Est-il possible de réussir à tenir le spectateur en haleine pendant quatre-vingt dix minutes avec juste un personnage bloqué dans un lieu exigu et luttant pour sa survie?
Depuis Buried de Rodrigo Cortés, sorti en novembre dernier, on peut répondre par l’affirmative. Le jeune cinéaste espagnol était parvenu à nous faire frissonner avec un personnage unique enfermé dans un lieu on ne peut plus exigu et oppressant – un cercueil – et n’ayant que quelques heures pour trouver un moyen d’en sortir, avant que l’oxygène ne s’épuise totalement.
Aussi on attendait impatiemment de voir ce que Danny Boyle, auréolé du triomphe de son Slumdog millionaire, allait bien pouvoir nous proposer avec l’histoire vraie d’Aron Ralston, reposant sur un suspense similaire.
Le 26 avril 2003, ce jeune homme de vingt-sept ans était parti pour une randonnée d’une journée dans les gorges de l’Utah, seul et sans juger bon de prévenir ses proches. Alpiniste expérimenté et sportif accompli, il se sentait invulnérable.
Pourtant, alors qu’il s’apprêtait à explorer un étroit canyon, il a glissé et dégringolé tout au fond du gouffre, suivi dans sa chute par un morceau de roche qui lui a coincé le bras droit contre la paroi du canyon.
Incapable de dégager son bras, il s’est retrouvé prisonnier de ce mur de rocaille, sans vivres et avec un matériel des plus rudimentaires. Il a dû affronter la faim, la soif, le froid et la douleur. Sans oublier les hallucinations liés à son état de choc et la peur de mourir seul dans ce cercueil de pierre.
Son calvaire a duré 127 heures, soit un peu plus de cinq jours…
Sur la base de ce récit de survie éprouvant, il y avait effectivement de quoi créer un huis-clos étouffant et générer un climat de tension intense, avec pour enjeu rien moins que la vie ou la mort du jeune homme.
Le hic, c’est que le dénouement est éventé dès le générique de début qui précise que le scénario est tiré du livre d’Aron Ralston, “Plus fort qu’un roc” (1) . Comme on a rarement vu des écrivains morts-vivants (2), on peut aisément deviner l’issue du récit et le suspense perd illico en intensité…
Cela dit, il est clair que l’ambition du film est ailleurs. Il s’agit ici de retranscrire les états émotionnels par lesquels passe le personnage. De matérialiser ses angoisses et ses regrets, la profonde remise en question de son comportement jusqu’alors, son égocentrisme forcené, sa suffisance, son incapacité à nouer des liens solides avec les autres…
De montrer, aussi, son incroyable force morale, sa rage de vivre décuplée par son instinct de survie, qui le poussera à prendre les bonnes décisions pour sortir “indemne” de ce canyon obscur.
On le sait, Danny Boyle aime les défis narratifs. Son ambition, avec 127 heures, a été de créer un “film d’action immobile” en forçant le spectateur à s’identifier au personnage et à vivre ainsi de façon viscérale l’épreuve qu’il a endurée.
Intelligemment, le cinéaste a choisi de confier le rôle à James Franco, dont la performance illumine le film.
Le jeune acteur est aussi crédible en jeune coq vaniteux et trop sûr de lui qu’en homme perdu et en plein doute, au fond du trou au sens propre comme au figuré. Ainsi, on s’attache assez vite au personnage et on peut éprouver de l’empathie à son égard. On le suit dans son combat éprouvant contre la douleur, la soif et le froid, dans ses tentatives dérisoires pour faire céder un rocher de plusieurs centaines de kilos à coup de canif made in China ou de corde élastique, on ressent sa fièvre, qui le conduit jusqu’aux confins de la folie avant un ultime sursaut, une dernière pulsion de survie le menant à la délivrance.
