[Orizzonti]
De quoi ça parle ?
Du désarroi d’une mère, Mona (Laure Calamy), qui, après avoir passé des années à s’occuper seule de son fils, Joël (Charles Peccia-Galletto), handicapé mental, voit ce dernier manifester l’envie de « couper le cordon » et voler de ses propres ailes.
Il a en effet noué une relation sentimentale avec Océane (Julie Froger), une autre handicapée avec qui il travaille. En conséquence de quoi, la jeune femme est tombée enceinte. Elle est bien décidé de garder l’enfant et Joël, qui partage sa décision, veut s’installer avec elle. Cette situation fait vaciller la relation entre mère et fils, jusqu’alors fusionnelle.
Pourquoi on ne veut pas se séparer de Laure Calamy et d’Anne-Sophie Bailly ?
Le film d’Anne-Sophie Bailly rappelle un peu, par certains côtés, l’histoire de Gabrielle, de Louise Archambault, qui tournait lui aussi autour de deux déficients intellectuels souhaitant se mettre en couple et prendre leur indépendance. Mais dans ce film-ci, le personnage central était la jeune handicapée. Mon inséparable adopte de son côté exclusivement le point de vue de la mère d’un des tourtereaux, désemparée par cette situation inattendue.
Mona avait noué avec son fils une relation assez exclusive. Elle découvre subitement que Joël non seulement lui a caché des choses, ce qui est déjà vécu comme une « trahison », mais qu’il souhaite aussi prendre ses distances avec elle. Pour ce faire, il se se montre plus rebelle, plus insolent. Mona ne comprend pas et encaisse le coup difficilement. Sans doute vit-elle ce que bien des mères peuvent ressentir quand leur oisillon quitte le nid, quand, après des années passées à protéger leurs enfants, ceux-ci prennent leur indépendance.
Mais pour Mona, c’est encore plus dur à supporter, car elle voit tout son univers s’écrouler. Elle avait organisé toute sa vie autour de son fils et du bien-être de celui-ci. Cela lui a coûté son couple, le père de l’enfant étant trop lâche pour s’occuper d’un enfant handicapé, et sa vie de femme, car élever seule Joël s’est avéré chronophage et épuisant. Pourtant, elle se satisfaisait de cette routine du lien fusionnel entretenu avec son fils.
Avec l’hypothèse de cette séparation très brusque, Mona réalise qu’elle va se retrouver seule pour la première fois depuis des années et cela la terrifie. Elle pourrait éventuellement profiter de cette nouvelle situation pour se rapprocher de Frank (Geert Van Rampelberg) un homme qu’elle a rencontré récemment. Sauf que celui-ci vit en Belgique et elle à Lille. Vivre avec lui supposerait de repartir quasiment de zéro, de perdre tout repère. Elle n’est pas sûre d’avoir cette énergie là.
Il y a aussi la perspective de devenir grand-mère, une chose qu’elle n’avait pas du tout envisagé, puisqu’elle voyait encore son Joël comme un enfant, malgré sa carrure de rugbyman et sa barbe de jeune homme.
Déjà, il lui faut accepter de laisser partir Joël. Là aussi, la situation est source d’angoisses. Le jeune homme saura-t-il tenir son rôle de père de famille? Et Océane son rôle de mère? Où vont-ils vivre? Comment vont-ils gérer cette vie loin de leurs proches?
Mona est d’autant moins rassurée que les premiers contacts avec la belle-famille sont assez heurtés, notamment avec le père d’Océane, qui accuse presque Joël d’avoir abusé de sa fille et Mona d’être responsable de la situation en ayant mal éduqué le jeune homme.
Pour convaincre Joël de renoncer à ses projets, elle l’emmène en voyage “en Antarctique”, là où il rêvait d’aller, notamment parce que c’est là que son père réside, d’après la légende bâtie par Mona, plus acceptable que la triste vérité. En fait d’Antarctique, elle l’a emmené au bord de la mer, dans une ville des Hauts-de-France. Le garçon est peut-être lent, mais pas stupide. Il a bien compris l’entourloupe et refuse que sa mère n’interfère dans sa relation avec Océane. Dans une scène-clé, il le lui fait vertement savoir. En réaction, Mona pète les plombs, crie sur son fils, qui décide de fuguer. Et, plutôt que de partir à sa recherche, elle part en Belgique retrouver Frank. Puisque Joël est adulte, il se débrouillera tout seul. Elle, de son côté, va penser un peu à elle, pour une fois.
Pour jouer ce type de coup de folie, ce moment où la charge mentale devient trop forte pour le personnage, il fallait une actrice capable d’évoluer sur les deux registres, celui de la mère raisonnable, aimante et protectrice, et celui de la femme perturbée, en pleine crise existentielle. La regrettée Gena Rowlands, décédée le 14 août dernier, avait réussi cette prouesse dans le chef d’oeuvre de Cassavetes, Une femme sous influence. Ou Anna Thompson – que devient-elle ? – dans Sue, perdue dans Manhattan, d’Amos Kollek. Ici, Anne Sophie Bailly a choisi de confier le personnage à Laure Calamy. Excellente inspiration, car l’actrice apporte à son personnage un mélange de fragilité et de force, de mélancolie et de joie de vivre, joliment calibrés, sans oublier des moments de folie douce où elle laisse éclater toute son énergie. La tirade où elle se rebelle à son tour, laissant éclater sa colère, sa frustration, et le poids de plusieurs années de sacrifices pour s’occuper de son fils “différent” est un autre moment-clé du récit. Jouée par d’autres, elle aurait pu donner une scène gênante, ridicule ou pathétique. Mais Laure Calamy, grâce à son tempérament de feu et son côté attendrissant, en fait un moment magnifique.
Elle contribue grandement à la réussite de ce joli film, qui bénéficie également des performances touchantes de Charles Peccia-Galletto et Julie Froger, ainsi que des images sublimes composées par Nader Chalhoub. On peut également saluer la mise en scène délicate d’Anne-Sophie Bailly. Comme ses personnages, elle se retrouve à nager dans le grand bain pour la première fois, signant son premier long-métrage après, certes, une formation à la Fémis et des courts-métrages remarqués, dont La Ventrière. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle s’en sort très bien et qu’elle s’ouvre les portes d’une belle et heureuse carrière. C’est tout ce qu’on lui souhaite.
Contrepoints critiques :
”My Everything” is a film with its heart in the right place that places our emotions as the genesis for conflict rather than the environment. It might often be a little too slight, but a film with empathy coursing through its veins is impossible not to fall irrevocably in love with.”
(Connor Lightbody – Next Best Picture)
”[Laure Calamy est] un atout de choix pour un premier long métrage tonique et très bien rythmé qui varie avec beaucoup d’à propos ses décors et qui rend accessible à tous la sensible question de société du handicap sans être ni scientifique, ni naturaliste, mais juste humain.”
(Fabien Lemercier – Cineuropa)
Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema – copyright Les Films Pelleas