– Bonjour Docteur, depuis quelques jours, je développe une obsession autour du chiffre “7”. Un peu comme Jim Carrey avec le nombre “23” dans le film de Schumacher, mais avec le “7”… Je vois des “7“ partout. J’ai pris sept fois la ligne de Metro 7, je ne vais que dans des magasins ouverts 7j/7, j’ai relu “Les 7 boules de cristal” pour la septième fois…
– Hum… Etrange ça… Puis-je vous demander ce que vous faites comme métier?
– Critique de cinéma…
– Hum… Alors c’est peut-être normal, cette obsession. C’est le 7ème Art, après tout. Et puis, le nombre de film qui tournent autour du chiffre “7” est assez phénoménale. “Les 7 samouraïs”, “Les 7 mercenaires, “Les 7 femmes de Barberousse”, “Blanche Neige et les 7 nains”…
– “7 ans de réflexion”, “7 ans de mariage”, “7 ans de séduction”, “7 ans de malheur”, “7 ans au Tibet”…
– Oui, et “Le septième sceau, “La 7ème compagnie”, “Se7en”. Sans oublier James Bond 007…
– Et aussi 7 Psychopathes, le nouveau film de Martin McDonagh. A vrai dire, c’est depuis que j’ai vu ce film que j’ai cette obsession du chiffre “7”. Je l’ai vu une fois, mais j’ai écrit sept critiques différentes…
– Ah, voilà un point très intéressant. Montrez-moi ces textes… Hum, c’est rigolo, chacune de vos critiques illustre une pathologie mentale :
La critique angoissée
”Marty (Colin Farrell) est un scénariste hollywoodien confronté pour la première fois de sa carrière à l’angoisse de la page blanche. C’est peu dire que son nouveau script n’avance pas. Il a juste un titre-concept : “7 psychopathes”. Reste à trouver l’inspiration pour raconter l’histoire de sept fous dangereux et de faire ce croiser tout ce petit monde-là au sein de la même trame narrative.
Marty a déjà inventé un des personnages, un prêtre vietnamien (Long Nguyen) devenu fou après le massacre de son village, My Lai, pendant la Guerre du Vietnam, et décidé à se venger des bourreaux américains. Mais pour le reste, il sèche complètement…
Heureusement pour lui, la réalité est parfois plus “belle” que la fiction. Les exploits d’un tueur masqué qui ne dézingue que des pontes de la Mafia et qui signe ses crimes avec une carte à jouer, le valet de carreau, lui inspirent son second psychopathe. Mais cela ne suffit pas à redynamiser son imagination.
Alors, son pote Billy (Sam Rockwell), acteur de seconde zone et kidnappeur de chiens pour arrondir ses fins de mois, décide de lui prêter main forte. Il publie une petite annonce invitant de vrais malades mentaux à venir raconter leurs histoires sordides à Marty. Une méthode radicale qui ne tarde pas à avoir les effets escomptés. Marty se retrouve vite avec matière à façonner d’autres personnages : un quaker obsédé par l’idée de venger sa fille, violée et assassinée (Harry Dean Stanton); un type bizarre qui passe son temps à caresser un lapin blanc (Tom Waits) et qui se souvient de l’époque où il était “tueur de tueurs en série”, formant avec son binôme (Amanda Mason Warren), un couple façon Bunny & Clyde…
Mais rencontrer des vrais tueurs fous n’est pas vraiment le genre de chose qui met à l’aise. A l’angoisse de la page blanche succède l’angoisse de se faire zigouiller à tout moment.
Et plus encore quand débarque un dangereux caïd de la pègre (Woody Harrelson), enragé après que Billy et son complice Hans (Christopher Walken) aient kidnappé son précieux Shih Tzu. Le bonhomme n’a pas du tout apprécié la plaisanterie et il entend bien punir tous ceux qui sont mêmés de près ou de loin à l’enlèvement du petit chienchien à son pépère…
Mais le danger peut tout aussi bien provenir de l’entourage direct du scénariste : Sa petite amie (Abbie Cornish), furieuse de le voir se saouler plutôt que d’écrire et se préoccuper d’elle ; Hans, le retraité non-violent, un peu trop calme et poli pour être honnête ; ou encore Billy lui-même, qui semble nourrir à son égard une étrange affection…”
La critique obsessionnelle
“7 Psychopathes est un film construit autour de l’obsession. Celle, bien sûr, d’écrire et mettre en scène un film pour Marty, le personnage central – alter-ego du scénariste et réalisateur Martin McDonagh. Mais tous les autres personnages poursuivent également un but, et ils sont prêts à tout pour l’atteindre.
