Je me réveillai avec un mal de cheveux carabiné, et si les films de la sélection avaient tendance à me tenir en haleine, mon haleine, elle, ne tenait plus, alourdie par les fromages et les grands crus de la veille…
J’aurais bien dormi encore un peu, mais le projections n’attendaient pas. Hé oui, la vie du critique de films est faite de nuits courtes – surtout quand ils sont alcooliques… – C’est injuste, mais c’est comme ça…
D’ailleurs, le premier film présenté ce matin, en compétition Sang Neuf, était justement The Unjust, film sud-coréen de Ryoo Seung-wan. Mais je n’eus pas trop le temps d’apprécier le film, car dès le générique entamé, une spectatrice se mit à violemment cracher ses poumons dans mes oreilles. Damned – pour ne pas dire bigre! – c’était une véritable attaque microbiologique. La kamikaze essayait probablement de contaminer l’assistance à coup de bacille de la peste noire, de virus ebola ou pire, de grippe A.
N’écoutant que mon courage, je maîtrisai vite la vile pouffiasse avec un Kansetsu Geri (aware…), une clé de bras “Steven Seagal” (crac…). J’emmenai la terroriste hors de la salle et la menottai à un radiateur. Là, elle se mit à me crier : “Oh oui, grand fou, bats-moi comme Casey Affleck bat Jessica Alba dans The killer inside me”. La nénette était une cinéphile complètement psychopathe (pléonasme). Je l’abandonnai sans remords aux autorités locales. Mais mon sixième sens affûté me laissa entendre que ce n’était pas là la menace dont parlait notre indicateur. Je repris donc le cours de la projection, un peu perdu…
The Unjust : ●●●●●○
Au début, il faut s’accrocher car la mise en place est ultra-rapide et un peu compliquée. Un tueur en série s’attaque à des très jeunes filles et sème la panique dans les rues de Séoul. Les politiciens s’en mêlent et exigent que le coupable soit appréhendé au plus vite.
La police croit avoir trouvé un suspect, mais commet une belle bavure en descendant le bonhomme (C’est injuste, mais c’est comme ça…). Malgré leurs certitudes, ils ne peuvent rien prouver, les empreintes ADN retrouvées sur le cadavre de la fillette étant inexploitables, et le présumé tueur, désormais refroidi, ne pouvant plus avouer grand chose.
A cela s’ajoute une rivalité interservices, entre ce que l’on pourrait qualifier d’équivalents de la police et de la gendarmerie, ou plutôt des ministères de l’intérieur et de la justice en Corée du Sud, chacun essayant de tirer parti de l’affaire. Et aussi les tentatives de corruption de deux industriels rivaux, aussi pourris l’un que l’autre…
Le chef de la police propose à l’inspecteur Choi une promotion à condition qu’il déniche un faux coupable et lui extirpe des aveux. Mais Choi se heurte au jeune procureur Joo Yang, ambitieux et prêt à tout pour s’élever socialement…
Ce qui est passionnant dans ce film, c’est que les représentants des forces de l’ordre, à la base, ne semblent pas foncièrement mauvais ou malhonnêtes, mais ils se laissent entraîner dans une incroyable spirale de corruption, de compromissions, de manipulation et de mensonge. La rivalité entre les différentes parties occasionne des chantages et des coups tordus et chacun prend tour à tour le dessus sur l’autre/les autres.
Cette descente aux enfers, ciment de très nombreux grands romans noirs, est ici joliment exécutée, et sert de surcroît au cinéaste Ryoo Seung-wan à livrer un pamphlet virulent sur la corruption qui gangrène son pays, et les liens troubles entre politiciens et forces de l’ordre.
On se délecte de l’inversion permanente des rapports de force, des coups du sort qui frappent successivement les différents personnages. Et on apprécie également le rebondissement final, pas forcément utile de prime abord, qui donne au récit toute sa dimension absurde et cruelle.
