill, The Unjust et Mr Nice se partageaient nos suffrages et ceux des autres festivaliers, alors que tout le monde s’accordait sur la “nullité” de L.A. I hate you et de Viva Riva!
J’interrompis notre discussion quand les agents de sécurité vinrent se placer sur la tapis rouge. Les choses sérieuses allaient commencer. Mon enquête n’avait abouti sur rien de concret et si une menace planait sur le festival, je ne voyais vraiment pas quelle pouvait être sa nature… Il me fallait rester attentif et vigilant, guetter le moindre soupçon de danger…
A l’extérieur du cinéma, les badauds se pressaient contre les barrières pour apercevoir les “stars”. A l’intérieur, la salle était remplie à craquer. Tout le monde était là : les jurys, les invités, les notables de la ville, l’ensemble de la presse et quelques spectateurs ayant fait longuement la queue pour assister à la cérémonie.
Si un drame devait se produire, cela ne pouvait avoir lieu qu’au cours de cette cérémonie…
J’examinai chaque visage, traquant la petite goutte de sueur qui pourrait trahir une nervosité anormale, guettant les battements de veines jugulaires un peu trop rapides… Je fis évacuer discrètement par la sécurité tous ceux qui me semblaient suspect…
Quand l’excellent David Rault vint sur scène pour présenter la cérémonie, je pensais naïvement avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour écarter tout danger. Funeste erreur…
Sans baratin superflu, le présentateur annonça que l’on allait commencer par le prix sang neuf. Il appela les membres de ce jury : Frédéric Schoendorffer, Valérie Expert (Miami?, Las Vegas?, New York? Hum… désolé…), Léa Fazer, Florence Thomassin et Jean-Christophe Grangé. Et là, ce fut le drame…
La bombe explosa, causant une onde de choc terrible, un tremblement de terre de magnitude 9.5 sur l’échelle de Richter et de 2.0 sur l’échelle de Jacob. Elle libéra ses effluves nauséabondes sur l’assistance médusée…
Quoi?!? Comment était-ce possible? Comment des êtres humains normalement constitués pouvaient décemment avoir élu une bouse comme L.A. i hate you meilleur film d’une compétition de haute volée?
Un attentat au bon goût! Voilà donc quelle était la menace qui planait sur ce festival… Et moi, sombre idiot, enveloppé dans les vapeurs d’alcool, je n’avais rien vu venir. Oh, il faut dire que ces terroristes avaient bien planifié leur coup. Ils avaient tout fait pour se faire oublier. Discrets, souriants, disponibles, toujours à l’heure aux séances et couchés avec les poules, pas un mot plus haut que l’autre. Ah ça, ils avaient bien caché leur jeu !
Tout le monde était sonné, sous le choc, certains pleuraient, d’autres répétaient en boucle “c’est trop unjust, c’est trop unjust”. Du coup, plus personne ne réagit quand le jury de la critique partagea son prix entre Bullhead et Animal kingdom. Ou quand le prix spécial police revint étrangement (ou non) au seul film qui ne faisait pas intervenir de flics dans son intrigue, L’Affaire Rachel Singer. Ni même quand Régis Wargnier et son jury vinrent remettre le prix du jury à deux ex-aequo Bullhead (décidément… J’avais raté quelque chose…) et Il était une fois un meurtre (chouette!).
Enfin, une seconde explosion de moindre ampleur secoua l’assistance quand le président du jury annonça que le grand prix revenait à The Man from Nowhere. Mouais… J’avais bien aimé ce film, mais de là à lui remettre le trophée, il y avait de la marge… Bizarrement, j’eus l’impression que ce grand prix était arrangé à l’avance, imposé au jury pour des raisons politiques. Autant Wargnier avait vanté avec fougue les mérites des deux prix du jury, autant l’annonce de ce grand prix semblait froide… Il aurait fallu ouvrir une enquête pour étayer ces soupçons de corruption, mais j’y renonçai.
J’avais failli à ma mission, incapable d’empêcher le drame d’arriver. Je pris la seule décision qui s’imposait : démissionner sur le champ de la police. Je n’étais pas fait pour ce métier, de toute façon… L’uniforme ne m’allait pas et mes qualités d’enquêteur étaient largement surestimées.
Et puis, au cours de ces cinq jours, de ce “vis ma vie de critique de film”, je m’étais découvert une nouvelle vocation. J’allais définitivement déposer les armes pour prendre la plume. Et rendre ainsi justice aux films qui le mériteraient, tout en abattant froidement les nanars infâmes issus des bas-fonds du cinéma.
L’autre avantage de cette profession était que, contrairement à celle de flic, la picole n’était pas interdite pendant le service. Mieux! Elle était fortement conseillée… D’ailleurs, ce n’était pas un hasard si le prix de la presse avait, pour l’occasion, été associé au BIVB (Bureau Interprofessionnel des vins de Bourgogne), avec la remise aux lauréats d’une importante cargaison de grands crus bourguignons…
Vins et septième art… Telle allait être ma vie désormais.
Je commençai d’ailleurs ma nouvelle vie en me rendant au dîner de clôture, à la “Comédie du vin” (3), avec une fois de plus la promesse de divins nectars et de mets d’un raffinement extrême, proposés par les meilleurs restaurateurs locaux et de prestigieux vignerons…
Evidemment, j’eus l’impression que les organisateurs du festival essayaient ainsi d’acheter mon silence, mais je rangeai bien vite ces états d’âme au vestiaire pour m’abandonner une dernière fois à la douceur de la nuit beaunoise, aux arômes délicats des petits plats de grands chefs, et à la chaleur revigorante des grands crus locaux…
Peut-être allait-on désapprouver mon changement de vie. Peut-être, sans doute, même, allait-on me traiter de fou…
Je m’en fichait royalement. Car le raisin du plus fou est toujours le meilleur… A bon entendeur… Hips… salut…
— FIN —
(1) : “Le Fleury” –15, place Fleury – 21200 Beaune
(2) : “Le Silence” de Jan Costin Wagner – éd. Chambon Jacqueline
(3) : “La Comédie du vin” – 12; bd Jules Ferry – 21200 Beaune
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