Billy veut laisser une trace dans l’histoire, acquérir une certaine notoriété, ou la vivre par procuration en propulsant son copain au sommet du système hollywoodien. Hans veut accompagner sa femme, cancéreuse en phase terminale, jusqu’au bout du chemin. Charlie Costello, le caïd, veut retrouver son chien, son “bébé”, qu’il traite mieux que sa fiancée (Olga Kurylenko – oui, le gars est vraiment dérangé, hein?). Le prêtre, le quaker et le couple criminel sont en quête de vengeance. Le tueur au valet de carreau cherche une certaine reconnaissance publique. Il veut devenir une sorte de super-héros adulé de tous…”
La critique borderline
”Ce qui frappe aussi, à la vision de ce film, c’est qu’il évolue sans cesse sur le fil entre Bien et Mal, entre douceur et sauvagerie.
Les personnages sont des hommes et des femmes dangereux, capables d’une certaine violence, capables de tuer, même, si nécessaire. Mais ils ne correspondent pas aux clichés qui caractérisent habituellement les psychopathes. Ce ne sont pas des êtres froids, dénués d’empathie, qui tuent pour le plaisir. Comme on le découvre au fil du récit, ils recourent tous à la violence pour de bonnes raisons. Pour récupérer ce qui leur appartient ou protéger ceux qui leur sont chers, pour éliminer de la surface du globe des individus encore plus fous et dangereux qu’eux, pour rendre la justice…
On peut d’ailleurs difficilement déterminer, de prime abord, qui est le plus fou de tous. Charlie Costello part avec une longueur d’avance, avec sa tronche de tueur-né, ses accès de colère et sa passion déraisonnée pour son pistolet à crosse bleue, arme qui a heureusement tendance à s’enrayer fréquemment, mais il s’avère finalement plus sensible qu’il n’en a l’air. D’un autre côté, les femmes de cette histoire, qui ont l’air en apparence, bien plus équilibrées que les hommes, ont toutes deux un comportement déviant : Kaya, la copine de Marty, a un comportement passif-agressif. Elle transforme sa frustration de ne pas être suffisamment choyée en une attitude castratrice, qui explique partiellement l’incapacité de l’écrivain à trouver l’inspiration et ses problèmes de boisson; et Angela, la fiancée de Costello, semble furieusement attirée par les “bad boys”.
Billy, en apparence, semble être un type ordinaire, juste un peu glandeur et fanfaron. Mais son apparente désinvolture dissimule des failles assez abyssales. La relation qu’il entretient avec Marty, par exemple, n’est pas normale. Une amitié un peu trop forte, et potentiellement une attirance homosexuelle refoulée. En tout cas, il se montre trop présent, ce qui n’est pas sans conséquences sur la relation entre Kaya et Marty. Il est même tellement présent qu’on serait presque tenté de le voir comme une des facettes de la personnalité de Marty, une des composante de sa psyché…
En fait, dans ce film, tous les personnages ne sont pas ce qu’ils semblent être – ou du moins, pas seulement. Ils sont tous “borderline”, à la limite entre folie et normalité. Peut-être comme chacun d’entre nous…
Le personnage le plus emblématique est celui incarné par Tom Waits. Le type passe son temps à cajoler son lapin blanc. Une attitude qui pourrait indiquer qu’il est incapable de faire du mal à une mouche – et à un lapin, donc – mais qui lui donne un côté inquiétant, imprévisible, malsain…”
La critique schizophrène
”7 Psychopathes est un film curieux, qui procure simultanément des émotions radicalement opposées. On rit du côté burlesque des situations et en même temps, on peut être ému par certaines séquences, et le destin tragique de certains personnages. On sent peu à peu monter la pression autour du protagoniste principal, et dans le même temps, le film procure un certain apaisement, en évoluant à un rythme plus lent que les thrillers traditionnels.
Ca se passe comme ça chez Martin McDonagh. On le sait depuis Bons baisers de Bruges – voire depuis Six shooter, son court-métrage, autre comédie noire et funèbre (avec lapin blanc) – son style repose sur un alliage subtil entre comédie et drame, entre poésie et réalisme, entre légèreté et noirceur. Il y a de la tendresse et de la sauvagerie. De l’amour et des morts. Des gags absurdes et des situation surréalistes, mettant en scène des vieux types bourrus et des jeunes chiens fous plus sensibles qu’ils ne le paraissent…
La grande force de son cinéma est l’aisance avec laquelle il parvient à passer d’un genre à l’autre. C’est ce qui rend ses films totalement imprévisibles, et tient en haleine les spectateurs…”
La critique paranoïaque
“Cela dit, 7 psychopathes est quand même un film étrange, qui ne plaira pas à tout le monde, loin de là. Certains n’apprécieront sans doute pas cette cohabitation entre comédie, drame et thriller, ou seront désarçonnés par la construction chaotique du récit, qui alterne le fil conducteur – les mésaventures de Marty et Billy, aux prises avec les tueurs de Costello – et le work in progress cinématographique – la concrétisation du script des “7 psychopathes”, avec les histoires des différents fous – avant de les faire se rejoindre dans le dernier tiers du film, en une audacieuse tentative de mise en abîme.