Seuls défauts : une durée un poil trop longue, qui dilue inutilement le script, et le jeu outrancier de certains acteurs…
Mais The unjust n’en demeure pas moins une excellente surprise avec son scénario consistant, son humour noir bienvenu et son rythme haletant…
Après ce film et les nuisances catarrheuses de la séance , je m’octroyai une heure de repos. Rassasié par les agapes de la veille au soir, je n’avais certainement pas l’intention de déjeuner. Mais une enseigne au nom énigmatique attira mon attention: “La Part des anges” (1) (2). Je pénétrai dans les lieux et fût immédiatement conquis par l’ambiance conviviale et chaleureuse qui y régnait, ainsi que par les délicats parfums qui s’échappaient des cuisines.
Tant pis pour mon embonpoint! Je commandai illico un menu complet, pour mon plus grand plaisir…
Ah! Je me régalai de l’entrée, un velouté de châtaignes aux herbes du jardin, accompagné de petits dés de saucisse de Morteau délicatement fumée – le festival de saveurs ! – que j’accompagnai d’un verre de Pouilly-Fuissé au top de sa forme. Je me délectai du plat principal, la brochette de sot-l’y-laisse de dinde et sa petite sauce qui va bien, accompagné de sa polenta au parmesan fondante à souhait – l’explosion gustative ! – le tout mis en valeur par un verre de Hautes Côtes de Nuits joliment fruité. Enfin, je savourai le dessert, des chouquettes de pommes de terre à la fleur d’oranger, nappées de chocolat chaud, et servies avec une glace au chocolat blanc maison – la joie des papilles! – Service impeccable et rapide, personnel sympathique, cadre branché agréable et reposant. Cette enseigne resta dans ma mémoire comme l’une des toutes meilleures de Beaune, avec un excellent rapport qualité/prix (3).
J’eus tout juste le temps de me glisser dans la salle pour le second film du jour, hors compétition, Source code…
Source code : ●●●●●○
Après Moon, un premier long-métrage remarqué, mais scandaleusement resté inédit en France – sauf en DVD – Duncan Jones persévère dans le domaine de la science-fiction avec ce thriller original, emmené par les excellents Jake Gyllenhaal, Vera Farmiga et Michelle Monaghan.
Nous avons bien aimé ce film, la finesse de son écriture, le rythme de la narration quasiment en temps réel, mais il nous est impossible d’en dire trop, afin de ne pas gâcher le plaisir de la découverte aux spectateurs potentiels. Pour schématiser, disons que l’équation suivante est approchante de la réalité : 24h chrono + Un jour sans fin = Source code
En tout cas, c’est du tout bon…
J’aurais aimé bénéficier des mêmes technologies pour retourner sans fin à La Part des anges et me faire exploser le bide à coups de petits plats somptueux et de vins délicats, mais cela n’était hélas pas possible.
Je dus enchaîner de suite avec un autre film, toujours hors compétition : La Proie.
Ce fut une grosse déception, à plus d’un titre. Déjà parce que j’eusse aimé rencontrer la belle Alice Taglioni, annoncée à Beaune mais finalement absente pour raison de tournage parisien (4). Ensuite parce que le film n’est pas franchement enthousiasmant…
La Proie : ●●○○○○
Jusqu’à présent, on aimait bien Eric Valette. On avait bien aimé ses courts-métrages, immoraux et plein d’humour noir. On avait bien aimé, malgré quelques lacunes, son premier long, Maléfique, et on avait jugé tout à fait correcte sa relecture du One missed call de Takashi Miike. Enfin, on avait beaucoup aimé Une affaire d’état, thriller d’espionnage ambitieux offrant notamment à Thierry Frémont l’un de ses meilleurs rôles.