Cela fonctionnerait donc parfaitement bien si Danny Boyle ne s’était cru obligé d’user de tous ses tics de mise en scène habituels : effets visuels tape-à-l’oeil, montage clipesque, bande-originale truffée de morceaux réjouissants, mais trop omniprésente…
Comprenons-nous bien, ce style haut en couleurs ne nous gêne pas habituellement. C’est même une des raisons principales pour lesquelles on aime le cinéma du réalisateur britannique. On applaudit quand il l’emploie dans Trainspotting, son chef d’oeuvre, dans sa tentative salutaire de dépoussiérage du film de zombies (28 jours plus tard) ou dans les ruelles étroites de Calcutta (Slumdog millionaire), même si on a bien conscience qu’il en fait trop…
Mais là, dans un film qui se déroule dans un aussi petit périmètre, qui devrait jouer la carte de l’intimisme, du silence et du recueillement, ses mouvements de caméras alambiqués, sa bande-son tapageuse, son montage ultra-speed sont non seulement totalement vains et incongrus, mais ils desservent de surcroît l’ambiance du film.
Danny Boyle a probablement eu peur d’ennuyer le spectateur avec un parti-pris trop radical et minimaliste. Comme celui employé, par exemple, par Gus Van Sant dans Gerry, autre histoire d’hommes dérisoires face aux forces de la nature, qui jouait sur la lenteur et l’intériorité. Alors il a cherché à combler le vide avec ses effets plein de bruit et de fureur.
Résultat, on ne voit pas le temps passer, d’accord. Mais justement, on aurait aimé éprouver l’angoisse de l’attente du personnage perdu au fond de ce ravin, conscient que chaque seconde passée le rapproche de la mort.
A ces effets destinés à épater la galerie, Boyle ajoute des scènes de flashbacks et de fantasmes hallucinatoires qui lui permettent de quitter pour un bref instant l’étroit tunnel dans lequel son personnage est bloqué.
Si les secondes sont plutôt réussies, les premières font plutôt basculer le film vers le mauvais mélodrame.
Rageant… On regrette que le cinéaste n’ait pas eu le courage de se focaliser exclusivement sur son personnage, de jouer la carte du huis clos intégral. Il s’agissait pourtant, à notre sens, de la seule option valable pour que l’identification au personnage soit totale, et donc que le film soit pleinement réussi.
Oh bien sûr, le film reste efficace. Son final éprouvant est même de nature à provoquer des évanouissements dans les salles de cinéma (3). Vous voilà prévenus…
127 heures n’est donc pas un mauvais film. On peut même y trouver son compte, tant sur le plan du jeu d’acteur de James Franco que sur celui des sensations fortes. Mais il est dommage que le potentiel d’un tel récit, de surcroît véridique, se dilue dans des artifices de mise en scène mal inspirés.
Un tel sujet nécessitait finesse et retenue, des qualités qui ne s’appliquent pas vraiment à Danny Boyle, malgré son indéniable talent artistique… Gageons que ses prochaines mises en scène – la suite de 28 jours plus tard et l’organisation de la cérémonie des Jeux Olympique de Londres (hé oui…) colleront mieux à son style outrancier et coloré…
(1) : “Plus fort qu’un roc / 127 heures” d’Aron Ralston –éd. Michel Lafon
(2) : Remarquez, on voit bien des ghost-writers alors…
(3) : Plusieurs dizaines de personnes se sont évanouies lors de projections du film, à cause, notamment de la scène finale.
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127 heures
127 hours
Réalisateur : Danny Boyle
Avec : James Franco, Clémence Poésy , Amber Tambyn, Kate Mara, Treat Williams, Kate Burton
Origine : Etats-Unis, Royaume-Uni
Genre : Drame roc’n roule
Durée : 1h34
Date de sortie France : 24/02/2011
Note pour ce film : ●●●○○○
contrepoint critique chez : Filmosphère
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Ce film est très inégal, mai je l’ai vraiment apprécié malgré tout. Les choix de réalisation en effet ne semblent pas servir le scénario, surtout dans certaines séquences qui restent assez denses émotionnellement malgré tout. Un presque bon film, qui n’écorne pas la renommée de Boyle.