Peut-être même que certains vont être surpris par le style assez contemplatif de l’oeuvre, surtout vers la fin du film, alors que l’on s’attend justement à ce que le rythme s’emballe. D’autant que la bande-annonce est trompeuse. Elle semble promettre un de ces films d’action hollywoodien façon Expendables, avec force fusillades, explosions et répliques qui tuent. Sur ce dernier point, les spectateurs seront servis, car les dialogues, très finement ciselés, recèlent quelques bons mots savoureux. En revanche, ceux qui rêvaient de fusillades épiques et de scènes d’action trépidantes risquent fort d’en être pour leurs frais…
On a peur que le film ne trouve pas son public, se fasse éreinter par certains critiques, et fasse un bide…”
La critique mégalomane et à personnalités multiples
”Ce serait dommage, car au moins, Martin McDonagh a le courage de proposer quelque chose de différent du tout-venant cinématographique qui pollue régulièrement les écrans. Il livre un film audacieux, complexe, très maîtrisé en dépit de son apparence bordélique. On est plus proche de la démarche d’un Tarantino ou d’un Charlie Kaufman que d’un Michael Bay. Et le cinéaste continue de développer un style bien particulier, très typé et reconnaissable, tant sur le plan esthétique – grâce à un beau travail du chef op Ben Davis, notamment – que sur le plan thématique – relation mentor/élève, filiation, réflexion sur le Bien et le Mal, sur les choses de la vie et de la mort…
C’est aussi un film ambitieux de par son impressionnant casting. Outre Colin Farrell, déjà présent dans Bons baisers de Bruges, le cinéaste s’est offert Sam Rockwell et Woody Harrelson, très à l’aise dans cet univers frappadingue, Christopher Walken, remarquable en dandy non-violent, et Tom Waits, inquiétant à souhait. Sans oublier les actrices : Abbie Cornish, Olga Kurylenko et Gabourey Sidibe en promeneuse de chien étourdie.
C’est d’ailleurs là que se trouve le point faible du film. Les actrices ne sont pas en cause. Elles assurent leur job avec charme et talent. Simplement, elles se retrouvent reléguées au second plan, avec peu de scènes à défendre. Comme si McDonagh, capable d’écrire de très beaux rôles masculins, avait plus de mal avec la gent féminine. Dommage, car cela déséquilibre sensiblement le récit…”
La critique délirante
”Mais cela n’empêche pas d’admirer comme il se doit cette oeuvre folle, truffée de morceaux de bravoure délirants, à l’instar du duel final et des saynètes racontant la vie des psychopathes “inventés” par Marty. Chacun y piochera ce qu’il veut : une parabole sur la part de violence et de folie qui existe en chacun de nous, une réflexion sur le côté schizophrène des professions artistiques, un film barré sur des gens qui ne vont pas bien dans leur tête ou juste une comédie noire divertissante…
Non pas de doute, 7 Psychopathes constitue l’un des films les plus originaux de ce début d’année…”
– Alors, c’est grave, Docteur?
– Non, mon cher Monsieur, rassurez-vous. Tout va bien! Vous êtes juste, comme Martin McDonagh et sa troupe, ce qu’on appelle un cinglé de cinéma, un fondu de pelloche. Ca ne se soigne pas. Dans votre cas, un sevrage serait fatal. Et puis, j’ajouterais que vous êtes fou de ce film, au point d’en vanter les mérites dans une critique à sept têtes – ou sans queue ni tête, diront vos détracteurs – et de pousser vos lecteurs à aller le découvrir au cinéma pour partager votre enthousiasme. Comme on dit, plus on est de fous, plus on rit…
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7 Psychopathes 7 psychopaths Réalisateur : Martin McDonagh Avec : Colin Farrell, Sam Rockwell, Christopher Walken, Woody Harrelson, Tom Waits, Abbie Cornish Origine : Royaume-Uni Genre : film fou Durée : 1h50 Date de sortie France : 30/01/2013 Note pour ce film : ●●●●●○ Contrepoint critique : Cloneweb |
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