Mais, face à La Proie, son nouveau film, on reste un peu plus circonspect…
Le scénario était pourtant prometteur : Franck Adrien, un braqueur sur le point de sortir de prison, doit partager sa cellule avec Jean-Louis Maurel, un type accusé d’avoir violé une fillette, mais qui clame son innocence. D’abord réservé vis-à-vis de son codétenu, Franck finit par lui accorder sa confiance et quand Maurel est innocenté et libéré, il lui demande de veiller sur sa femme et sa fille, possiblement menacées par ses anciens complices, désireux de récupérer le butin qu’il a soigneusement caché.
Ah, le manque de discernement! Car Maurel est bel et bien un tueur en série…
Avec la complicité de sa compagne, il tue l’épouse de Franck et kidnappe sa petite fille. Et pour que son ex-codétenu pourrisse à vie en prison, il se débrouille pour lui coller tous ses anciens meurtres sur le dos.
Pour retrouver son enfant saine et sauve, Franck n’a pas d’autre choix que s’évader et de traquer le psychopathe.
Mais évidemment, en tant que fugitif et principal suspect de toute une série d’homicides, il est lui aussi poursuivi par la police, et notamment par l’unité de la belle Claire Linné.
La mise en scène est tout à fait correcte. Sans être exceptionnelle, elle réussit à nous tenir en haleine avec cette construction reposant sur la double traque du psychopathe par le taulard et du taulard par une fliquette futée et sexy, donc, puisque c’est Alice Taglioni qui joue le rôle (“Oh oui, Alice, passe-moi les menottes!”. Hum… pardon…)
Mais on se heurte très vite à un gros problème : le jeu des acteurs, archétypal en diable et pas franchement crédible. Et comme le scénario est déjà un peu gros à gober, ça vire à la catastrophe… Dupontel s’en sort relativement bien dans le rôle principal, mais ses partenaires en font des tonnes. Stéphane Debac est totalement caricatural en psychopathe serial killer, repompant tous ses effets, en moins bien, sur l’Edward Norton de Peur primale. Et du côté des flics, ce n’est guère mieux. Alice Taglioni n’est pas très à l’aise dans ce rôle plus remuant et violent que ce qu’elle a l’habitude de jouer ; Serge Hazanavicius joue totalement faux, désolé de le dire ; et Natacha Régnier et Zinedine Soualem, si bons d’ordinaire, sont ici à côté de la plaque. Et je ne parle même pas de Lucien Jean-Baptiste, ridicule en flic gay (quel est l’intérêt ? un quota de discrimination positive?)
Bref, on ne s’ennuie pas, mais ce qui aurait pu donner un thriller de premier plan ressemble finalement à une mauvaise série télé policière. On zappe…
Je n’avais pas du tout accroché à ce film bancal, mais autour de moi, les avis divergeaient. Les débats furent assez animés et nous permirent d’attendre l’ultime séance de la journée, la projection du film Animal kingdom, et tout ce qu’il y avait autour : remise des prix littéraires et hommage à Claude Chabrol.
Vu qu’en ce samedi, les spectateurs semblaient plus nombreux que les jour précédents, avec notamment beaucoup de lycéens et étudiants venus faire un petit tour pour le week-end, ce fut de nouveau la cohue, et le public payant manifesta une fois de plus son mécontentement contre l’organisation et les “privilèges” accordés aux professionnels. La salle afficha rapidement complet, et la cérémonie de remise des prix littéraires put commencer. D’abord avec la remise du prix du Masque, récompensant le meilleur premier roman policier français, qui fut décerné à Do Raze pour son roman “La Mort des rêves” (5). Puis les deux prix du roman noir, étranger, déjà, remis à “Un monde sous surveillance” de Peter Temple (6) et français, remis à “Lonely Betty” de Joseph Incardona (7).
