A quelques jours d’importantes élections nationales, Enrico Oliveri (Toni Servillo), le leader du principal parti d’opposition, décide de déserter les plateaux de télévision et les salles de meeting. Il disparait, purement et simplement, sans même prévenir sa femme, Anna (Michela Cescon). Lassé de la langue de bois, du jeu politique, des alliances et des trahisons, des coups bas et des jalousies au sein de son propre camp, il décide de s’octroyer une pause, une fugue de quelques jours dans un lieu connu de lui seul, loin du tumulte médiatique. Et peut-être ne reviendra-t-il pas, s’il se confirme qu’il a définitivement perdu le feu sacré…
En attendant, son conseiller particulier, Andrea Bottini (Valerio Mastandrea), est bien embêté. Que faire? Que dire?
Avouer qu’il a disparu pour cause de malaise existentiel profond, c’est prendre le risque d’apparaître comme faible par l’opinion, et donc de perdre à coup sûr les élections. Pire, c’est risquer d’être attaqué par les autres membres du parti, qui attendent l’opportunité de récupérer le leadership du mouvement…
Mais ne rien dire, ou prétexter un simple coup de fatigue passager, n’est pas une option viable non plus. Cela permet juste de gagner quelques heures de répit. Après, le public, la presse, les membres du parti, risquent de s’impatienter. En ces échéances politiques importantes, la gauche italienne a besoin de son chef de file…
Alors, Andrea s’affaire pour retrouver la trace de son patron. Anna, suggère que Giovanni, le frère d’Enrico pourrait avoir une idée de l’endroit où il se trouve. En allant à la rencontre du bonhomme, philosophe à la santé mentale fragile, Andrea découvre qu’il est le portrait craché de son frère, à quelques petits détails près. Suffisamment pour mystifier les journalistes, qui insistent lourdement pour avoir des nouvelles du politicien. Il décide donc de faire passer Giovanni pour Enrico, tant que ce dernier n’est pas décidé à revenir. De toute façon, il n’y a plus grand chose à perdre. Les sondages sont désastreux…
Pendant qu’Enrico se ressource en France, auprès de son ancienne maîtresse, actrice de cinéma (Valeria Bruni-Tedeschi), et peut réaliser son rêve en travaillant sur le tournage de son nouveau film, Giovanni accumule les interviews et les meetings. Et contre toute attente, il fait plus qu’assurer l’intérim. Son franc-parler, ses citations philosophiques et littéraires, son humour malicieux ne tardent pas à séduire les observateurs politiques, les journalistes et surtout, l’électorat. Les adhérents sont galvanisés par ses discours, les sondages remontent en flèche…
Si le principe de l’usurpation d’identité d’un homme par son frère jumeau n’est pas franchement novateur (1), il a le mérite d’offrir à Toni Servillo un double rôle fascinant, lui permettant d’utiliser toutes les nuances de son jeu d’acteur. Le comédien italien excelle aussi bien dans le registre dramatique – le très rigide et déprimé Enrico – que dans le registre comique – l’exubérant Giovanni. Il s’amuse à en faire deux entités distinctes, facilement reconnaissables, avant de brouiller peu à peu les pistes à mesure que les deux personnages évoluent. Au final, on ne sait plus trop dire qui, d’Enrico ou de Giovanni, se trouve aux côtés d’Andréa, le conseiller politique, aussi dépassé que nous par les évènements…
Cette trame permet aussi au réalisateur, Roberto Ando, de tisser une belle réflexion sur les faux-semblants, les apparences, ce qu’il reste des rêves de jeunesse et des utopies politiques, et ce que l’art peut apporter aux individus.
Elle lui offre aussi et surtout la possibilité d’explorer la frontière parfois ténue entre le travail du comédien et celui de l’homme politique. Dans les deux cas, le talent oratoire est mis en avant. Le comédien et le politicien se présentent seuls face à un public qu’ils vont devoir conquérir avec des mots. Ils essaient de toucher, de provoquer, de galvaniser leur auditoire, afin de le faire adhérer au contenu de l’oeuvre, qu’elle soit une fiction totalement abracadabrante ou un tissu de belles promesses électorales impossibles à tenir.
La différence, c’est que l’artiste croit encore à ce qu’il fait. Il pense encore pouvoir changer le monde à son petit niveau, en provoquant la réflexion à travers une oeuvre, ou en faisant passer des messages au public. Le politicien, lui, semble résigné. Il ne croit plus à son propre discours ou à ses idées. Il a trop manié la langue de bois et le politiquement correct, trop utilisé les mêmes programmes électoraux poussiéreux, trop trompé et trahi ses électeurs. Et ceux-ci n’adhèrent plus depuis longtemps à tous ces discours formatés.
Il suffirait pourtant d’un rien pour redonner au peuple le goût de la politique et l’envie de défendre des idéaux. C’est tout le sens d’une scène magistrale, l’une des plus marquantes du film, où Giovanni réussit à galvaniser les foules en citant un poème de Brecht (2)
Peut-être que la clé se trouve dans le brin de folie apporté par Giovanni, le libre-penseur facétieux, qui ne pense pas du tout à sa carrière ou aux conséquences de ses actes sur son image. Ou bien, dans le travail d’équipe, dont Enrico, engagé par hasard comme assistant-décorateur sur un tournage, redécouvre les vertus…
Evidemment, on peut considérer que la question est plus complexe que cela. Mais Roberto Ando a au moins le mérite d’aborder le sujet et de tenter de remettre la politique au coeur des débats. Avec cette histoire, adaptée d’un de ses romans (3), le cinéaste réussit un joli film, qui trouve l’équilibre parfait entre le ton pétillant et léger des meilleures comédies à l’italienne, et celui, plus grave et plus profond, d’un drame s’inscrivant dans la tradition du cinéma politique engagé des années 1970. On aime le cinéma italien quand il nous offre des films aussi élégants et inspirés, mettant en exergue le talent de ses meilleurs acteurs. Viva Viva la libertà !
(1) : Dans La Gueule de l’autre de Pierre Tchernia, par exemple.
(2) : “Aux hésitants” de Bertold Brecht
(3) : “Il trono vuoto” de Roberto Ando – ed. Bompiani
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Viva la libertà Viva la libertà Réalisateur : Roberto Ando Avec : Toni Servillo, Valerio Mastandrea, Valeria Bruni-Tedeschi, Michela Cescon, Judith Davis, Eric Nguyen Origine : Italie Genre : comédie politique et philosophique Durée : 1h34 Date de sortie France : 05/02/2014 Note pour ce film :●●●●●○ Contrepoint critique : Studio Ciné-Live |
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