Sur la route menant à Ebbing, une petite bourgade du Missouri, une femme passe devant trois panneaux publicitaires à l’abandon, en piteux état. Il manque évidemment des morceaux et seuls quelques mots sont encore lisibles. En passant d’un tableau à l’autre, elle parvient à reconstituer l’expression “Chance of your life” (“la chance de ta vie”) et décide justement de ne pas laisser passer l’occasion. Illico, elle se rend à l’agence publicitaire de la petite ville et loue les trois panneaux pour une année complète. A-t-elle eu subitement l’idée d’une campagne publicitaire de génie pour un nouveau produit? Entend-elle faire la promotion de sa société? Eh bien pas du tout… Sa motivation est tout autre. Les messages qu’elle affiche sur les trois panneaux sont destinés à faire réagir les habitants d’Ebbing et surtout, ses autorités.
La femme s’appelle Mildred Hayes (Frances McDormand). Un an auparavant, sa fille a été enlevée, violée et tuée et l’affaire n’a pas été élucidée. En colère, elle estime que le bureau du shérif, Bill Willoughby (Woody Harrelson) n’a pas fait correctement son travail et a renoncé un peu trop vite à chercher de nouvelles pistes. Aussi, elle le fait vertement savoir à l’aide des trois panneaux publicitaires, qui exhortent les policiers à se remuer pour trouver le coupable de ce crime horrible.


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L’idée ne va pas tarder à secouer la tranquillité de la petite ville, provoquant l’agacement des adjoints du shérif, vexés d’être ainsi accusés d’incompétence, et divisant la population, certains prenant fait et cause pour Mildred et d’autres trouvant injuste que le shérif, un brave homme, honnête et intègre, soit pointé du doigt… C’est le début d’une suite d’incidents qui vont mettre en lumière les aspects les plus sombres de l’âme humaine – haine, violence, colère et soif de vengeance – mais aussi ce qu’elle a de plus beau…

Le scénario est une petite merveille, entremêlant habilement intrigue criminelle, film noir, drame et comédie. Martin McDonagh joue avec les codes du genre, multiplie les fausses pistes narratives, va là où on ne l’attend pas. Alors qu’on pourrait s’attendre à le voir développer un pur polar, autour d’une enquête menant à la résolution du crime initial, il préfère se concentrer sur les conséquences des messages publiés par Mildred Hayes et leur impact sur la vie de la communauté. Et, plutôt que de raconter une banale quête de vengeance et de justice expéditive, il préfère explorer la personnalité complexe de Mildred, empêtrée dans son propre sentiment de culpabilité. Le script devient vite imprévisible. Il emprunte les sentiers de traverse, privilégie l’intime au spectaculaire, multiplie les ruptures de ton.  Le côté sordide de la situation n’empêche pas les touches d’humour, assez nombreuses et inattendues. Et quand la comédie semble prendre le pas sur la tragédie, cette dernière frappe de nouveau, inexorable…


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Plus encore que dans ses précédents films, Bons baisers de Bruges et 7 psychopathes, qui étaient déjà finement écrits, le cinéaste entend se donner le temps de développer des personnages, complexes, drôles, touchants, plus intéressants qu’ils n’y paraissent de prime abord. Il filme des êtres à la dérive, incapables de faire leur deuil ou incapables de s’émanciper, d’autres à bout de course ou essayant de trouver leur place dans ce microcosme bouillonnant, plein de bruit et de fureur, de violence et de haine.
Chaque protagoniste constitue une véritable offrande pour son interprète. Frances McDormand est – comme toujours – formidable dans le rôle de Mildred, une femme de caractère, bornée, qui se bat autant pour honorer la mémoire de sa fille que pour surmonter le sentiment de culpabilité qui la ronge, l’idée d’avoir été une mauvaise mère et d’avoir poussé, indirectement, sa fille dans les griffes d’un salaud.  Woody Harrelson est épatant en shérif fatigué, au bout du rouleau, essayant tant bien que mal de faire régner l’ordre tout en accordant un minimum de temps à sa famille. Quant à Sam Rockwell, il trouve le rôle de sa vie dans la peau d’un adjoint bas du front, mais recelant peu à peu un potentiel insoupçonné. Les seconds rôles sont au diapason, de Peter Dinklage à Abbie Cornish, en passant par Samara Weaving, irrésistible dans un rôle de ravissante idiote, qui pense que la “polio” est un “jeu avec des chevaux” et invente des verbes improbables.

Intelligemment, la mise en scène joue la carte de la sobriété. Elle s’efface derrière les numéros d’acteurs, brillants, et leurs joutes verbales, savoureuses. Le montage se fait également discret, permettant au spectateur de se concentrer sur l’essentiel – l’intrigue et la psychologie des personnages – sans être perturbé par des effets tape-à-l’oeil.
On savait Martin McDonagh doué, on en a ici la confirmation. 3 Billboards, les panneaux de la vengeance est assurément son film le plus abouti, le plus mature. Après avoir conquis les festivaliers de la dernière Mostra de Venise, il mériterait de trouver aussi un large public dans les salles obscures de l’hexagone. C’est tout le mal qu’on lui souhaite…


3 billboards3 Billboards, Les panneaux de la vengeance
3 billboards outside Ebbing, Missouri
Réalisateur : Martin McDonagh
Avec : Frances McDormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell, Abbie Cornish, Peter Dinklage, Samara Weaving, Caleb Landry-Jones, John Hawkes
Origine : Etats-Unis
Genre : panneaux solaires
Durée : 1h56
date de sortie France : 17/01/2018
Contrepoint critique : Libération

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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