Puis vint le moment d’intense émotion de ce troisième festival. L’hommage à Claude Chabrol, président à vie du festival de Cognac puis de celui de Beaune, dont il fut le premier président du jury, qui nous avait quitté l’année d’avant. Devant les enfants du cinéaste, Thomas et Aurore, ce fut avec des trémolos dans la voix que François Guérif vanta les qualités du cinéaste, de l’amateur de romans noirs, et surtout de l’homme, bon vivant et ami fidèle. Puis Lionel Chouchan, bouleversé, au bord des larmes, conclut en adressant une lettre à son ami, notre ami décédé, lui disant combien il nous manquait, combien il manquait au cinéma français. Il annonçât la création d’un Prix Claude Chabrol pour le meilleur film policier français de l’année, qui serait attribué à partir de l’année suivante.
Après ces instants de pure émotion, l’australien David Michôd se sentit tout petit au moment de présenter ce qui n’est que son premier long-métrage, Animal Kingdom. Il déclara qu’il serait très heureux si, un jour, il pouvait recevoir un tel hommage de la part de ses pairs. Allait-il pouvoir faire une carrière similaire, aussi riche ? L’avenir le dirait. En tout cas, il avait déjà connu une certaine réussite avec son film, grand triomphateur du festival de Sundance 2011. Mais personnellement, je trouvai le film un peu en deçà des attentes générées.
Animal Kingdom : ●●●●○○
Dans chaque famille, on peut trouver une brebis galeuse. Mais certains clans sont plus gâtés que d’autres. Prenez la famille Cody, dans la banlieue de Melbourne. Une fratrie de criminels patibulaires. L’aîné est un dangereux braqueur et fait régner la terreur y compris dans son propre clan, le cadet est plus sage – il entend bien boursicoter avec le fruit de ses cambriolages – le benjamin, un rien parano, fait du trafic de drogue et en consomme aussi pas mal, et le petit dernier emprunte les mêmes sentiers que ses frangins…
Tous sont couvés par une matriarche surprotectrice et limite incestueuse…
Il y avait aussi une fille, fâchée avec le reste du clan depuis des années. A sa mort – d’une overdose – son fils Josh, encore mineur, n’a pas d’autre option que de s’installer avec ses tontons flingueurs. Le moment n’est pas bien choisi, puisque la police a décidé de coincer le frère aîné par tous les moyens. S’ensuit une escalade de la violence aux conséquences tragiques. Josh se retrouve entre deux camps, celui de sa famille de criminels et celui de la police, qui espère le convaincre de dénoncer ses oncles et témoigner contre eux au procès…
L’intérêt ne se situe pas dans l’intrigue proprement dite mais dans le cheminement psychologique de l’adolescent, forcé à faire des choix douloureux…
Le film repose beaucoup sur l’ambiance générale et, évidemment, sur le jeu des comédiens, dont le jeune James Freschville.
Cependant, le rythme imprimé au récit, assez lent, et l’abus d’effets de ralentis finit par lasser, d’autant que les péripéties sont hautement prévisibles. Même le dénouement, conçu pour être choc – on sursaute, certes… – se devine aisément.
Mais bon, pour un premier film, il ya de belles promesses…
Mine de rien, le festival avançait et rien ne s’était encore passé de particulièrement dramatique, hormis cette tentative grossière d’attentat au H5N1 vite maîtrisée.
Mais la journée du lendemain risquait d’être agitée.
(A suivre…)
(1) : “La Part des anges” – 24bis, rue d’Alsace – 21200 Beaune
(2) : part des anges : volume d’alcool qui s’évapore quand celui-ci est mis en fût ou en bouteille pour vieillir.
(3) : oui, je sais, j’en ai déjà parlé l’an passé, mais je persiste et signe, ce restaurant est l’un des tous meilleurs de Beaune…
(4) : Dans le prochain Woody Allen, ça ne se refuse pas…
(5) : “La Mort des rêves” de Do Raze – éd. Le Masque
(6) : “Un monde sous surveillance” de Peter Temple – coll. thrillers – éd. Rivages
(7) : “Lonely Betty” de Joseph Incardona – éd. Finitude
J’espère que The Unjust sortira en salles en France…. on peut rêver 😉