A Paris, à la fin du XIXème siècle, la Statue de la Liberté s’élève fièrement dans les rues de Paris, attendant d’être envoyée aux Etats-Unis, comme cadeau de l’état français à leurs alliés d’Outre-atlantique. Le voyage fait aussi rêver Ficelle, Polly et leur soeur Billie, trois gamins des rues qui vivent de petits larcins pour le compte de Jésus (Niels Schneider), chef d’un groupe de voyous de Montmartre. Pour financer le voyage, les gamins effectuent un audacieux braquage, dérobant les bijoux de l’actrice Sarah Bernhardt et escamotent une partie du butin pour se payer les billets pour la croisière transatlantique. Malheureusement, Jésus, ayant eu vent de leurs plans, les rattrape et leur fait payer le prix fort : Ficelle trouve la mort et Billie se retrouve condamnée pour son assassinat, piégée par un policier véreux, tandis que Polly, plus jeune, est forcé de travailler pour la bande.
Une quinzaine d’années plus tard, Billie sort de prison, bien décidée à se venger. Pour ce faire, elle décide d’infiltrer la bande de Jésus, qui fait partie des “Apaches”, nom donné à ces bandes criminelles et anarchistes qui font régner la terreur dans le Paris de 1900. Elle doit d’abord gagner la confiance du groupe, qu’elle apprend à découvrir et, d’une certaine façon, à apprécier.
Si le premier long-métrage de Romain Quirot, Le Dernier voyage, regardait vers le futur, avec un récit de science-fiction, Apaches lorgne vers le passé et s’intéresse au Paris de la fin du XIXème siècle/début du XXème siècle, caractérisé par une période de modernité architecturale et industrielle, mais aussi par l’émergence de mouvements anarchistes et l’essor de bandes criminelles vivant loin des fastes de la haute société. Sur le papier, l’idée était intéressante en soi, car le sujet n’avait jamais été traité à l’écran et qu’il peut trouver une certaine résonnance avec la société d’aujourd’hui, marquée par un clivage de plus en plus profond entre les classes populaires et les élites. On peut aussi saluer le choix du réalisateur de vouloir réaliser un pur film de genre, en s’aventurant sur un territoire peu exploré par notre cinéma hexagonal contemporain. Un geste punk, en quelque somme, en phase avec l’attitude rebelle et contestataire des “Apaches” du film.
C’est aussi, hélas, la limite de l’exercice, car si on sent bien que le cinéaste est pétri de bonnes intentions, on devine aussi ses références cinématographiques, situées, elles aussi, de l’autre côté de l’Atlantique. Difficile de ne pas penser à Quentin Tarantino avec cette histoire de jeune femme vengeresse (Kill Bill volumes 1 et 2), ou dans la façon de styliser la violence à l’écran. Difficile, également, d’oublier Martin Scorsese, qui avait signé Gangs of New York, situé à une époque similaire et tissant une trame assez similaire autour de la vengeance et la trahison. Et la comparaison n’est pas forcément très flatteuse.
Certes, le film est porté par un casting intéressant, d’Alice Isaaz, surprenante dans ce rôle de femme vengeresse, à Niels Schneider, parfait en chef de gang mystérieux et inquiétant. Le cinéaste réussit également, avec un budget limité, à créer une ambiance singulière, même s’il abuse un peu des chromos et de la palette graphique pour retoucher ses images. Il réussit également à signer quelques scènes saisissantes, comme le massacre de l’Exposition Universelle, où les Apaches assassinent une famille de bourgeois devant une antique caméra. Enfin, le rythme est enlevé, sans temps mort. Mais c’est bien là le principal défaut du long-métrage de Romain Quirot. Les films de Tarantino et de Scorsese sont des oeuvres-fleuves, qui prennent le temps de s’attacher aux personnages et leurs motivations. Quand la violence finit par jaillir, elle n’en a que d’autant plus d’impact. Ici, ce n’est pas possible puisque tout est mené tambour battant et condensé en 1h30. Tout va trop vite, et parfois au détriment de la crédibilité de l’intrigue. Le recrutement de Billie par les Apaches? Bien trop rapide. Les doutes qui envahissent Billie à mesure que s’approche le moment attendu de sa vengeance? Difficilement compréhensibles sans parvenir à appréhender la durée de sa relation avec les membres du gang, qui donne l’impression de ne durée qu’une semaine… Il aurait mieux valu réserver le budget à tourner des scènes supplémentaires autour des relations entre les personnages et leur parcours criminel plutôt qu’à le dédier à la retouche numérique des images, et se passer des nombreux ralentis, chichiteux en diable, pour gagner du temps d’image “utile”
Le cinéaste gagnerait à canaliser quelque peu ses envies de cinéma pétaradant et son goût pour l’esthétique clipesque et se focaliser sur l’essentiel, le langage cinématographique. Avoir Tarantino et Scorsese comme références devrait aider un peu. Ces cinéastes ont su révolutionner le septième art à l’aide de certaines audaces narratives et formelles, mais en maîtrisant toutefois les fondamentaux de la mise en scène, étudiés auprès de leurs propres maîtres, européens, américains ou asiatiques, et en assumant toujours des choix radicaux.
Il ne fait nul doute que Romain Quirot a le potentiel pour devenir un metteur en scène très intéressant, mais il a encore quelques progrès à accomplir pour cela. En l’état, ses Apaches évoquent plus une version fauchée du Vidocq de Pitof que les oeuvres des deux cinéastes précités. Souhaitons qu’il parvienne à corriger le tir tant qu’il est encore temps…
Apaches
Apaches
Réalisateur : Romain Quirot
Avec : Alice Isaaz, Niels Schneider, Artus, Dominique Pinon, Bruno Lochet, Rod Paradot, Emilie Gavois-Kahn, Hugo Becker, Jean-Luc Couchard, Rossy De Palma
Genre : Kill the Gangs of Paris
Origine : France
Durée : 1h35
Date de sortie France : 29/03/2023
Contrepoints critiques :
”Jouant avec la pop culture et l’ambiance des westerns, et s’inspirant des œuvres de Martin Scorsese, «Apaches» réunit une belle bande d’acteurs qui, malgré un jeu parfois trop appuyé, incarnent avec force et sincérité ces voyous à la fois terrifiants et magnétiques qui ont disparu lors de la Première Guerre mondiale.”
(Rédaction – CNews)
”Les gangsters semblent surtout inspirer Romain Quirot pour l’imaginaire esthétique peu travaillé auxquels ils renvoient, plutôt que pour l’injustice et la violence qui les ont menés à cette vie là. En bref, Apaches échoue en n’incarnant jamais le film jeune, insolent et révolté qu’il aurait rêvé être.”
(Nicolas Moreno – Les Inrockuptibles)
Crédits photos : Copyright Tandem Films